L'obsession Du Mal : Le Cinéma De Lars Von Trier

L'obsession Du Mal : Le Cinéma De Lars Von Trier

Document généré le 27 sept. 2021 10:35 Ciné-Bulles L’obsession du Mal Le cinéma de Lars von Trier Jean-François Hamel Volume 30, numéro 1, hiver 2012 URI : https://id.erudit.org/iderudit/65541ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Hamel, J.-F. (2012). L’obsession du Mal : le cinéma de Lars von Trier. Ciné-Bulles, 30(1), 12–19. Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2011 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Le cinéma de Lars von Trier PORTRAIT L’obsession du Mal JEAN-FRANÇOIS HAMEL : Christian Geisnaes Photo 12 Volume 30 numéro 1 Surnommé « l’enfant terrible du cinéma », Lars von que lié à une éventuelle fin du monde qui semble Trier est un cinéaste qui ne laisse personne indiffé- inéluctable. Il partage néanmoins avec Malick un rent. Son œuvre et sa personnalité sont marqués goût pour la grandeur, pour la rencontre de l’infini- par l’anticonformisme et la controverse. Voir un de ment petit et de l’infiniment grand. De cette occur- ses films, c’est se heurter au malaise incessant que rence naît un désir de produire une œuvre colossale provoquent des images bouleversantes, parfois de qui veut tout voir, tout dire, quitte à faire quelques manière si explicite qu’elles en devien- nent insupportables. Pratiquant un ci- néma coup de poing, Lars von Trier embrasse la réalité la plus crue, la plus Pratiquant un cinéma coup de poing, Lars von Trier déplaisante parfois, sans jamais édulco- rer ce qu’il montre. On ne peut nier la embrasse la réalité la plus crue, la plus déplaisante pertinence de ses films : ils sont le mi- roir d’une nature humaine sombre qui parfois, sans jamais édulcorer ce qu’il montre. peut en un instant basculer dans la fo- lie. En des temps où les traumatismes On ne peut nier la pertinence de ses films : ils sont de l’Histoire et des guerres s’imposent le miroir d’une nature humaine sombre qui peut de plus en plus à notre mémoire, il les fait se répercuter dans les destins indi- en un instant basculer dans la folie. viduels de ses personnages. Ceux-ci doivent vivre à la fois avec leurs pro- pres tourments et ceux du monde qui les entoure. Cette fusion de deux maux — personnel erreurs au passage. Melancholia est justement fasci- et collectif — hante l’œuvre du cinéaste danois nant parce qu’il se rend au bout de cette démesure. qu’elle fait grandir et rend viscéralement dérangeant. Un désordre apocalyptique En mai dernier, lors du Festival de Cannes où il pré- sentait son plus récent film,Melancholia , Lars von Divisé en deux parties, Melancholia est le récit de Trier a fait la manchette par des propos jugés anti- deux sœurs, Justine et Claire, et de leur comporte- sémites. Son allégeance à l’esthétique nazie, plus ment respectif à l’approche d’une planète qui pour- spécifiquement sa compréhension d’Adolf Hitler rait heurter la Terre, collision qui s’avèrerait fatale. (des propos d’une confusion telle qu’il ne pouvait La première partie, intitulée « Justine », se déroule s’agir que de provocation), a semé la controverse, pendant le mariage de celle-ci avec un homme dont surtout qu’en France, la question juive demeure elle se désintéresse dès la réception. Menant une vie taboue. Considéré persona non grata par une direc- apparemment parfaite (elle reçoit même une pro- tion de festival paniquée, le cinéaste a, dans un pre- motion de son patron au cours du repas), Justine est mier temps, présenté des excuses avant de les renier en fait un être instable, dépressif sans raison ap- quelques mois plus tard, expliquant qu’il avait sur- parente. La seconde partie, intitulée « Claire », se tout été maladroit dans ses réponses et qu’on ne le passe peu de temps après, au manoir où Claire ré- reprendrait plus à faire des conférences de presse. side avec son mari et leur fils. L’état de Justine se Toute l’attention médiatique portée à cet incident a détériorant, sa sœur l’invite à séjourner chez elle. nui au film qui méritait mieux qu’un simple prix Le mari de Claire, John, annonce que la planète d’interprétation (Kirsten Dunst, ci-contre). Pendant Melancholia passera sous peu près de la Terre, ce qu’on acclamait haut et fort The Tree of Life de qui plonge Claire dans l’inquiétude, craignant Terrence Malick et son humanisme New Age, on qu’elle ne heurte notre planète. Pendant ce temps, renvoyait aux oubliettes son frère rebelle, Melan­ Justine se referme sur elle-même et semble de plus cholia, lui aussi intéressé par le dualisme entre en plus douter de l’optimisme de la communauté l’homme et l’univers dans un contexte familial. Là scientifique à laquelle John adhère aveuglément. où Malick crée un récit d’apprentissage à partir de la formation de l’univers, Lars von Trier s’intéresse Le prologue, d’une fabuleuse beauté visuelle, résu- à son pendant opposé : le déséquilibre psychologi- me Melancholia et dévoile déjà l’imminente fin du Volume 30 numéro 1 13 Évelyne de la Chenelière remerciant « à l’écran celui qui incarne le personnage-titre qu’elle a créé » Melancholia — Photo : Christian Geisnaes monde qui viendra clore le film. Des images surréa- nablement. Admirable, cette image d’une souffrance listes, symboliques, comme sorties d’un mauvais psychique parcourra Melancholia jusqu’à sa rêve, traduisent un certain dérèglement mental et conclusion apocalyptique. cosmique dont les conséquences seront fatales. D’entrée de jeu, Lars von Trier annule tout effet de L’intérêt du film tient surtout dans les multiples surprise, annonçant ce qu’il adviendra de ses per- troubles psychologiques qui semblent se relayer sonnages. Ce ressort hitchcockien est évidemment d’une sœur à l’autre. Alors que la première partie attrayant. Il devient dès lors plus passionnant d’ob- oppose l’équilibre de Claire à la fragilité de Justine, server l’attente anxieuse de Claire en sachant que la seconde inverse les rôles. Alors que Justine quelque chose est là qui circule au-dessus de la cel- conçoit la fin du monde avec une étrange sérénité, lule familiale comme l’annonce d’une mort immi- Claire sombre lentement dans une hystérie de plus nente. La splendeur des plans initiaux produit en en plus marquée. Il y a dans ce retournement la outre des effets inattendus, qui constituent le pou- preuve que le délire — sous toutes ses formes — n’at- voir même du cinéma de Lars von Trier : au lieu de teint pas un seul individu. Il peut faire bousculer l’apaisement que leur perfection formelle aurait pu une existence aussi paisible et aisée que celle de engendrer, ils établissent une sorte de menace qui Claire. Sur ce plan, Melancholia montre la vulné- ébranle nos perceptions. Le cinéaste nous invite à rabilité de la nature humaine qui n’est jamais à l’abri contempler une poésie du Mal. Justine, en robe de de l’apparition soudaine d’un mal-être monstrueux. mariée immaculée, symbole de pureté et de joie, est C’est ce que semble traduire le comportement de prise d’un malaise métaphorisé, lors de ce prologue, John. Représentant une autorité scientifique et so- par un sol hostile dont les racines, qui s’enroulent ciale tout au long du récit, il se tue lâchement autour de ses pieds, l’empêchent de marcher conve- lorsqu’il prend conscience que la collision à laquelle 14 Volume 30 numéro 1 il ne croyait pas surviendra. La folie, quand elle se perturbation dans l’univers provoque un déséquili- manifeste, ternit toute dignité; elle conduit un père bre psychologique qui pousse John au suicide, au suicide, alors que sa famille compte sur lui. Justine à un silence indifférent, Claire à une agita- Melancholia voudra que ce soit Justine qui ima- tion malsaine. Le cinéaste ajoute à ce constat une gine, dans une ultime tentative de cacher la réalité puissante critique du contentement bourgeois. au fils de Claire, une tente pour se mettre à l’abri de Ainsi, le mariage, malgré sa somptuosité et son opu- la fatale explosion. Ce puissant moment de cinéma lence, est un échec : Justine trompe son mari lors de l’est surtout parce qu’il subjugue autant qu’il en- la réception, le dégoût conduit celui-ci à révoquer chante l’esprit. leur union et son patron, à une colère démesurée; de même, le mode de vie privilégié de cette famille Cet instant paroxystique permet de comprendre ce n’empêche pas ses membres de glisser dans la folie qui est si prenant dans le cinéma de Lars von Trier : lorsque survient l’inconcevable apocalypse de la se- son intensité. Cette intensité renvoie au regard qu’il conde partie. porte sur le désordre et qui touche autant l’individu que son environnement. Antichrist (2009), son Melancholia possède aussi le mérite de dévier de précédent film, évoquait le basculement dans la la trajectoire que lui imposait le modèle du film- folie d’une mère en deuil en le superposant à une catastrophe.

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