UNIVERSITE DE PARIS 1 PANTHEON SORBONNE UFR D’ARTS PLASTIQUES ET DES SCIENCES DE L’ART MASTER DE CINEMA AGATHE BROC La fêlure de la conscience de soi La répétition et l'arrêt dans le cinéma de Michelangelo Antonioni Mémoire préparé sous la direction de José Moure Déposé en septembre 2014 UNIVERSITÉ DE PARIS I PANTHÉON-SORBONNE UFR D’ARTS PLASTIQUES ET DES SCIENCES DE L’ART MASTER DE CINÉMA AGATHE BROC La fêlure de la conscience de soi La répétition et l'arrêt dans le cinéma de Michelangelo Antonioni Mémoire préparé sous la direction de José Moure Déposé en septembre 2014 Agathe BROC Numéro étudiant : 10930190 Coordonnées : 0632099011 [email protected] Page 2 sur 158 Résumé du mémoire Le mémoire se donne pour objeCtiF de déCeler Ce qu’ont pu être les propositions Cinématographiques d’Antonioni dans l’histoire du Cinéma, au Cœur de la problématique du montage. L’étude traite de deux Figures partiCulières du Cinéma qui sont la répétition et l'arrêt au sein des Films de MiChelangelo Antonioni. Ces deux Figures ne sont pas propres à l’œuvre de Ce Cinéaste, elles sont des transCendantaux du montage, qui est le Caractère le plus propre du Cinéma. L'ouvrage Image et mémoire, écrits sur l'image, la danse et le cinéma de Giorgio Agamben, notamment l'artiCle Le cinéma de Guy Debord, est tout à Fait prédominant dans la méthode et la struCture de l'étude. Après avoir proCédé à une typologie de Ces Figures afin de les déterminer Comme des outils d'analyse et d'interprétation, l'étude se propose de soumettre la Filmographie de MiChelangelo Antonioni à l'épreuve de Ces outils. Par Ce proCessus, ces outils s’élèvent au rang de Figures Cinématographiques. Dans Cette logique, nous ne pouvons nous passer de rappels historiques qui ConCernent aussi bien les Champs idéologiques Cinématographiques que les innovations teChniques du dispositiF Filmique. En eFFet, l'étude entreprend de questionner les langages de Cinéma d'Antonioni, en leurs qualités novatriCes. Il apparaît donC Comme une néCessité de toujours veiller à ne pas extraire le Cinéaste de ses Champs Contemporains, Ceux de son temps et Ceux de l'étude actuelle. En Filigrane, Cette étude envisage d'observer les grandes FonCtions psyChiques telles que la mémoire et l'imagination au regard du Cinéma, et leurs actions dans l’appropriation de l’espace publiC, à l’éChelle du Film, des personnages du Cinéaste et des speCtateurs. Il apparaît que MiChelangelo Antonioni, nourri de l'histoire, agit en Contemporain, "reçoit en plein visage le FaisCeau de ténèbres qui provient de son temps" et par la pratique du Cinéma, envisage de déCeler une lumière, derrière les ombres, parmi de possibles autres. Mots clés MiChelangelo Antonioni ; Cronaca di un amore ; La signora sin Camelia ; Le AmiChe ; Il Grido ; L'Avventura ; L'EClisse ; La Notte ; Deserto Rosso ; Blow up ; Zabriskie point ; ProFession : reporter ; IdentiFiCazione di una donna ; Al di là delle nuvole ; Il FiloperiColoso delle Cose ; répétition ; arrêt ; montage ; temps ; mouvement ; phénoménologie ; mémoire ; histoire ; Giorgio Agamben ; Walter Benjamin. Page 3 sur 158 Remerciements Je remercie pour leur aide et leur soutien, José Moure Guillaume Florian Mathieu et LuCas LuCile Marie et Benjamin Jean-MiChel Emeline, Sylvie et Emmanuel Page 4 sur 158 Introduction Page 5 sur 158 Michelangelo Antonioni est un cinéaste qui a traversé de nombreuses ères cinématographiques, époques et territoires compris. Loin d'être un cinéaste envahissant1, avec près d'une quinzaine de long-métrages sur un peu plus de cinquante ans d'activités cinématographiques, il débute la réalisation par des court-métrages documentaires (Gente del Pô, 1943-1947 ; N.U. [Nettezza Urbana], 1948 ; Sette canne, un vestito, 1949). Ses premiers films sont parfois évoqués par les textes critiques et théoriques comme ceux qui auraient pu contenir un manifeste du néo-réalisme naissant. Cependant, Antonioni ne refusant jamais tout à fait un cinéma narratif-représentatif, affranchit sa production de ce courant contemporain et opère un mouvement de pensée que certains pourraient qualifier d'inverse2 : revenir à l'intérieur de l'homme, scruter son intimité et mettre à jour les changements que les événements auraient possiblement entraînés en lui (Cronaca di un amore,1950 ; Signora sin camelia,1953 ; Le amiche,1955; Il Grido, 1957). Dans le courant des années 60, fait suite à ce premier mouvement, la « tétralogie », inaugurée par L'Avventura (1959), suivie de La Notte (1961), L'Eclisse (1962), et Il Deserto Rosso (1964). Un personnage féminin à l'intimité trouble, incarnée par Monica Vitti, en est l'épicentre. Ces films ont pour thématique commune : l'amour malade3. Vient alors une longue période durant laquelle Antonioni entreprend un voyage autour du monde jalonné par les réalisations, Blow up (1966) ; Zabriskie point (1970) ; Chung kuocina (1972) ; Professione : reporter (1975), avant de 1 Adjectif qualificatif entendu en termes de quantité réalisée. La carrière d'Antonioni compte bon nombre de projets 2 L'étude verra plus tard en quoi ce terme "inverse" n'est pas tout à fait exact, notamment grâce à l'analyse du néo- réalisme par Gilles Deleuze. En un sens, Michelangelo Antonioni a fait preuve d'une lucidité flamboyante sur ce que pouvait être la continuité du néo-réalisme italien. 