Article Quelques ascensions dans le champ d'excursions: Le Tour Noir; L'Aiguille d'Argentière, variante par la face Nord-Ouest, et le Grand Darrey COLLET, Léon William Reference COLLET, Léon William. Quelques ascensions dans le champ d'excursions: Le Tour Noir; L'Aiguille d'Argentière, variante par la face Nord-Ouest, et le Grand Darrey. Jahrbuch des Schweizer Alpenclub, 1902, vol. 38, p. 3-16 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:138437 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. 1 / 1 Extrait de l' Annuaire du Club alpin suisse. 38° année. ascensions dans le Champ d'Excursions. Le Tour Noir. L'Aiguille d'Argentière, variante par la face Nord-Ouest, ei le Grand Darrey. Par Léon W. 1901 Le Tour Noir. 23 août 1901. Etait-ce le Tour Noir ou la Tour Noire, se demandaient les alpi- nistes qui parcouraient le massif en 1888. A Chamonix, on disait la Tour Noire; ~,avre, puis Javelle, avaient dit le Tour Noir. La rédaction de l' Echo des Aipes, dans le n° 3 de 1889, disait à la fin d'une note sur Le Tour Noir, la Tour Noire: ,,Il serait fort regrettable qu'il vienne à s'établir à propos de ce sommet une dualité de noms qui devienne pour les alpinistes une cause de discussion et d'embarras." Aujourd'hui toutes les cartes portent le Tour Noir et tout le monde, même à Chamonix, dit comme Javelle. Pour ce qui est de l'histoire des ascensions du Tour Noir, je ren- voie le lecteur à l'Itiuéraire ùe MJ\1. Kurz et Colomb : La partie suisse de la chaîne du Mont-Blanc, pp. 136-146 et 215-216. Je mentionnerai cependant une variante exécutée en 1902 par un alpiniste (dont le nom m'échappe) accompagné du guide Onésime Crettex de Champex. Au lieu de monter an Col de la Neuva, ils passèrent de la cabane de Baleina le Col de la Grande Luis (entre les Darrey et la Grande Luis), et par les névés supérieurs du glacier de la N eu va uejoignirent l'itinéraire du Col supériem du Tour Noir. Ils s'évitèrent ainsi un travail pénible. la taille de la pente de glace du Col de la Neuva, ce qui raccourcit l'as- cension de deux heur.es. C'est par le chemin le plus facile que je fis l'ascension de cette fière aiguille, soit par le glacier d' Argentière. 4 Léon W Collet . On part ordinairement du Pavillon de Lognan, bien connu des cl11- bistes qui se rendent de Chamonix à la cabane d'Orny ou de Saleina par le Col du Chardonnet. Le 22 août 1901, en compagnie de quatre amis, j'arrivai au Pavillon de Lognan à 7 heures du soir. Tout en montant, vu le beau temps, nous avions décidé de ne pas coucher à Lognan, mais d'aller passer la nuit à la belle étoile sur le Jardin d'Argentière. Nous avons donc pour ce soir en perspective une délicieuse promenade au clair de lune. Demain nous aurons beaucoup de temps devant nous, nous pourrons jouir paisi- blement d'un des plus beaux sites de la haute montagne. Après une courte halte, nous quittons le Pavillon et suivons le bon sentier qui longe la moraine du glacier d'Argentière jusqu'au moment où l'on aborde le glacier dans sa partie supérieure et plate. Petit à petit la nuit vient, tout à coup les sommets de !'Aiguille du Chardonnet et de I'AiguilJ.e d'Argentière sont éclairés par la lune qui pour nous est encore cachée detrière !'Aiguille Verte. Si quelque montagnard supersti- tieux eût vu la lueur vacillante de nos deux lanternes, il n'eût pas manqué de raconter un soir devant l'âtre qu'il avait vu les mauvais génies de la montagne inspectant leurs domaines en méditant quelque mauvaise action! Voici le Jardin. Nous avons vite fait de trouver un gros bloc de rucher à côté duquel nous nous installons pour passer la nuit. La chaîne de !'Aiguille Verte, des Droites et des Courtes est là devant nous; la pâle lueur de la June ne la rend que plus terrible, les arêtes neigeuses surmontées de tours informes se profilent sur un ciel étoilé. A nos pieds le glacier brille d'une lueur blafarde. C'est l'éternel silence! Ne serait-ce pas le domaine de la mort? Devant ce spectacle inoubliable, je m'écrie avec Tœpfer: ,,D'où vient l'intérêt, le charme puis- sant avec lequel ceci se contemple? Ce n'est là pourtant ni le pittoresque, ni la demeure possible de l'homme, ni même une merveille de gigan- tesque pour l'œil qui a vu les astres ou pour l'esprit qui conçoit l'univers! La nouveauté, sans doute, pour des citadins surtout, l'aspect si rapproché de la mort, de la solitude, de l'éternel silence; notre existence si frêle, si passagèl'e, mais vivante et douée de pensée, de volonté et d'affection, mise en quelque sorte en contact avec la brute existence et la muette grandeur de ces êtres sans vie, voilà, ce semble, les vagues pensées qui attachent et qui secouent l'âme à la vue de cette scène et d'autres pareilles. Poésie sourde, mais puissante, et qui, par cela même qu'elle dirige la pensée vers les grands mystères de la créatfou, captive l'âme et l'élève. Aussi tandis que l'habituel spectacle des bienfaits de la divinité tend à nous distraire d'elle, le spectacle passager des stérilités immenses, Quelques ascensions dans le Champ d'Excursions. 