LE DERNIER TÉMOIN DU MÊME AUTEUR LA POLITIQUE FRANÇAISE DES COMBUSTIBLES LIQUIDES, 1923. L'AMÉRIQUE A LA CONQUÊTE DE L'EUROPE, Colin, 1931. MONSIEUR THIERS ET SON SIÈCLE, Gallimard, 1947. CHARLES POMARET LE DERNIER TÉMOIN Fin d'une guerre, fin d'une république juin et juillet 1940 PRESSES DE LA CITÉ PARIS @ Presses de la Cité, 1968. Tous droits de reproduction de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. LES GRANDS PROCÈS DE L'HISTOIRE L'ARMISTICE DE JUIN 1940 Audience1 du 30 juin 1968. Le Président à l'huissier : « Faites entrer le dernier témoin. » Entrée de Charles Pomaret, ancien ministre du gouver- nement Laval (janvier 1931-février 1932), Daladier (août 1938-mars 1940), P. Reynaud (mars-juin 1940), Pétain (16 juin- 12 juillet 1940). — emprisonné de septembre 1940 à février 1941 par le gouvernement de Vichy à Pellevoisin et Vals-les-Bains; — en résidence surveillée de février 1941 à août 1941; — poursuivi par le gouvernement de la Libération pour atteintes à la sûreté extérieure et intérieure de l'Etat! 1. Imaginaire. AVANT-PROPOS Dernier témoin? Je m'explique. Témoin de quoi d'abord? Des semaines tragiques qui se placent, dans l'été 1940, à la fin de la Troisième République. Le dernier? Certainement, si le titre de témoin convient à ceux qui ont quelque chose à dire sur des événements, parce qu'ils les ont vus de près, vécus, animés, parfois orientés. Je suis le survivant unique d'un bref, mais dur moment de l'Histoire de France, considérée à l'échelon gouverne- mental. Des trois gouvernements qui se sont succédé de mars 1938 au 12 juillet 1940, à savoir le gouvernement Daladier, le gouvernement Paul Reynaud, y compris ses si nombreux remaniements ou élargissements, le premier gou- vernement Pétain (celui qui a pris fin avec la Troisième République le 12 juillet 1940), je suis le seul survivant qui ait appartenu aux trois. Je m'habitue à ces prolongements et à cette solitude. Déjà du premier gouvernement Laval (1931-1932) où l'on comptait entre autres Briand, Tardieu, Maginot, Paul Rey- naud, Flandin, Landry, Roustan, Pietri, Léon Bérard, Petsche, Champetier de Ribes, je suis le seul survivant, avec Pierre Dignac. Des gouvernements de 1938 à 1940, il reste des vivants, aptes à témoigner. Mais Daladier, qui s'obstine dans un silence dont il est le seul juge, a été éloigné du pouvoir par Paul Reynaud en mai 1940. Georges Bonnet l'avait précédé dans la retraite. Georges Monnet, Jules Julien, Laurent-Eynac, Queuille, Guy La Chambre n'ont été, gou- vernementalement, que les témoins partiels de la période sur laquelle je porte témoignage. Des deux gouvernements qui ont siégé à Bordeaux, celui de Paul Reynaud et le premier gouvernement de Pétain, il n'y a que deux survi- vants ayant appartenu aux deux : Yves Bouthillier et moi- même. Jean Prouvost était bien ministre de Paul Reynaud, mais vers la fin seulement et il ne l'a pas été aussitôt et à part entière dans le premier gouvernement Pétain. Cette solitude, cette survivance ne me créent pas des devoirs. Je pourrais rester muet. D'ailleurs, mon témoi- gnage n'a que faible valeur, il n'est que partiel et frag- mentaire. C'est ma survivance, seule, qui lui donne un sens. Je n'ai pas la prétention d'enrichir beaucoup l'histoire difficile de cette période. Du moins, ma méfiance envers l'Histoire est, à mes yeux, une garantie du sérieux de mon témoignage. Historien de formation, je redoute l'Histoire, son incertitude et la précarité des témoignages qui la font. Je n'oublie jamais la sévérité de Paul Valéry : « L'Histoire justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout. » Je me méfie par-dessus tout des Mémoires, trop souvent prolifération des vanités qui veulent forcer les portes de la postérité. Je n'écris pas ici mes Mémoires. Je me méfie aussi de l'amateurisme de la petite histoire et de l'anecdo- tisme facile, qui justifieraient l'affirmation excessive de Voltaire : « L'Histoire, c'est des histoires. » Témoin partiel, pas toujours présent (je n'ai jamais fait partie des comités de guerre), je ne prétends pas recouvrir de mon information toute une période de notre histoire. D'où, volontairement, l'aspect fragmentaire, déchiqueté, parfois en l'air, des propos qui vont suivre. Aussi bien la chronologie de ces jours douloureux a été exactement fixée, et la certitude existe, assez généralement, sur le déroulement des faits et sur l'accomplissement des gestes. C'est dans un cadre connu, dessiné que je place mes informations, mes souvenirs et mes documents, dans la mesure où je pense qu'ils ne sont pas