1 nom de code: MHMT alias MUHAMMAD, fils d’Abdallah, père de Qasim, du clan des Hashim, de la tribu des Quraysh 2 570-610, environ, à peu près… 3 Présentation Enfin, car il fallu attendre (et toutes les sources musulmanes ne se sont intéressés aux temps précédents que dans l'attente de ce moment là), voici le moment où surgit le divin enfant. Au cours des années 570, un enfant naît, du nom de Muhammad, fils d’Abdallah. La tradition fixe la date de sa naissance en 570, par effet de synchronisme avec l'invasion dite "de l'Eléphant", les historiens contemporains ont tendance à remonter la date vers 572-3.1 T. Nagel propose l'hiver 571, au mois de Rabi al Awwal.2 Mais des données sassanides avancent la date en 575.3 Fabulant sans frein, la tradition populaire musulmane a développé à l’extrême cet épisode anodin en soi, qui se voit orné d’une multitude de légendes et d’événements miraculeux. La suite de la vie de Muhammad, la majorité du temps qu’il passe sur terre, celle où il ne se distingue en rien, est très mal connue, et les données fournies par la tradition musulmane 4 ne sont très peu sûres et rares , surtout si on les compare avec la période suivante. Le but d'une manipulation littéraire séculaire était de montrer que notre Muhammad vivait certes dans un monde païen, mais dans un état différent, sauvé de la souillure, muni de signes prodigieux et irréfutables qui attestaient de sa nature prophétique. Les moyens pour parvenir à un tel tableau sont de toute nature, et avec le recul, parfois un peu ridicules.5 L'essentiel de la tradition s'est construite au cours de la période abbasside, au IXème siècle, quand l'islamisme tente de revenir sur ses origines, trop évanescentes, pour mieux affronter les autres doctrines. Dès lors, il ne reste plus qu'à inventer. D'une certaine façon, le dogme méprise et rejette la vie de Muhammad avant la "prophétie", pour mieux exhalter sa vie ultérieure. On est frappé par la médiocrité du personnage tel qu'il est vu par les textes: presque rien de remarquable ne le distingue des autres; il est certes pétri, forcément de qualités, mais elles restent modérées dans leur 1 L'année de l'Eléphant elle-même n'offre aucune certitude; l'expédition, si l'on s'en tient à des données extérieures, aurait pu avoir lieu une vingtaine d'années auparavant; cf. partie VIII 2 T. Nagel, Mahomet, p.57. 3 A l'année 38 du règne de Khosroès II, qui a commencé en 537, soit 575. 4 Cf. Ali Dashti, (Twenty Three Years, p.2): "About Mohammad's life up to 610, when he reached the age of forty, nothing of any importance is recorded"; Ch. Wendell “The pre-islamic period of sirat al-nabi”, The Muslim World 62/1972; M. Abdul Rauf, “A muslim response to "the pre-islamic period of sirat al-nabi" , id. 62/1972 (cette dernière contribution, musulmane, indique à quel point la figure de Muhammad et sa défense forcenée restent d'actualité, y compris parmi les intellectuels, même dans les thèses les moins défendables. Ceux-ci feignent, consciemment ou non, une sorte d’aptitude à la souplesse de leur esprit, mais un sombre et antique conditionnement les redresse vite dans la posture de l'offensé, prêt à mordre, à tordre, à trancher et à rompre la conversation, sans jamais pouvoir se remettre en question. Tel est le jihad de la plume, ou du calame). 5 S. Stroumsa, « The signs of prophecy : the emergence and early development of a theme in arabic theological literature », Harvard Theological Review 78/1985 4 expression. Bref, tous ces écrivassiers marchent avec angoisse sur des tapis de dattes trop mûres et glissantes. Cependant, les exigences des fidèles ont provoqué un phénomène contraire, une fiévreuse curiosité, que tente d'épancher le flot d'historiettes qui sont souvent des copies naïves des traditions chrétiennes tout aussi sottes. Le Christ des chrétiens avait eu la chance, lui, d'être atteint par une "incarnation", qui mêle alors sa vie et sa fonction messianique. Aucun décalage ne vient rompre l'harmonie. Il faut pourtant en évoquer les grands moments, en n’oubliant jamais qu’il s’agit d’une reconstitution hagiographique , qui fait feu de tout bois, à l'image des Récits, des Logoi, de la vie des saints, thème littéraire répandu à cette époque dans le monde byzantin, et puissament efficace. Sans les hagiographies, le christianisme n'aurait peut-être pas survécu. La chance de l'historien réside dans la quantité gigantesque de textes produits sur le sujet, souvent difficiles d'accès: ils recèlent souvent des récits erratiques, des commentaires mal contrôlés, des renseignements involontaires, que la censure de la tradition n'a pas su 6 éliminer. Certaines