Banasa ET LES CIRCUITS COMMERCIAUX DU DÉTROIT AUX IIIe ET IIe SIÈCLES AVant J.-C. Rachid Arharbi*, Éliane Lenoir** Sur la rive gauche de l’oued Sebou, au nord de la plaine du Gharb, le site de Sidi Ali Bou Jnoun, identifié à la colonie romaine Iulia Valentia Banasa par C. Tissot1, a fait l’objet de fouilles extensives de 1933 à 1954, dirigées par R. Thouvenot, assisté d’A. Luquet, qui dégagent le centre monumental, des quartiers d’habitat, des bâtiments à vocation économique et cinq établissements thermaux2. A. Luquet entreprend en 1955-1956, dans le quartier septentrional, le temple du forum et le quartier sud, des sondages profonds qui révèlent des niveaux antérieurs à la cité romaine, caractérisés par des constructions en briques crues et des productions locales de céramiques peintes et d’amphores3. À partir de 1997-1998, les résultats de la prospection géophysique menée par A. Kermorvant en 1996 ont conduit à pratiquer dans le quartier sud un sondage qui a révélé des niveaux carac- térisés par des constructions en terre, des céramiques jusqu’alors inconnues dans le répertoire banasitain et des amphores datables du IIIe siècle avant J.-C. Un programme portant sur l’étude des ateliers de potiers de Banasa fut alors mis en place4 : les travaux de fouilles menés entre 2003 et 2008, sur un espace d’environ 80 m² (fig. 1) et jusqu’à des profondeurs atteignant 7 m par endroit, ont permis de mettre en évidence plusieurs phases d’occupation5 dont la plus ancienne remonte au VIe siècle avant J.-C. * Conservateur des sites archéologiques de Banasa et de Thamusida, Direction du patrimoine culturel au Maroc. ** Chargée de recherche honoraire au CNRS, Archéologie et Philologie d’Orient et d’Occident, UMR 8546 CNRS- ENS Paris Ulm, membre du programme Cultures d’Afrique du labex transferS (programme Investissements d’avenir ANR-10-IDEX-0001-02 PSL* et ANR-10-LABX-0099) de l’ENS et du Collège de France. 1. Lenoir É. 2000, p. 956-957. 2. R. Thouvenot a rendu compte de l’intégralité de ces travaux dans divers articles du BCTH et des CRAI, et dans Thouvenot 1941 ; 1951. 3. Luquet 1964 ; 1966, p. 483-486 ; Girard 1984, p. 11-93. 4. Le projet fut institué dans le cadre de la coopération scientifique entre l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat et le Ministère des Affaires étrangères français. L’équipe de fouilles, sous la co-direction de R. Arharbi et É. Lenoir, était composée de V. Bridoux, C. Bray, S. Crogiez-Pétrequin, E. Grisoni, P. Hamamssi, C. Hamdoune, R. Lakhal, É. Letellier, W. Meddah et de. B. Mlilou et M. Ramdani. 5. Les résultats préliminaires des fouilles ont été publiés dans Arharbi et alii 2001 ; Arharbi, Lenoir É. 2004 ; Arharbi et alii 2006 ; Arharbi, Lenoir É. 2011, p. 21-24. 98860.indb 83 20/05/16 10:22 84 RACHID ARHARBI, ÉLIANE LENOIR Fig. 1 – Localisation des fouilles du quartier sud (Mission archéologique franco-marocaine de Banasa). Les fouilles anciennes avaient fourni quelques fragments d’amphores et de céramiques, des lampes à deux becs et des bijoux, dont un médaillon en or orné d’une rosace6, de tradition phénicienne, qui montrent que le site était, dès le VIe siècle avant J.-C., en relation avec les cités maurétaniennes du littoral atlantique, fréquentées par les navigateurs phéniciens7. Lors de la campagne de 2007, le sondage le plus profond a étayé cette constatation grâce à la découverte, sous les niveaux des fours de potiers, de fragments de céramique à engobe rouge, de céramique peinte appartenant à un vase de type Cruz del Negro et d’une anse bifide de jarre pithoïde à corps ovoïde. Ces objets sont des récipients de stockage caractéristiques du répertoire phénicien, datés des VIIe-VIe siècles avant J.-C., qui démontrent que les relations du site de Banasa avec le monde phénico-punique sont déjà établies à cette époque. Aux Ve et IVe siècles avant J.-C., Banasa semble toujours ouverte au commerce méditerranéen comme le confirme la présence, parmi le mobilier des anciennes fouilles, de boucles d’oreilles en or en forme de croissant8 et d’une lampe grecque caractérisée par un profil plat aux parois droites, un médaillon concave à large ouverture, une anse plate en ruban sur le flanc du réservoir et munie d’un petit pied9. 6. Maroc, les trésors du royaume 1999, p. 52, no 27. 7. Arharbi 2004, p. 413-417. 8. Maroc, les trésors du royaume, 1999, p. 52, no 26. 