Publié le 2 octobre 2019(Mise à jour le 2/10) Par Frédérick Casadesus Jacques Chirac: Alain Duhamel raconte Le journaliste politique et essayiste Alain Duhamel trace le portrait d’un homme d’État chaleureux, courageux, mais dont le bilan demeure, selon lui, modeste. Jacques Chirac avait de solides amitiés protestantes:Jérôme Monod, Antoine Rufenacht en particulier. Quel lien feriez-vous entre eux? Pour être tout à fait franc, je n’établirais aucun lien entre Jacques Chirac et les protestants. Je pense qu’avec Antoine Rufenacht, comme avec Jérôme Monod, l’ancien président de la République entretenait des liens d’amitié très profonds, basés sur une grande loyauté de la part de chacun d’eux. Cette loyauté les a conduits à défendre Jacques Chirac. Mais je pense que, s’ils agissaient comme des amis protestants, Jacques Chirac, en aucune façon, n’était attiré par le protestantisme. Je ne l’ai jamais surpris manifestant de la curiosité pour cette religion. Je crois qu’il se passionnait pour un grand nombre de religions, sauf le christianisme. Le shintoïsme, le bouddhisme l’intéressaient, le judaïsme et l’islam aussi. Mais personne n’était moins protestant que lui. Quelle sera, selon vous, la place de Jacques Chirac dans notre histoire politique contemporaine? Je ne suis pas sûr qu’il occupera une grande place dans notre histoire. Je pense qu’il laissera un souvenir humain intéressant, d’un homme chaleureux. Mais pour le reste, que dire? En politique étrangère, il a été essentiellement un continuateur du gaullisme. Il l’a été dans son intérêt pour la Russie, pour la place qu’il donnait à ce pays. Il l’a été dans son animosité vis-à-vis des États-Unis: même s’il en appréciait la société, il n’en approuvait pas les politiques. Il fut également gaulliste dans sa politique africaine, ce qui d’ailleurs, l’a amené, comme le Général, à coopérer avec des gens qui ne le méritaient pas forcément. Et, comme le Général, une fois encore, il a eu plus de contentieux que d’attentes envers l’Europe. Je pense donc que son sillon est plus gaullien que personnel. En ce qui concerne la politique intérieure, mon impression globale est qu’il a beaucoup plus suivi les sentiments des Français qu’il ne les a conduits. Diriez-vous qu’il fut pragmatique? Je dirais qu’il a adapté successivement ses prises de position politique aux personnages avec lesquels il agissait. Quand il était dans l’opposition – par exemple sous Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterrand –, lorsqu’il exerçait le pouvoir, soit avec Édouard Balladur, soit avec Alain Juppé, soit, plus tard avec Jean-Pierre Raffarin puis Dominique de Villepin, il s’ajustait. Dans toutes ces circonstances, j’ai le sentiment qu’il n’y a qu’un seul exemple de période de réformes susceptible de laisser une marque: celle qui va de 1986 à 1988. Mais j’ai toujours eu la conviction que les réformes économiques et sociales qui ont été menées à ce moment-là, d’inspiration franchement libérale, étaient plus le fait d’Édouard Balladur que de Jacques Chirac – même si celui-ci, par principe, les soutenait politiquement. Autrement dit, dans le domaine de la politique intérieure, son bilan global est très faible. L’émotion populaire qui s’exprime depuis l’annonce de sa mort est assez classique. Les décès du général de Gaulle, de Georges Pompidou, de François Mitterrand n’avaient pas manqué de susciter la même vague. Mais Jacques Chirac n’était-il pas, plus que ses prédécesseurs, un responsable politique jouant des émotions? Je crois d’abord que le chiraquisme est une pratique, pas une théorie. Dès lors, il dépend plus des sentiments, mais aussi des choix et des analyses de Jacques Chirac, que d’une doctrine ou d’un projet constitué. Avec lui, la dimension passionnelle ou émotionnelle existe. Néanmoins, cela ne l’empêchait pas d’être un stratège. Il s’est construit un parti à sa dévotion, il est devenu le leader de l’opposition. Dans ces conditions, son cheminement politique était tout à fait rationnel et réfléchi. La réaction de nos concitoyens s’explique d’abord par une certaine tristesse, normale, devant la disparition de quelqu’un qui était une figure extrêmement familière. Cela entretient le regret. L’humanité de Jacques Chirac à l’égard des Français ordinaires – je ne dis pas du tout vis-à-vis des autres responsables politiques avec lesquels il pouvait se montrer d’une très grande dureté – incarnait une forme de proximité entre le pouvoir et les citoyens. Or, aujourd’hui, nombre de gens nourrissent une nostalgie de ce rapport-là. Beaucoup déplorent que se soit creusé un