Volume 5 (2017) Article de fond Développement touristique et développement durable à Hergla (Tunisie) Mohamed Hellal Pour citer cet article Mohamed Hellal, 2017, « Développement touristique et développement durable à Hergla (Tunisie) », Revue GéoDév.ma, Volume 5 (2017). Numéro spécial : « Tourisme durable et articulation entre littoral et arrière-pays en Méditerranée », en ligne : http://revues.imist.ma/?journal=geodev Introduction La réussite de la première station intégrée en Tunisie, El Kantaoui, aménagée à la fin des années 1970, a motivé l’État tunisien pour investir davantage dans le développement touristique au nord du gouvernorat de Sousse, notamment à Hergla. Face aux spécificités naturelles et culturelles du site, les autorités sont contraintes d’aménager autrement les espaces touristiques, en réponse aux nouvelles exigences internationales en termes de tourisme durable. Les participants à la conférence mondiale du Tourisme Durable, réunis à Lanzarote dans les îles Canaries en Espagne, le 27-28 avril 1995, ont élaboré une charte, en « reconnaissant que le tourisme, de par son caractère ambivalent, puisqu’il peut contribuer de manière positive au développement socio-économique et culturel, mais aussi à la détérioration de l’environnement et à la perte de l’identité locale, doit être abordé dans une perspective globale ». De ce fait, le tourisme est touché par une transformation brutale visant à un développement désormais inéluctablement plus durable ou soutenable (Scol, 2012). Pour pouvoir atteindre les principes de développement durable, la Charte incite à l’établissement de nouveaux rapports de partenariat entre les principaux acteurs, qui participent à cette activité, notamment les acteurs territoriaux, afin de forger l’espoir de développer un tourisme plus responsable vis-à-vis de notre patrimoine commun. À l’origine, Hergla est un village typique du Sahel tunisien. Elle se distingue par ses ruines, son urbanisme typique et par son cadre naturel exceptionnel. Bien que ces acquis offrent l’occasion d’y développer un tourisme durable, face au désengagement de l’État, les jeux d’acteurs, notamment ceux des acteurs privés s’orientent vers des projets lucratifs. De ce fait intérêts divergents et désengagement de l’État aboutissent, une fois de plus, et malgré les enseignements passés, vers la destruction de zones à valeur écologique et patrimoniale, au détriment des populations locales et au seul profit d’une valorisation purement marchande d’investisseurs à court terme. Nous posons l’hypothèse suivante : la gouvernance menée par l’État pour régulariser les enjeux d’acteurs ayant des intérêts divergents dans ce projet irait à l’encontre des principes de développement durable. À travers nos travaux de terrains, notamment par le biais de nos observations directes et nos entretiens, nous tentons de vérifier cette hypothèse. 1. Les potentialités et les vulnérabilités des ressources de Hergla La situation et les potentialités patrimoniales de Hergla La ville de Hergla se situe à 25 km au nord du siège du gouvernorat de Sousse et compte 7.423 habitants (Recensement de 2014). C’est un village sahélien « tampon » qui marque la limite nord du Sahel social, où les agglomérations villageoises sont habitées par des populations qui ressemblent dans leurs habitudes aux citadins de la région, et la limite sud du territoire des nomades (Despois, 1955). Hergla se situe au milieu d’un tombolo et dans un cordon côtier, d’environ 6 km de longueur, taillé en falaise par la mer (Figure 1). Le noyau de la ville s’est développé sur le site de l’antique Horrea Coelia. Celle-ci était un port phénicien qui était prospère pendant l’époque romaine, comme en témoignent les « Horrea » qui sont des entrepôts de céréales destinées à l’exportation. Les ruines éparpillées entre les bâtis témoignent également de la présence byzantine dans la région. Figure 1 : La situation de l’agglomération de Hergla par rapport à son environnement 2 Pendant l’époque musulmane, Hergla devient un petit centre religieux organisé autour du tombeau du marabout « Sidi Bou Mendil ». La principale mosquée de la ville porte son nom. Ici, la population est plutôt conservatrice et sa mentalité est plus proche de celle d’un village que de celle d’une ville. Sur le plan urbain, l’agglomération actuelle a une structure radio-centrique. Le tissu urbain de Hergla, qui est coincé entre les champs d’oliviers et la mer, conserve encore le noyau ancien malgré les effets de la modernité. Jadis, les structures traditionnelles de type Dar Aarbi qui, ne dépassant pas les hauteurs des oliviers, étaient en symbiose avec le paysage rural. Ces logements sont construits toujours avec les mêmes matériaux : les pierres calcaires pour la structure externe, les pierres en grès pour les parois des portes et pour les voûtes ainsi que la chaux pour blanchir les murs et les toits. Les plans des maisons ne reflètent pas l’origine et l’appartenance sociale