Si c'est une femme Anaïs Marillier 1 « Ce livre n'a pas été écrit pour accuser ou pour provoquer l'horreur et l'exécration. L'enseignement qu'il délivre est un enseignement de paix. » Primo Levi (Si c'est un homme, première édition 1947) « VIOL : Voilà un mot étrange qui contient « vie » et « ol », c'est-à-dire la puissance sacrée de la vie. Violer une loi, une frontière ou une femme représente toujours une transgression. Mais tout se passe comme si la vie était plus forte que tous les murs psychologiques, légaux et physiques construits par les êtres humains. Elle doit passer. Le viol, que ce soit d'un domicile ou plus dramatiquement d'une personne, va donc questionner : quels murs ai-je mis dans mon existence pour que la force de vie soit ainsi obligée de forcer son chemin ? » Luc Bigé (Petit dictionnaire en langue des Oiseaux) « A partir de maintenant, je choisis de révéler ouvertement ce qui est vivant en moi, quand bien même les autres pourraient ne pas apprécier mon cadeau. » Marshall Rosenberg 2 À Fanny & Timour 3 1 VINGT-DEUX ANS ET TROIS MOIS Premier rendez-vous chez une kinésiologue. Après avoir vu mon estomac mal en point, Caroline me demande : « Que vous est-il arrivé à vingt-deux ans et trois mois ? » Allongée sur le dos, j'en ai trente-neuf et cinq, je ne vois que mon avortement, bien qu'il me semble être arrivé plus tard, plutôt à vingt- quatre. (?) Heureusement que je compile toute ma vie (depuis vingt ans) dans mes agendas. Le plus drôle c'est qu'en allant chercher dans mes archives j'ai réussi à me tromper. La plupart de mes vraies épreuves n'ont pas été écrites. Toutes les ruptures amoureuses sont restées muettes ou presque. Cette fameuse résilience qui s'arrange pour effacer/évacuer au plus vite afin de ne pas souffrir d'avantage. Je suis donc tombée sur une indication lacunaire indiquant Aix que j'ai tout de suite associée au viol commis par R. Aujourd'hui, à quarante-trois ans, avec cette nécessité d'écriture, j'ai du replonger attentivement dans mes carnets et quelle surprise de constater que R ne m'a pas violé à vingt-deux ans et trois mois mais à vingt ans et trois mois, non pas à Aix mais à Nice. Née à Lausanne, le 13 juin 1974 d'une mère suisse valaisanne et d'un père français bourguignon, je suis arrivée à quatre mois à Marseille, dans une HLM du quartier chic de Saint-Giniez, avec une dysplasie (luxation) de la hanche non détectée (tare celte ou séquelle des viols ancestraux ?) et la tuberculose. « TUBERCULOSE : « Tu ber cul ose », « tu es le berceau de la lumière » surtout ne la tue pas ! Auquel cas la pathologie pourrait se mettre en place ! La maladie est un appel à un processus d'ouverture du cœur car l'on n'ose pas (encore) sa propre lumière. 4 Le corps demande à la personne d'oser affirmer tout son amour en dévoilant son identité profonde. La tuberculose est une pathologie des personnes aspirant à un idéal spirituel et, plus généralement celles qui désirent sortir de leur condition familiale, sociale, professionnelle et, parfois, de la condition humaine. L'appel de la lumière de l'éveil est intense. Lorsqu'elle reste au berceau pour des raisons de convenances (on n' « ose » pas) elle stagne dans le corps et prend la forme de cette pathologie respiratoire qui empêche l'être essentiel de prendre tout son espace lors de l'inspiration. En d'autres termes on ne fait pas suffisamment confiance dans sa capacité à mettre en acte ses inspirations. » (Luc Bigé. Petit dictionnaire en langue des Oiseaux) J'ai donc été plâtrée puis appareillée pendant quinze mois et été immunisée du BCG. J'étais un bébé qui faisait ses nuits, une enfant sage, très sage. Fille unique d'une mère dépressive, j'ai été la mère de ma mère et la femme de mon père avec lequel j'avais une vraie complicité, une complicité toujours utilisée à l'encontre de ma pauvre mère. Ma mère a été maltraitée par sa mère, qui n'était gentille avec elle que lorsqu'elle était malade, elle s'est donc logiquement réfugiée dans la maladie toute sa vie. Elle a subit de mauvais médecins qui la faisaient saigner du nez et a vu sa croissance coupée à l'adolescence par un vaccin anti-allergique. Heureusement pour elle, elle avait une sœur de treize mois de moins qu'elle dont elle a toujours été très proche. Mon père a perdu sa mère à sept ans, dans un accident de voiture au cours duquel mon grand-père conduisait. D'une fratrie de quatre enfants dont il était l'aîné, mon père s'est vu confié à la mère de mon grand-père, qui elle avait ressuscité suite au suicide de son mari qui la croyait condamnée. (!) Mes grands-parents suisses formaient un couple malheureux, les français, un couple heureux. Fils de bonne famille, architecte, mon grand-père suisse a perdu sa mère à vingt ans, subitement, alors qu'il venait de la visiter suite à une opération bénigne. Il a été très amoureux d'une Skaya qui ne l'aimait pas plus que ça et s'est donc marié avec ma grand-mère par dépit. Toute sa vie il a pensé et écrit à Skaya et a même voulu la rejoindre à soixante ans, sans succès. 