9. Cette lampe (h. 34 mm, diam. 85 mm) est actuellement conservée avec le matériel du site de Kouass : Ponsich 1966c. 98860.indb 84 20/05/16 10:22 BANASA ET LES CIRCUITS COMMERCIAUX DU DÉTROIT 85 Les fouilles menées en 2003-2008 ont mis en évidence un niveau maurétanien 3, phase 8, caractérisé par un faciès céramique et amphorique particulièrement diversifié, qui permet d’établir des comparaisons avec plusieurs sites du nord du Maroc et du sud de l’Andalousie et de mieux éclairer la question de l’intégration de Banasa dans l’aire du « Cercle du Détroit ». Dans ce niveau ont été dégagés cinq espaces rectangulaires communiquant entre eux par des ouvertures pourvues de seuils constitués de deux assises de briques crues posées à plat et fermées par des portes en bois. Les sols sont couverts d’un dallage en briques crues. Les murs, eux aussi en briques crues, dont certains sont conservés jusqu’à une hauteur de 1,50 m (fig. 2), ont été détruits par un violent incendie peut-être consécutif à un tremblement de terre : une épaisse couche de destruction constituée de briques crues rubéfiées ou durcies par l’action du feu provient de l’effondrement des structures en élévation dont les couvertures étaient faites d’une couche d’argile tassée sur des claies de roseaux disposées sur des poutres de bois. Ce niveau a livré une quantité importante d’amphores, de vases de stockage (tonnelets, vases à trois anses) et de vaisselle en céramique peinte ou achrome, des vases du type vase-chardon et de la céramique punicisante (fig. 3). Fig. 2 – Mur de brique crue du niveau Fig. 3 – Amphores écrasées sur le sol d’une pièce, Maurétanien 3. niveau Maurétanien 3. 98860.indb 85 20/05/16 10:22 86 RACHID ARHARBI, ÉLIANE LENOIR LES AMPHORES Les amphores de tradition punique Maña-Pascual A4, dont la production au Maroc était jusqu’alors connue seulement à Kouass, sont représentées à Banasa par plusieurs individus complets et par de nombreux fragments de bords (fig. 4). Certaines amphores sont caractérisées par un décor exécuté à l’aide de deux brins de ficelle ou de tiges végétales tordus ensemble et portent des graffiti incisés avant cuisson. Ce type d’amphore caractéristique de la région du détroit de Gibraltar10 est présent dans la majorité des niveaux maurétaniens sur plusieurs sites du Maroc, notamment dans la région de Tanger, à Ceuta et dans ses environs, à Sidi Driss sur la côte méditerranéenne, à Zilil, Tamuda, Kouass, Lixus et dans sa région, Kheddis, Thamusida, Banasa, Sidi Slimane, Rirha ainsi qu’à Mogador. Leur production est attestée à Kouass et très certainement à Banasa11. La circulation de ces amphores est située entre les Ve et IIe siècles avant J.-C. La présence de ce type d’amphore à Kheddis constitue un témoignage de l’occupation du site au IIe siècle avant J.-C.12. Un autre type d’amphores de tradition ibéro-punique datées entre le milieu du IIIe siècle et le milieu du IIe siècle avant J.-C.13 est bien attesté dans ce niveau. Il s’agit des amphores de type T-4.2.2.5 de J. Ramón Torres14, également connues à Kouass et à Lixus15, qui sont représentées par plusieurs exemplaires16. Ce type (exemplaire BAN05-0342) est généralement marqué par un corps cylindrique, caractérisé par l’absence du col et un bord à face interne plate et continue. La face extérieure est de section ovale formant un bandeau. Une rainure régulière marque la jonction bord-panse. Les anses sont de section circulaire. Le profil du corps est cylindrique, marqué par des rainures peu profondes irrégulières. Son diamètre est plus grand au niveau de la partie supérieure de la panse, l’inflexion de la courbe est bien marquée au niveau des attaches des anses. Le fond de l’amphore se termine par une pointe ogivale. Ce niveau a également fourni un autre type d’amphore, bien attesté dans l’aire du détroit de Gibraltar, connu sous le nom d’amphore de type Tiñosa et qui correspond au type T-8.1.1.2 de J. Ramón Torres, daté entre les IVe et IIe siècles avant J.-C. Cette amphore (exemplaire BAN07- 3069) est caractérisée par un profil biconique, plus ou moins rectiligne, et par l’absence de col. Le col et la panse dessinent un profil allongé se terminant par un fond de profil conique. Le dia- mètre maximal de la panse atteint 34 à 36 cm. La lèvre, droite à l’extérieur, est marquée par un bourrelet interne arrondi. Les anses, de section variable selon les exemplaires, sont attachées à 12 cm sous le bord. Ce type d’amphore est tourné dans une pâte granuleuse, bien cuite. La sur- face est souvent couverte d’un engobe de couleur beige à verdâtre. L’extérieur est aussi pourvu de cannelures moins profondes que celles de la paroi interne. 10. Ramón Torres 1991, p. 31. 11. Mlilou 1991, p. 52 ; Arharbi, Lenoir É. 2004, p. 240-270. 12. Akerraz 2002, p. 198. 13.
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