3 Pour paraphraser Gilles Deleuze : "nous sommes malades d'Eros mais parce qu'Eros est lui-même malade". Divinité de l'amour, dans la théogonie d'Hésiode et chez les Orphiques, Eros était considéré comme un dieu créateur et l'un des éléments primordiaux du monde. Page 6 sur 158 revenir en Italie avec Identificazione di una dona en 19824. Le cinéaste, malade, tourne encore Al di la delle nuvole en 1995, il est alors aidé de Wim Wenders. En 2003, cette œuvre, tenante d'une grande cohérence, se clôturera avec un court-métrage de documentaire, Lo sguardo di Michelangelo, et un film en trois épisodes, Eros (2004), co-réalisé avec Steven Soderbergh et Wong Kar Wai. Son épisode s'intitule Il filopericoloso delle cose. « Cinéaste de l'incommunicabilité ». Afin de procéder à une qualification du travail de Michelangelo Antonioni, il y eut souvent la nécessité d'utiliser le préfixe « in » qui confère un aspect négatif aux objets d'étude. Comme si ce cinéma s'inscrivait dans la négation de quelque chose. Cela provient sûrement des transformations qui opèrent en nous après la vision d'un de ces films. Ces décalages sont si intimes que nous n'avons pas de lucidité immédiate sur la chose dont il est question. Beaucoup s’imaginent la modernité cinématographique comme absence non seulement de règles anciennes, mais aussi de règles tout court, c’est-à-dire comme des ruptures purement négatives et seulement théorisables par des concepts privatifs : déconstruction, dysnarration, inexistence de l’histoire, absence de personnage… Après avoir défini ce qu'a été le courant néo-réaliste pour lui, c'est en ces termes qu'il s'adresse au début de l'année 1961 aux élèves et professeurs du Centro Sperimentale di Cinematografia : Alors je m'interrogeais : qu'est-ce qu'il est important en ce moment d'examiner, de choisir comme sujet de mes récits, de mes histoires, de mon imagination ? Il m'a semblé qu'il était plus important non pas tant d'examiner les rapports entre le personnage et son milieu, que de m'attarder sur le personnage, sur l'intimité de celui- 4 Il mistero di Oberwald est en corpus secondaire, téléfilm resté au stade de l'expérimentation vidéo, pour la R.A.I., en 1980, avec Monica Vitti. Page 7 sur 158 ci, pour voir, parmi tous les événements - la guerre, l’après-guerre, tous les faits qui se produisaient encore et qui étaient si importants qu'ils devaient forcément influencer les individus - ce qui était resté de tout cela dans les personnages, quels étaient, sinon les transformations de leur psychologie ou de leurs sentiments, les symptômes de cette évolution ; la direction que commençaient à prendre les événements et cette évolution qui par la suite ont affecté la psychologie et les sentiments et, peut-être, qui sait ?, la morale de ces individus.5 Nous pouvons comprendre que le cinéaste pose là, en vérité, des préoccupations fortes en vue de sa création ultérieure. Intentions qu'Antonioni aiment à mettre en avant dans bon nombre d'interviews et d'écrits. Et bien que les critiques surent saisir les occasions de l'épingler sur ses intentions philosophiques et sociologiques, Pascal Bonitzer6 conclut toutefois que : « Ce n'est pas un écrivain, mais un cinéaste, et l'un des rares à mettre en jeu, dans ce qu'il met en scène, sa pratique »7. Et par ses intentions premières, ce sont bien des considérations sur la forme qui sont ici mises en exergue par Antonioni. D'une forme qui ne saurait se passer de la ré-actualisation d'un propos. Qui ne saurait se détourner de son empreinte dans le contemporain. Avant d'être cinéaste, Antonioni fut critique (de 1935 à 1949) et tout comme d’autres avant lui, il cherchait dans la théorie un outil pour penser le cinéma avant que sa pratique l'en libère. Et il est indéniable que son cinéma ne fut jamais « thèseux ». C'est à la lecture de l'article Le cinéma de Guy Debord écrit par Giorgio Agamben, tiré de son ouvrage Image et mémoire, écrits sur l'image, la danse et le 5 in les Cahiers du cinéma n°459, sept.1992, "la maladie des sentiments", p.52. Entretien paru dans la revue Bianco e Nero, n°2-3, fév.-mars 1961. 6 Tout en ayant évoqué auparavant les intentions "poussiéreuses" du cinéaste 7 in Le regard et la voix, Pascal Bonitzer, Union Générale d’Éditions, Coll.
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