5 des mornes déserts, des régions sans vie, sans secours, sans bienfaits, nous ramène à elle par un vif sentiment de gratitude, de telle sorte que plus d'un homme qui oubliait Dieu dans la plaine s'est ressouvenu de lui aux montagnes!" Il faisait encore nuit lorsque, après un savoureux chocolat cuit sur l'esprit-de-vin, nous nous mîmes en route. N'étant pas pressés, nous avançons tranquillement sur le glacier d' Argentière. D'ici le Tour Noir a perdu toute sa prestance, .on dirait un immense tas d'énormes pierres, il ressemble plus à la Grande Fourche qu'au Cervin! Ordinairement on remonte tout le glacier du Tour Noir. Cette montée assez longue et assez raide, aujourd'hui toute en glace, néces- siterait la taille d'un grand· nombre de pas. Après avoir déposé nos sacs sur la moraine, au pied même du glacier du Tour Noir, et nous être munis de quelques provisions, nous continuons à remonter le glacifir d' Argentière jusque sous les Aiguilles Rouges, d'où nous espérons pou- voir atteindre le Col d'Argentièrc par une marche en flanc sur des névés. Nous ne fûmes pas déçus, la montée se fit facilement et fut même agrémentée de varappe. A mesure que nous nous élevons, la vue sur la chaîne du Mont Blanc devient plus étendue; nous nous arrêtons souvent pour l'admirer. Il est 9 heures du matin lorsque nous atteignons le Col d' Argentière. C'est le premier col de la haute route de Zermatt à Cha- monix et surtout pas le plus commode. L'impression qu'on éprouve en y arrivant est saisissante! A vos pieds ce ne sont que rochers délités, cou- loirs dans lesquels la canonnade est presque continue. Plus bas, c'est le glacier de la Neuva atrocement tourmenté; en un mot, c'est la montagne dans ce qu'elle a de plus rude et de plus sauvage. Plus loin et beau- coup plus bas, c'est la montagne paisible, ce sont les sapins, l'alpe fleurie, la vallée aux mazots brunis par le soleil. Quel contraste! Un arrêt assez long s'imposait. Les uns assis, la pipe à la bouche, la carte en mains, débrouillent l'immense panorama. L~s autres vont à la recherche de cristaux, mais bien en vain, car partout où le pied de l'homme a passé, la main n'est pas restée inactive. Il y a quelques années, des guides faisaient la course, depuis Salvan, sans voyageurs, seulement pour chercher des cristaux. En route pour le sommet. Nous nous élevons d'abord jusqu'à !'Epaule dans des éboulis, nous sommes sur la route Javelle. Nous nous encor- dons avant de suivre la célèbre vire qui permet de traverser la paroi Est du Tour Noir. Je m'attendais à quelque chose de terrible, à une de ces étroites vires où l'on ne tient que du fin bout de la semelle au- dessus d'un formidable à pic. La vire est assez large au commencement et devient toujours plus étroite jusqu'au moment où elle s'arrête. Il faut 6 Léon W. Collet. Do l8'1 Aiguilies Rouges Aiguille de Triole1 Grandes Jorasses Panorama du Col d' Argentière - Partie Est. Phot. A. JJioutrrnrlon, Genève. alors s'élever de quelques mètres pour gagner une nouvelle vire, c'est le passage le plus difficile, si on peut le qualifier de difficile. Les rochers très raides qui conduisent au couloir furent lestement escaladés, car nons avions hâte de nous trouver sur ce merveilleux belvédère. Le couloir était complètement sec et quelques minutes après nous étions au sommet. Je ne vous décrirai pas la vue, car vous la connaissez tous pour avoir lu Javelle. Je ne vous dirai qu'une chose: c'est qu'un de mes amis, grand coureur de montagnes, alpiniste émérite, admira aujourd'hui pour la première fois ce qu'on appelle la vue! Le temps est toujours superbe, nous regrettons d'avoir abandonné nos sacs sur la moraine du glacier d'Argentière, car nous aurions pu descendre sur Saleina.
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