du propriétaire de la maison, mais répondent plutôt aux besoins de la vie rurale et urbaine des habitants de Hergla. La skifa et le patio, qui sont des composantes principales de la maison typique, ont une utilité pour les activités domestiques qui sont en rapport avec la vie rurale de cette population qui œuvre dans l’agriculture et l’artisanat. La situation de l’agglomération par rapport aux plans d’eaux lui confère le caractère d’une presqu’île avec la mer à l’est, la sebkha de Aassa Djriba au nord, la sebkha Halk Elmejel à l’Ouest et au Sud. Cette situation naturelle est en partie responsable de son relatif éloignement par rapport aux grands axes routiers. Elle a épargné Hergla et son littoral des grandes mutations urbaine et touristique qui ont caractérisé les grands pôles urbains du Sahel. Pourtant, le paysage naturel exceptionnel, le cachet architectural (Photo 1) remarquable et les vestiges antiques, qui accordent une certaine originalité à cette agglomération, peuvent en faire une richesse touristique. Toutefois, la mobilisation de ses atouts pour un développement touristique durable n’est pas sans contraintes. Photo 1 : Les spécificités architecturales de Hergla Source : cliché de M. Hellal 3 La sensibilité du milieu littoral et des sites archéologiques Le village de Hergla se distingue par son paysage naturel marqué par les champs des oliviers qui l’entourent et par sa plage vierge, protégée par la forêt de Madfoun1. Toutefois, « actuellement le littoral de la forêt d’El Madfoun connaît des signes de dégradation parfois significatifs notamment dans sa marge méridionale » (Bada, 2007, p131). Ici, « la vitesse d’érosion s’est accélérée d’une façon catastrophique surtout après la mise en place du port de pêche de Hergla en 1982 » (idem). Quant à la côte au sud de la ville, elle subit, actuellement, une grande dégradation ; l’aménagement du port de pêche est responsable de sa dégradation (Bourgou, 2005, p. 156). Ainsi, la falaise située au sud du port qui est en recul permanent présente un grand danger sur la route, pour les constructions et les estivants qui se baignent à son pied. D’autant plus que les reculs de la côte menacent les sites historiques qui constituent une richesse à exploiter dans le développement du secteur touristique. Au nord du port de pêche, « à la sortie méridionale de l’agglomération de Hergla, la mer s’attaque aux ruines de l’antique Horrea Caelia. Plus au Sud, le front des falaises tronque, en différents points, d’autres ruines ainsi que des restes d’anciens fours à chaux » (Oueslati A., 2005, p.340). En raison de l’extension urbaine et le caractère naturel sensible de l’environnement immédiat de Hergla, à cause du manque de protection et d’entretien, beaucoup de sites archéologiques sont en péril. Dans un inventaire national réalisé en 1987 qui couvre la région de Hergla, on a compté 41 sites qui « contiennent des ruines dont beaucoup ont disparu, aujourd’hui, et il ne reste que quelques murs, des citernes, des colonnes, des pierres sculptées, des morceaux de poterie… » (Annabi, p. 36, in Fehri 20052). Parmi ces sites en péril, figure Mendres qui contient des grosses pierres sculptées et des pièces de poterie ainsi qu’une route romaine submergée par les sédiments de Sebkha Halk el Menjel. D’ailleurs, le seul site qui fait aujourd’hui l’objet des travaux de fouilles est celui qui se situe au sud de la ville. C’est là où on trouve plusieurs vestiges : des réservoirs de céréales qui sont couverts par des mosaïques colorées et un quartier résidentiel composé de plusieurs maisons et bassins couverts par des mosaïques. L’intervention sur le quartier romain n’est pas généralisée et elle ne concerne qu’une partie, faute de financement. Selon le responsable du chantier, l’intervention dans le site a pour objectif l’entretien. D’ailleurs, la maintenance coûte cher (désherbages, restauration…) surtout que les ruines dégagées auparavant sont aujourd’hui en dégradation. Ce responsable nous explique la complexité des chantiers de fouilles et l’importance du site : « La proximité de la mer complique la tâche surtout avec les effets néfastes du sel sur la texture des matériaux. Notre objectif majeur c’est garder l’authenticité du site sans apporter une intervention massive. D’ailleurs, la maison romaine qui est déjà dégagée et qui date du IIIème siècle Ap. J.C., a des composantes spécifiques : mosaïque, thermes, port privé… Elle peut être une attraction touristique sans que la fouille soit finie. Enfin, nous ne sommes pas obligés à tout montrer aux touristes…»3. Finalement, si les potentialités naturelles et patrimoniales constituent des atouts, leur fragilité représente une contrainte en termes de développement touristique durable. 1 Elle a été plantée au cours des années soixante. Elle se présente comme une bande verte parallèle à la plage. Le but du boisement du site était de fixer la dune littorale.
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