fossé entre les simples citoyens et les gouvernants. L’émotion qui s’est emparée des Français depuis jeudi traduit une nostalgie de ce que Jacques Chirac représentait, pas de ce qu’il a fait. Une anecdote qui, selon vous, révèle un peu de la personnalité de Jacques Chirac? D’après les services de l’Institut national de l’audiovisuel, je l’ai interviewé plus de 60 fois. Je rappellerai en premier lieu le débat d’entre-deux-tours de 1995. En compagnie de Guillaume Durand, je dirigeais la confrontation qui l’opposait à Lionel Jospin. Je suis allé saluer les deux antagonistes dans leur loge respective. Tout protestant qu’il soit, Lionel Jospin était en train de rire aux éclats. Entouré de nombreux amis, le candidat socialiste venait de s’apercevoir que sa veste et son pantalon n’étaient pas assortis. J’ai rendu visite ensuite à Jacques Chirac. Celui-ci, totalement seul, avait la tête entre les mains, les bras posés sur une coiffeuse. Il m’a lancé un regard tragique et m’a simplement dit: “Tout se joue.” Cela signifiait d’abord qu’il voulait éviter le moindre dérapage au cours du débat. Mais cela révélait qu’il se projetait déjà dans l’exercice du pouvoir suprême. Il était extrêmement impressionnant et j’en ai gardé un très grand souvenir. Une fois président, l’avez-vous trouvé transformé par la fonction? Je l’ai de nouveau interviewé moins de six mois après son élection, pour la télévision. Ce soir-là, il a dû reconnaître que la campagne sur laquelle il s’était fait élire ne correspondait pas aux moyens de la France et que, au lieu de réduire la fracture sociale, il allait réduire le déficit. Il a parlé avec beaucoup de clarté. Il est très rare qu’un président admette qu’il a commis une erreur d’analyse, encore plus rare qu’il le dise en public. Un tel tournant a peut-être annoncé les grèves de l’hiver 1995, mais ce fut un acte de courage. Après la fin de l’émission, Dominique de Villepin, qui exerçait alors les fonctions de secrétaire général de l’Élysée, a proclamé: “C’était une émission de sous-secrétaire d’État aux Beaux- Arts.” Au contraire Jacques Chirac m’a remercié, déclarant que, grâce à moi, il était parvenu à dire ce qu’il voulait dire. Propos recueillis par Frédérick Casadesus Publié le 2 octobre 2019(Mise à jour le 2/10) Par Didier Fiévet Bible et écologie (1/6): une ode à la vie et à l’espérance “La Bible et l’écologie”, tel est le sujet de la nouvelle série deRéforme . Pour ce premier volet, Didier Fiévet, auteur et pasteur de l’Église protestante unie de France, nous offre ses réflexions. Ça va mal pour nous, les humains: nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Nous sommes devenus le prédateur ultime… La nature va régler le problème: elle nous condamne à disparaître. Nier cette mauvaise nouvelle c’est faire preuve du même aveuglement que de prétendre que la Terre est plate, ou que l’atome n’existe pas. La cause est entendue, la crise écologique est avérée. Se mobiliser pour tenter d’en réduire les méfaits relève du simple bon sens, de la prudence la plus élémentaire. Nul besoin de Dieu, du Christ ou de l’Évangile pour cela. Alors, nous, chrétiens – protestants de surcroît – qu’avons-nous à dire? Comment penser la fin autrement que dans le catastrophisme? Quelle espérance proposer sans tomber dans un écolo-relativisme coupable? Que dit la Bible sur l’écologie? La cause écologique a été promue au rang de “sauvegarde de la Création”. Au passage, la nature est donc devenue la Création. Au mépris du texte biblique. Et en ajoutant la culpabilité à la désespérance: c’est l’œuvre divine que nous profanerions! Rien de moins productif. Et rien de moins protestant que l’injonction à sauver le monde, salut par les œuvres s’il en est. Nous n’avons pas à sauver la planète, mais c’est parce que nous sommes sauvés que nous sommes appelés à être écologiquement responsables, et résolument engagés! Le premier verset du livre de la Genèse commence par la deuxième lettre de l’alphabet hébraïque. Comme pour dire: “Lecteur, ce que je te confie, là, n’est pas le secret de l’instant zéro! Il y a un avant, qui t’échappe.” In principio en latin, en archè en grec, bereshit en hébreu ne signifient pas “au commencement”. Mais plutôt “au fondement, au principe, en tête de”. Le propos du texte biblique n’est donc pas: “Comment ça a été fabriqué?” mais “Sur quoi fonder un juste rapport au monde?” Créer, c’est séparer Quand Dieu crée, la nature est déjà là. Certes, à l’état de tohu-bohu, chaos informe, ou d’abîme sans fond, mais bel et bien là (Gn 1,2).
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