La Politique Incarnée Du Rap. Socio-Anthropologie De La Communication Et De L’Appropriation Chansonnières Anthony Pecqueux

La Politique Incarnée Du Rap. Socio-Anthropologie De La Communication Et De L’Appropriation Chansonnières Anthony Pecqueux

La politique incarnée du rap. Socio-anthropologie de la communication et de l’appropriation chansonnières Anthony Pecqueux To cite this version: Anthony Pecqueux. La politique incarnée du rap. Socio-anthropologie de la communication et de l’appropriation chansonnières. Anthropologie sociale et ethnologie. Ecole des Hautes Etudes en Sci- ences Sociales (EHESS), 2003. Français. tel-00126138v1 HAL Id: tel-00126138 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00126138v1 Submitted on 23 Jan 2007 (v1), last revised 7 Feb 2013 (v2) HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. ECOLE DES HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES THESE POUR LE DOCTORAT DE SOCIOLOGIE SOUTENUE LE 12 DECEMBRE 2003 A PARIS PAR ANTHONY PECQUEUX LA POLITIQUE INCARNEE DU RAP SOCIO-ANTHROPOLOGIE DE LA COMMUNICATION ET DE L’APPROPRIATION CHANSONNIERES A. BENSA, DIRECTEUR D’ETUDES A L’E.H.E.S.S. J. CHEYRONNAUD, CHARGE DE RECHERCHE AU C.N.R.S. (HABILITE A DIRIGER DES RECHERCHES) J.-L. FABIANI, DIRECTEUR D’ETUDES A L’E.H.E.S.S. (DIRECTEUR DE THESE) G. LENCLUD, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU C.N.R.S. L. QUERE, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU C.N.R.S. SOMMAIRE D’une demande sociale à une politique incarnée. Perspectives et parcours p. 3 Chapitre premier Réponses expertes à un problème public : le rap, d’ailleurs et autre chose p. 26 1 : L’oscillation populo-misérabiliste. Attitudes et problématiques de recherche p. 28 2 : Implications généalogiques : un langage codé contre la violence p. 35 3 : Les théories du rap à l’épreuve sociale. Bilan et pistes de travail p. 46 Chapitre deux Le rap comme pratique chansonnière. Définition d’un poste d’interprétation p. 64 1 : Un genre commun au rap et à la chanson : les lettres au Président p. 66 2 : Le rap comme pratique chansonnière par l’interénonciativité p. 83 3 : Un poste d’interprétation particulier p. 107 Chapitre trois L’écoute-en-action (1/2). Une écoute oscillatoire et hiérarchisée p. 116 1 : Modes de présence à l’exécution de chansons. Pont avec les concerts (1/2) p. 119 2 : L’écoute-en-action, un modèle oscillatoire et hiérarchisé p. 128 3 : Application à un problème moral : une homophobie, une misogynie dans le rap ? p. 142 Chapitre quatre L’écoute-en-action mise à l’épreuve (2/2). Pour une éthique de la voix p. 151 1 : L’interpellation. Attention et saillies énonciatives p. 153 2 : L’auto-ironie, épreuves de relation à l’auditeur et épreuves de vérité p. 167 1 3 : Le flow, embrayeur digitalo-analogique. Approche de la voix rappée p. 182 4 : Pour une éthique de la voix p. 202 Chapitre cinq Chansons politiques (1/2). Un régime énonciatif double, l’Amour/Haine p. 211 1 : Une parole infra-argumentative, doxique et méfiante p. 213 2 : Nous contre Eux. Explorations de trajets énonciatifs p. 222 3 : L’horizon idéal de la co-énonciation. Nous, vraiment p. 238 4 : Nous/Eux : l’Amour/Haine comme régime énonciatif p. 248 Chapitre six Chansons politiques (2/2). L’institution (phatique) du langage p. 261 1 : Rap et politique, bilan et réévaluations p. 263 2 : L’institution du langage comme politique de la voix p. 271 3 : L’institution phatique du langage. Politique de la voix adressée p. 285 4 : Conséquences de la réduction de l’asymétrie. Pont avec les « concerts » (2/2) p. 306 Remarques finales p. 324 Annexe n° I Rap et représentation experte p. 336 Annexe n° II Différentes transcriptions p. 346 Annexe n° III Corpus rap et rue p. 358 Annexe n° IV Chansons totales p. 368 Lexique p. 377 Discographie p. 381 Bibliographie Chanson et rap p. 388 Bibliographie Générale p. 393 Table des matières p. 408 2 D’UNE DEMANDE SOCIALE A UNE POLITIQUE INCARNEE PERSPECTIVES ET PARCOURS 3 Le rap entre demande et indifférence Il n’importe plus tant de répondre, au nom de principes de dignité et de justice sociales, aux attaques régulières portées contre le rap. Ses praticiens soit y répondent eux- mêmes et s’en sortent très bien, soit s’en moquent avec dédain : ils ne demandent aucune aide, d’autant moins celle provenant du monde politique ou des -logues1. L’Affaire N.T.M. en sera l’illustration pratique : on offre aux rappers un soutien de principe, et ils le refusent. Si le rap constitue toujours un problème pour les sciences sociales, c’est qu’elles ont montré sa richesse et sa diversité, mais n’ont pas pris pour visée spécifique de répondre à la forte demande sociale qu’il suscite, faite d’incompréhension, voire d’inquiétude vis-à-vis de certaines de ses formes les plus virulentes. Non qu’il soit dans les impératifs de ces sciences, en termes de