négligeables pour serrer toujours de plus près la vérité. J'encours un reproche que j'ai bien pesé : personne, en fait, ne pourra me contredire valablement. Quand je rap- porterai une décision, une attitude, un geste, un mot, ce seront presque toujours ceux de morts. Le malchanceux et exceptionnel Paul Reynaud que j'ai tendrement aimé jus- qu'au jour où ses explications contradictoires, injustes et erronées, m'ont éloigné de lui, n'est plus là pour discuter, redire, ergoter, chaque fois qu'on s'avise de ne pas être admiratif de son comportement en ces heures décisives. Mandel, Weygand, Herriot, Lebrun ne peuvent plus me contredire. Et je parlerai pourtant d'eux. Tout simplement, il faut me croire quand je dis ce que je sais. Ou alors, pas besoin de me lire. Au fait, pourquoi trahirais-je la vérité, et prendrais-je des libertés avec elle? A mon âge, on ne louche plus vers les honneurs et les places. On peut se payer le luxe d'être sincère. Je n'ai plus à plaire. Et ceux qui me connaissent, contemporains ou cadets (d'anciens, il n'y en a presque plus), savent bien que je ne suis pas particulièrement avantageux. Je n'ai pas à cacher ce que j'ai pu faire de mal et à justifier mes erreurs et mes fautes. Pourquoi cacherais-je celles des autres? Dans l'his- toire, il y a du bon et du moins bon. Je déteste la fausse vertu. Je m'efforce toujours d'être franc vis-à-vis de moi-même et de ne pas m'échapper, par commodité ou habileté, de mon vrai personnage. Je sais me regarder dans la glace. Voici un seul exemple, mais que je crois suffisant : Le 12 juillet 1940 — j'étais ministre sans interruption depuis le 10 août 1938 — si le Maréchal, au lieu de me renvoyer à mes « chères études », m'avait demandé de demeurer dans son nouveau gouvernement, constitué après le vote massif de l'Assemblée nationale, à mon poste ou à tel autre, j'aurais accepté, avec empressement. Comme la plupart (pourquoi la plupart? je peux dire tous, sauf sans doute Frémicourt, égaré et mal à l'aise dans le gouverne- ment) de mes collègues évincés, j'ai été déçu par ce renvoi. Ceux qui me connaissent me croiront si j'affirme que je serais parti plus tard, non pas à cause de la rencontre de Montoire (Thiers le libérateur du territoire a rencontré plusieurs fois Bismarck après l'armistice du 28 janvier 1871), mais à cause du statut des israélites et des textes antima- çonniques. C'était là la preuve évidente que le régime républicain déjà secoué le 10 juillet, malgré un consente- ment parlementaire quasi unanime et un consentement populaire encore plus massif, était cette fois bafoué et proprement détruit. Mais jusque-là, je me serais senti honoré et satisfait de demeurer ministre du Maréchal. Je n'aime pas faire parler les morts — ils le sont tous, mes camarades de cette épo- que — mais il est bien évident que mes collègues d'éviction du 12 juillet, Chautemps, Frossard, Février, Chichery, Rivière eussent accepté de rester si le Maréchal le leur avait demandé. Je sais ce dont je parle. Je suis sûr également que tous, même Chautemps, ne se seraient pas éternisés au pouvoir, et que l'automne 40 aurait vu leur retraite, pour les mêmes raisons qui m'auraient déterminé à partir. Je vais au bout de ma franchise : pendant les deux jours qui ont séparé le vote de l'Assemblée nationale et la constitution du gouvernement Pétain de Vichy, j'ai même insisté auprès de Laval, mon premier président du Conseil, pour moi et pour un autre (de ceux que j'ai cités plus haut) afin de rester « quelque chose » dans le nouveau gouverne- ment. J'étais prêt, à défaut d'un portefeuille, à accepter (il en fut question pendant deux jours) la présidence de la S.N.C.F. dont j'avais été, comme rapporteur des che- mins de fer à la Chambre des députés, un des « forma- teurs » avec Queuille et René Mayer, lors de la réforme de 1936. Dieu merci, ces efforts ont été vains. Laval n'avait plus ce pouvoir. La franchise, dont je viens de donner un exemple pré- cis, est la seule qualité de mon témoignage. Un témoin qui n'est pas franc et altère la vérité est un faux témoin. L'his- toire de l'année quarante n'en a pas manqué. On ne trouvera pas dans ce livre, je le redis, une relation complète des événements de juin 1940. D'autres l'ont faite, historiens de formation ou d'occasion, avec plus ou moins de bonheur. Ici, je suis témoin, pas historien ou narrateur. Un témoin, de quelque événement qu'il s'agisse, incident, accident, crime, bataille, négociation, orientation politique, est toujours un témoin partiel.
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