5 Ma grand-mère suisse était fille de paysans, fille d'une mère issue d'un viol, elle a toujours voulu sortir de son rang et y est parvenue. Victime d'un mari buveur qui la violentait au lit, elle est devenue encore plus dure et acariâtre qu'elle ne l'était déjà. Mon grand-père français était vraiment le bon vivant, flambeur, bout en trin par excellence et vrai résistant. C'est pendant la guerre qu'il a connu sa femme médecin alors qu'il n'était qu'étudiant et qu'elle était déjà mariée avec trois enfants. Suite à l'accident, il est devenu un mort vivant. La problématique de toute ma vie a toujours été l'amour : le couple amoureux. Emprisonnée par la peur de mourir ou de donner la mort. Handicapée par un amour inaccompli à réparer. Portée par des arrières grand-mères guerrières qui ne faisaient pas confiance aux hommes, qu'elles trouvaient déficients et/ou malveillants. J'ai pourtant toujours formé un couple avec mes meilleures amies : Anne-Valérie à la maternelle, Carine au primaire, Fanny au collège, Julia au Lycée, K et Emilie à la Faculté. Tous mes couples amicaux ont été fusionnel, nous nous suffisions à nous-même et les garçons n'y avaient que peu de place. Le seul garçon que j'ai toujours fréquenté et dont je suis toujours très proche est mon cousin Jeeno, d'un an mon aîné. J'ai passé toutes mes vacances avec lui et avec lui aussi le sujet des amours était occulté. La seule et unique fois où j'ai joué au docteur, c'était avec Céline, la petite fille de mes voisins de palier, qui habitait en banlieue parisienne. J'ai bien toujours eu quelques garçons courageux qui me déclaraient leur flamme, flamme que j'éteignais aussitôt. (bien trop effrayée que j'étais) Et j'ai bien toujours eu des amours cachés. (bien cachés) Le plus secret et le plus foudroyant a été Florent, le frère jumeau de Fanny, que j'ai donc connu à onze ans et pour lequel j'ai brûlé jusqu'à trente-cinq. (!) Fanny avait tout de suite mis les choses au clair, si je m'intéressais à elle pour son frère, je pouvais passer mon chemin. Moi ? La pureté et l'honnêteté incarnées, certainement pas ! Et voici comment j'ai été la plus mauvaise meilleure amie de cette malheureuse Fanny. 6 Excepté quelques parties de ballon prisonnier pendant la pause déjeuner, nous nous mélangions rarement aux autres, préférant nos lectures compulsives et le seul endroit que nous fréquentions vraiment était la bibliothèque. Le seul week-end que j'ai passé dans sa famille, aux côtés de ses trois frères, dans un sublime domaine de l'arrière pays aixois qui appartenait à ses grands-parents, je m'y suis cassée deux dents... Ce n'est qu'à la toute dernière année du lycée que je suis tout de même sortie avec mon premier garçon : ce cher Barbu avec lequel nous nous roulions des pelles et nous nous touchions les parties, dans sa Nimi de longs après-midi. On a bien essayé une fois chez lui mais sans y arriver. Acte tendre et maladroit qui a celé la fin de notre histoire je crois. Aucune note, aucun souvenir. Ne me souviens que d'une seule souffrance, celle de ce jour idiot (de la Saint-Valentin), qu'il a passé avec ses copains à jouer au foot, sans même me téléphoner. C'est D qui m'a dépucelé, cette même dernière année du lycée. D, l'acolyte de Florent, dont Julia était la petite amie. D le séducteur et tombeur de toutes les filles, jolies et pas jolies, mais surtout le vrai marseillais, bien moqueur. Un grand blond au petit nez à la Brad Pitt, peintre et un peu voyou, au biceps tatoué d'une cow skull et aux mains baguées. C'est avec lui que j'ai connu le merveilleux jeu de séduction, les jeux de mains et le temps qui s'étend. En véritable expert, il m'a eu et je suis tombée, amoureusement et délicieusement.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages149 Page
-
File Size-