Réseaux Confrériques Et Mobilité Religieuse Dans L'ouest Du Sahara

Réseaux Confrériques Et Mobilité Religieuse Dans L'ouest Du Sahara

Nicole Lemaitre (dir.) Réseaux religieux et spirituels : du Moyen Âge à nos jours Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques Réseaux confrériques et mobilité religieuse dans l’Ouest du Sahara algérien Badreddine Yousfi DOI : 10.4000/books.cths.424 Éditeur : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques Lieu d'édition : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques Année d'édition : 2016 Date de mise en ligne : 13 novembre 2018 Collection : Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques ISBN électronique : 9782735508778 http://books.openedition.org Référence électronique YOUSFI, Badreddine. Réseaux confrériques et mobilité religieuse dans l’Ouest du Sahara algérien In : Réseaux religieux et spirituels : du Moyen Âge à nos jours [en ligne]. Paris : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2016 (généré le 22 décembre 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cths/424>. ISBN : 9782735508778. DOI : https://doi.org/10.4000/ books.cths.424. Ce document a été généré automatiquement le 22 décembre 2020. Réseaux confrériques et mobilité religieuse dans l’Ouest du Sahara algérien 1 Réseaux confrériques et mobilité religieuse dans l’Ouest du Sahara algérien Badreddine Yousfi 1 Traversé par l’ancienne route du commerce caravanier de l’Ouest saharien, le Sud- ouest algérien (figure 1) a hérité d’un réseau de confréries religieuses zaouïas très dense. Ces derniers contrôlaient les échanges commerciaux, les pratiques religieuses et sociales dans la majorité des ksour. Actuellement, cette région connait des mutations sociales, économiques et culturelles dues à une forte intervention de l’État, mettant en quarantaine les anciennes pratiques des pouvoirs religieux, dominés autrefois par les cheikhs de zaouïas et les nobles 1. En effet, les actions menées par l’État dans la modernisation de la justice et l’enseignement viennent soutenir cette vision depuis l’indépendance de l’Algérie. C’est ainsi que les anciennes instances maraboutiques qui puisaient leur existence de leur pouvoir religieux se trouvent relayées par de nouvelles instances qui représentent l’État moderne. De nouvelles références idéologiques et culturelles sont intégrées par le biais de l’administration, de la justice et de l’école, entraînant certaines ruptures dans le fonctionnement des zaouïas et créant peu à peu des clivages dans ses rapports classiques avec la population locale. 2 Néanmoins, le Sud-ouest algérien reste marqué par une forte mouvance confrérique qui a su garder une partie de sa vocation auprès des populations dans ce nouveau contexte socioculturel. En effet, tandis que quelques zaouïas gardent des activités d’éducation et d’apprentissage religieux que l’État leur a cédé, d’autres tentent d’élargir leur champ d’influence géographique et d’intégrer de nouveaux adeptes parmi les cadres installés dans la région, appelés à piloter les structures étatiques. Bien plus, une majorité des habitants des zones sahariennes gardent dans leur mémoire collective certaines mœurs et pratiques sociales qui sont en rapport avec les zaouïas. Ainsi, nous nous intéressons aux mobilités religieuses à travers ces deux formes, à savoir : la mobilité des étudiants religieux et les mobilités liées aux faits commémoratifs des saints de la région. Ces mobilités restent parmi les permanences dans les pratiques Réseaux religieux et spirituels : du Moyen Âge à nos jours Réseaux confrériques et mobilité religieuse dans l’Ouest du Sahara algérien 2 sociales dans cet espace. Ces mobilités peuvent nous renseigner sur le rôle de la zaouïa et la place de la notabilité locale dans le nouveau contexte organisationnel de l’espace saharien de l’Algérie. Le Sud-ouest algérien cadré par une forte mouvance confrérique depuis le Moyen Âge 3 La recherche du savoir a engendré depuis toujours des mobilités donnant un poids particulier aux territoires où s’implantent les institutions éducatives, que ce soit religieuses ou académiques. Dans le Sud-ouest algérien, la dimension culturelle a pris une place importante depuis plusieurs siècles en s’appuyant sur un réseau de zaouïas qui assure une fonction éducative et d’enseignement jusqu’à nos jours. Ainsi, ces zaouïas structurent l’espace et génèrent des mobilités à l’échelle locale, régionale, nationale, mais aussi internationale. « Le thème de mobilité est une récurrence en matière de sainteté. Cette mobilité se présente bien évidemment sous formes diverses. »2 4 L’expansion de l’islam vers le soudan via le Sahara a été réalisée selon une démarche pacifique en faisant appel aux réseaux maraboutiques qui se sont développés à partir du XVIe siècle et qui ont atteint leur apogée entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Concrètement, cette mouvance a multiplié ses adeptes dans le Sud-ouest algérien. Berceau des chorfa et des merabtine, le Touat et le Gourara, autrefois carrefour des caravanes subsahariennes, se remplissaient de zaouïas destinées à recevoir les étrangers qui traversaient ces territoires. L’existence d’une masse de chorfa dans le Touat et de Berbères