tendances de l'historiographie7 mettent radicalement en doute l'existence même du personnage. Mais le concept d'existence, quand il s'applique à Muhammad, est inopérant: Don Quichote, Sherlock Holmes, Gargantua existent-ils? Bien sûr que non, et bien sûr que oui. Il est fort probable que le personnage a été construit , avec son nom8, au moins un siècle après sa mort supposée. Plus tard, trois siècles avec un luxe de détails, la Tradition s'est constituée , entre Bagdad et Damas, bien loin de la Mecque et de l'Arabie. Un prophète, cela se construit, peu à peu, et ce n'est pas un petit travail. On doit s'y mettre à plusieurs, et on y contribue en foules. Pourtant, le présent dossier prend le parti d'accepter l'hypothèse de l'existence de Muhammad , parce que cette existence a été prise comme référence par le monde musulman par la suite, devenant ainsi un véritable fait historique et culturel. Tout comme Don Quichote, Sherlock Holmes, Gargantua. Plus tard, nous parlerons de Don Quichote, Sherlock Holmes, Gargantua, et d'autres héros encore de l'aventure humaine. La vie de Muhammad avant la prédication. Quarante années sans rien faire de notable, et ensuite, bouleverser le monde entier: Muhammad a vraiment été inventé pour remonter le moral des Arabes qui, à 40 ans, 6 Cf. G. Newby, The making of the last prophet: a reconstruction of the earliest biography of Muhammad, Columbia 1989; J. Horovitz, "The Growth of the Mohammed Legend." Muslim World 10/1920, p. 49- 58. 7 K. H. Ohlig , G.R. Puin , Die Dunklen Anfänge , Neue Forschungen zur Entstehung und frühen Geschichte des Islam , Berlin , 2005 . 8 Cf. le nom de Muhammad, absent de l'onomastique arabe , et provenant d'une formule liturgique syriaque. 5 avaient le sentiment d’avoir raté leurs vies. Et ils étaient fort nombreux. Il est alors l’avatar de tous les wanabee du monde. Le raté qui réussit. Le rapport entre l'avant et l'après "Révélation" reste un abcès dans la production littéraire et imaginaire de l'islamisme; un accroc, une blessure d'amour-propre collective, un mal qui ronge d'angoisse. L'idée d'y penser suffit à perdre toute confiance dans la doctrine toute entière. Le matériel coranique contient des passages très clairs sur ce point, et son point de vue est presque tranquille, tandis que la Tradition postérieure y est entièrement allergique, et s'enferre dans des stratagèmes piétistes qui font sourire. Le but de ce chapitre est de faire sortir Muhammad de l'unicité prophétique. Déjà, l'unicité divine, nous lui ferons un sort, mais le prophète unique du dieu unique doit aussi subir le traitement. Les légendes islamiques, que l'on verra en détail jusque dans les outrances les plus exubérantes, nous offrent le portrait d'un individu miraculeux, exceptionnel, prodigieux, surnaturel, et surtout, issu de rien et n'allant nulle part: isolé, dans un monde désertique, où justement la société ne permet à personne d'être isolé. L'isolement permet plusieurs choses, il faut le signaler: d'abord, mettre en valeur, puis concentrer l'attention du public, prouver qu'il ne doit rien à personne, et la fin, privilégier la relation principale qu'il cultiverait, c'est-à-dire celle avec son dieu, Allah. Or, il n'en est rien. Si Muhammad a existé9, il n'a pas pu exister de cette manière. Il a vécu comme dépositaire de traditions tribale et clanique qui se superposent, et qui l'obligent, comme tout autre, à agir; il est transmetteur aussi, autant que dépositaire. Il a une fonction, ou des fonctions à remplir. Dans ces temps, où l'homme est rare, il n'est pas sur terre pour lui-même, mais pour les autres. Enfin, au quotidien, il vit avec les autres, tisse des relations nombreuses et complexes avec les individus et les groupes. S'il veut s'isoler, nous le verrons, il doit s'enfuir dans une grotte perdue, percée dans la montagne... (Corpus coranique d'Othman 10/17).10 Dis encore: si Allah avait voulu, je ne vous aurais pas communiqué cette prédication et il ne vous l’aurait pas fait connaître. Je suis demeuré une vie parmi vous, avant la prédication. Eh quoi! ne raisonnerez-vous pas? (Ibn Sad, Tabaqat II 384).11 Le prophète dit: 9 Cf. en introduction la complexité de cette conception de l'existence d'un personnage tel que Muhammad. 10 Trad. R. Blachère, Paris 1999. 11 Ed. Moinul Haq, Karachi (sans date). 6 -Ô Fatima! Aucun prophète n’a été appelé à la prophétie sans que sa vie après la prophétie ne soit la 12 13 moitié de sa vie d’avant. Isa ibn Maryam a été appelé à la prophétie pour 40 ans ensuite , et j’ai été appelé pour 20 ans ensuite.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages186 Page
-
File Size-