questionnement, ou pire encore de réponse, de se plier à toute demande proférée dans l’espace social. Seulement il reste primordial d’être attentif à la demande sociale conçue comme « le système d’attentes de la société à l’égard des problèmes quotidiens qui la sollicitent aujourd’hui » [R. Castel, 2002, p. 70]. Cette proposition de Robert Castel, provocante sous bien des aspects2, impose au chercheur un minimum de sollicitude à l’égard des interrogations multiples, conflictuelles, qui traversent l’espace social, sur son objet. Sollicitude ne signifie nullement compassion morale, pour mieux développer ensuite une posture critique voire hautaine ; mais prise en compte dès le début des problèmes que suscite l’objet pour la société. A la manière, par exemple, de Cyril Lemieux [2000] : en développant 1 : « On m’catalogue mauvais garçon moi et mes homologues /…/ Et l’sociologue nous place tous dans la même pirogue /…/ et là l’démagogue / Surgit l’sourire aux lèvres et dit qu’il veut un dialogue » [Bams, 1999, « Bol d’air » feat.* Sinistre]. 2 : En effet, il suggère en outre la prise en compte de la demande sociale en amont de la recherche, pour la sélection même de l’objet : « Un des objectifs principaux de la sociologie serait d’essayer de comprendre et de prendre en charge ce qui pose problème aux gens, /…/ des configurations problématiques, des questions qui s’imposent à l’attention, et pas seulement à l’attention des savants, parce qu’elles perturbent la vie sociale, disloquent le fonctionnement des institutions, menacent d’invalidation des catégories entières de sujets sociaux » [p. 71]. Cf., pour une approche précise des problèmes publics, D. Cefaï, 1996. 4 une sociologie compréhensive, il s’est attaché à identifier l’ensemble des critiques (collusion, voyeurisme, suivisme, etc.) formulées à l’encontre des pratiques journalistiques, afin de dégager les différentes règles pratiques que les journalistes doivent suivre, et de montrer que les critiques résultent souvent d’erreurs d’ajustement entre les règles et les situations publiques de leur réalisation. Le rap n’est pas absent du débat ; il engendre même des querelles savantes. Par exemple, pour Marc Fumaroli il représente un exemple typique de ce à quoi conduit l’Etat culturel : une « éducation à l’envers » avec des jeunes « ensauvagés » [M. Fumaroli, 1999, p. 401]. Sans revenir sur son argumentaire, remarquons qu’il cite souvent cette musique pour les subventions qui lui seraient accordées, et comme exemple de contamination par l’Amérique culturelle [pp. 52-53 ; 215-216 ; 242-243 ; 309 ; 346]. Ces citations sont agrémentées de définitions, telle : « fille de la génialité jeune et primitiviste du Bronx /…/ symptôme sociologique » [pp. 242-243]. On peut considérer que, passées certaines qualifications qui l’engagent en propre, il a des raisons de développer de telles vues. Notamment, dans les différents commentaires du rap français disponibles, aucun ne lui permet de le penser autrement que comme émanation nord-américaine : par exemple, comme trouvant également des racines dans la Culture française et européenne que Fumaroli tient en une plus haute estime. Richard Shusterman de son côté a consacré deux chapitres d’un de ses ouvrages à répondre à ce type de positions, et a reformulé plus récemment ses vues sur le rap [R. Shusterman, 1992 ; 2000]. Il y développe l’argument selon lequel le rap représente une forme d’art populaire et contemporain qui doit bénéficier d’une critique esthétique et philosophique. Même si selon lui cet art demande à être apprécié par la danse plutôt que par une étude universitaire, « une lecture attentionnée et sympathique » [1992, p. 187] met en évidence, derrière des apparences légères, toute la complexité d’élaboration de cet art, même une « philosophie » : proche du pragmatisme et du postmodernisme [2000, p. 71]. A nouveau cette position, au regard des commentaires experts, se comprend tout à fait aisément : ses « racines africaines » [Ibid.], et plus près de nous afro-américaines, imposent d’adopter une grille d’analyse en termes de codification ; à chercher derrière le sens explicite lisse, toute la richesse du sens profond et véritable. Ce type de dispute intellectuelle pour des objets culturels considérés comme populaires se révèle finalement assez prévisible ; rejet contre fascination, pour un unique résultat : l’objet en question demeure enclavé, inaccessible pour des sphères plus élargies, 5 alors même qu’il pose régulièrement des problèmes. Avec de telles positions la demande sociale demeure insatisfaite quand elle se présente : l’un dira je vous avais prévenu ; l’autre, soit il faut comprendre autre chose que ce que vous comprenez, soit il y a d’autres formes de rap plus riches, moins violentes qui méritent le respect.

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