tournés vers le maraboutisme dans le Gourara, les a placés au cœur de cette mouvance : « Chorfa et merabtine se prévalent de la même institution légitimante : zaouïa. Elle est fondée une ou l’autre faction pour affirmer un ordre religieux ou confrérique. »3 5 Le commerce était une source de richesse importante impliquant des marabouts qui réutilisaient leur légitimité religieuse pour la convertir d’une autorité morale en autorité politique une manœuvre leur permettant d’exercer des influences sur les ksouriens comme sur les nomades. « Le marabout est respecté davantage pour sa piété et ses pouvoirs extraordinaires (baraka) que pour son savoir : vivant généralement à la lisière de deux unités antagonistes, il est le pacificateur par excellence, à l’arbitrage duquel on fait appel en cas de conflit et à la protection morale duquel on fait appel pour traverser une région peu sûre. »4 6 Une telle influence engageait les zaouïas dans l’arbitrage du trafic saharien. Adhérant à telle ou telle mouvance, les tribus nomades comme les oasiens, s’engageaient à protéger les caravanes commerciales dont le cheikh avait donné au préalable sa baraka (bénédiction). Les caravaniers devaient aux marabouts de cette région désertique la sécurité de leur caravane, mais aussi la prospérité de leur commerce par la baraka du cheikh. La dimension religieuse était donc bien présente dans les échanges commerciaux. Elle s’articulait non seulement sur ses capacités d’influence et de mobilisation des adeptes de zaouïa, mais aussi sur le réseau ethnique. C’est ainsi que les itinéraires commerciaux étaient d’abord dictés par des données géographiques et politiques, mais également par l’autorité religieuse qui mettait sous sa protection telles ou telles caravanes. Réseaux religieux et spirituels : du Moyen Âge à nos jours Réseaux confrériques et mobilité religieuse dans l’Ouest du Sahara algérien 3 « Les Taibia des chorfa de Ouazzane contrôlèrent en partie la route du Touat, la Senoussia régna sur toute la zone orientale des échanges, la Kadiria pénétra loin dans l’intérieur du centre d’Afrique suivant les itinéraires commerciaux de l’Afrique Orientale. »5 7 Structurées autour d’un réseau de zaouïas, les confréries puisent leur vitalité dans la collecte de dons (denrées alimentaires, articles précieux, fonciers…) selon le principe de zakat, une notion de partage des richesses ; toute personne en aisance financière, devrait partager une partie de sa fortune avec la société. Ainsi, les zaouïas qui représentent l’autorité religieuse légitime, se placent comme institutions capables d’assurer la redistribution des richesses. Souvent, ces dons sont réutilisés pour gérer le quotidien de ces zaouïas et pour subvenir aux besoins des personnes en détresse. Une organisation similaire à l’ordre municipal comme la qualifia N. Maârouf (1981) : « Le but officiel est de doter l’ensemble des ksour (ou le ksar) placés sous la bénédiction de la zaouïa, d’un budget communal : il permettra ainsi de faire fonctionner l’école coranique, de prendre en charge un misérable, et surtout de faire face aux invités de passage (dhiâf). »6 8 Dans cette dimension, la mobilité se croise bien avec la mission des zaouïas. Bien qu’il existe plusieurs mouvances confrériques7 telles que la Senoussia, la Drekaouia et la Tidjania dans le Sud-ouest, il est clair que la Kadiria – la Chadilia en particulier – et ses dérivées telles que la Taïbia, la Kerzazia, et la Cheikhia encore moins la Ziania ont eu plus grand nombre d’adeptes à l’échelle des oasis du Gourara, du Touat, du Tidikelt et de la Saoura. 9 Les deux concepts de la Kerzazia et de la Ziania ont été développés dans le Sud-ouest algérien. Leurs zaouïas mères sont localisées dans la Saoura, dans le ksar de Kerzaz pour la première et dans le Guir dans le ksar de Kenadsa pour la deuxième. Quant à la Cheikhia et la Taïbia, bien que leurs sièges ne soient pas situés dans cette zone du Sahara, elles ont pu mobiliser une grande partie des adeptes dans le Gourara et dans le Touat. Ces doctrines ou Tarika ont permis le jumelage de petites agglomérations, voire de ksour, perdus dans le Sahara aux grandes cités où se trouvent les zaouïas mères mais aussi à toutes celles où l’ordre était présent : « En terme contemporain, plusieurs petits ksars se trouvent ainsi activement présents dans un vaste réseau urbain dépassant souvent les frontières des pouvoirs politiques. »8 10 En contrepartie ces petites agglomérations acquièrent un statut de « cité » en s’inscrivant dans ce réseau. 11 Après avoir été exclues du champ politique depuis la colonisation et dans les premières années de l’indépendance, les zaouïas ont recentré leur champ d’action sur la fonction sociale et éducative. Quelques rares zaouïas se focalisent uniquement sur les activités sociales telles que celles d’Ouled-Saïd, de Timokten et de Reggane. Ainsi, chaque localité avait sa zaouïa et sa confrérie d’affiliation. 12 De ce fait, cette mouvance entraîne deux formes de mobilité : la ziara, forme de pèlerinage dont le motif est purement spirituel et les voyages d’étude des étudiants Talabat en direction des grandes zaouïas, dont le motif est l’acquisition du savoir.

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