Promenade a Cheval Dans L'univers D'yves Brayer

Promenade a Cheval Dans L'univers D'yves Brayer

680 L'UNIVERS D'YVES BRAYER Palais d'Avignon et qui fut successivement donné à Fra Ange• lico et à Benozzo Gozzoli. On l'attribue aujourd'hui à un hypo• thétique Maître de la Madone de Buckingham Palace. Les maîtres du Quattrocento ne manquent pas dans cette pas• sionnante exposition où l'on voit la Vierge et l'Enfant du Vénitien Cima da Conegliano et surtout l'impressionnante Pietà de Cosimo Tura qui appartient à cette Ecole de Ferrare, si passionnante et si mal connue chez nous, dont la seule œuvre importante avec cette Pietà appartient au musée d'Ajac• cio et était dans un état lamentable la dernière fois que j'ai eu l'occasion de la voir. GEORGES CHARENSOL PAUL VIALAR PROMENADE A CHEVAL DANS L'UNIVERS D'YVES BRAYER Je n'ai jamais connu un homme de cheval digne de ce nom qui ne soit un homme véritable, un homme tout court. C'est sans doute cette compréhension, cette amitié du cavalier pour l'animal le plus noble qui soit, qui donne la mesure de celui qui, un jour, a découvert ce qu'était un che• val et avec fermeté, tendresse bientôt, a su s'imposer à sa monture qui, certes, a été pour lui une conquête, mais par consentement mutuel. L'UNIVERS D'YVES BRAYER 681 Yves Brayer est un de ces hommes-là et c'est peut-être ce qui explique le mieux la vigueur, la probité, la valeur et l'originalité de son œuvre jalonnée tout au long de tant d'an• nées par la tendresse du cheval. J'ai connu Yves Brayer il y a bien longtemps, vers les années 1930. C'était à l'occasion de son prix de Rome et je venais, jeune journaliste, l'interviewer pour mon journal. Il était encore chez ses parents et s'apprêtait à partir pour l'Italie, plus tard pour la Grèce, à la découverte de ce monde latin auquel il appartient par son tempérament, sa naissance, ses goûts, sa culture, venus de cette terre à laquelle, d'ins• tinct, il allait demander, comme un arbre le fait avec ses racines, de lui donner la force d'accomplir l'œuvre qu'il por• tait en lui et de laquelle il devait tirer le meilleur de lui-même. Et tout de suite, parmi les toiles qu'il me montrait, je vis des chevaux et je sus qu'il les comprenait et les aimait. Oui, des chevaux de toutes sortes, du Manège d'équitation au Marché aux chevaux à Fez, en passant par le Cheval mort après la corrida et à la Course du Palio à Sienne. Les chevaux ne quitteront plus la vie du peintre. Celui- ci, en effet, s'affirme. A onze ans il découvre la Provence. Ebloui — aux Baux par exemple — il lui faut traduire ce qu'il voit et surtout ce qu'il ressent. La sensibilité de sa mère l'y porte et l'y aide. Sans doute, comme le Corrège, a-t-il dit un jour : « Et moi aussi, je suis peintre ! » Peintre il l'est. Parfaitement. Totalement. Je ne connais guère de carrière plus ferme et faite de plus de volonté et de certitude. Comme pour tous les métiers des vrais créa• teurs — il en est de même pour les écrivains —, il faut com• mencer par l'humilité. La difficulté de peindre comme d'écrire fait de l'artiste, avant tout, un artisan. Il faut passer par le « métier » — mot noble à mes yeux —, faire ses outils soi- même, apprendre à les tenir dans sa main et à s'en servir. Il faut l'entendre expliquer justement comment il a procédé. Lors de son tout premier voyage en Espagne, il avait été enthousiasmé par les maîtres de la peinture espagnole qu'il avait découverte au musée du Prado. Leur enseignement et aussi le pays l'entraînèrent alors à restreindre sa palette : dominantes des tons ocres, et sur• tout des noirs. Il élimina presque totalement les bleus et les verts. Ce fut, en quelque sorte, sa « période noire » (les Ciga- rières à Séville, l'Etal, les Disgraciés). En Italie, il découvrit les chaudes harmonies des murs romains, de Sienne, de Venise. Certaines de ses toiles comme 682 L'UNIVERS D'YVES BRAYER ses ecclésiastiques à Rome, la Place des seigneurs à Vérone, illustrent aussi sa « période rouge ». Le contact avec la Provence en 1945 modifie alors tota• lement sa palette. Peu à peu il y ajoute le bleu de cobalt, les verts émeraude et de baryte. Lorsque le mistral balaye le ciel, la Provence ne peut être peinte que dans les tons froids. Et les rochers de calcaire blanc qui, partout, affleurent dans les Alpilles, puis en Camargue, les blancs des chevaux, des maisons, des plaques de sel qui, en été, parsèment le sol, font que l'on pourrait appeler sa période actuelle « période blan• che ». Course du Palio, par Yves Brayer Cependant, dans ses figures et les grandes natures mortes, il garde une forte fidélité aux harmonies espagnoles, aimant le noir qui fait chanter les autres tons comme dans la Nature morte aux bouteilles, les Artésiennes en costumes du dimanche. Certes l'envolée du créateur qui emporte tout est là, mais comment pourrait-elle se traduire si les outils n'étaient pas tenus d'une main solide d'ouvrier qui a su les créer pour lui-même. Dans une époque où régnent le faux-semblant et l'imposture, il faut être un homme pour ne pas se laisser L'UNIVERS D'YVES BRAYER 683 gagner par les possibilités qu'offrent la mode et le bluff, par un charlatanisme qui fait se moquer des autres sans se moquer soi-même. Je crois que les rapports de Brayer et du cheval ont été pour quelque chose dans cela. Je vais même plus loin : j'en suis persuadé. L'éducation qu'il avait reçue — l'équestre comme l'autre — a fait d'Yves Brayer ce qu'il est. Et c'est ce qui permet d'ajouter de l'affection à l'admiration qu'on lui -porte. Montrer Yves Brayer avec les chevaux de sa vie est une façon, la plus honnête je crois, de le peindre. En prenant une à une ses œuvres, on parcourt toute une existence qui n'aurait peut-être pas été aussi parfaitement ce qu'elle est sans ces rencontres et cette confrontation. Mais qui est Yves Brayer, quelle a été sa carrière ? S'inspirant d'une saine tradition de la nature, Yves Brayer est l'un des peintres contemporains des plus connus, dans la lignée des grands paysagistes français. Il est né à Versailles en 1907. Sa famille vint s'installer à Paris alors qu'il avait seize ans et il commença à étudier le dessin et la peinture dans les académies de Montparnasse, puis entra en 1926 à l'Ecole nationale des beaux-arts, et la même année il exposait pour la première fois au Salon d'au• tomne. En 1927, la bourse de voyage de l'Etat le décida à partir en Espagne où la révélation du Greco, de Goya, au musée du Prado, eut une importance décisive dans son évolution. L'an• née suivante, le prix du Maroc lui procurait l'occasion d'aller à Fez, à Marrakech. Mais- en 1930, le premier grand prix de Rome décidait de son long séjour en Italie. Durant ces trois années, il travailla d'abondance, allant des grands tableaux de composition à des figures, à des paysages urbains animés de personnages et à des scènes de rue, qu'il traduisait volon• tiers par des gouaches de grands formats ou des monotypes. En préface à l'une de ses expositions, Louis Gillet le décrivait ainsi : « Nous n'imaginons guère Yves Brayer qu'au soleil ; ce long, fin, grand garçon paraissait tenir de la nature du lézard :. l'Espagne, l'Italie, la Provence, étaient pour lui, une fois pour toutes, le pays du bonheur. Il avait trouvé le moyen de garder au milieu de la peinture moderne toute sa liberté. Il était né indépendant et invulnérable aux sys• tèmes. Dans la lignée des chronologies des Rome successives, celle de Poussin, celle d'Hubert Robert, celle de David, celle de Corot et de Léopold Robert, il y aura désormais une Rome 684 L'UNIVERS D'YVES BRAYER d'Yves Brayer rapide, pressée, pittoresque, magnifique, où l'activité la plus moderne s'encadre dans la noblesse du décor historique et devient elle-même un moment de l'histoire. » En 1934, à son retour d'Italie, il réunit ses œuvres dans la grande salle de la galerie Charpentier à Paris qui révéla au public son tempérament de peintre authentique. Après sa période espagnole et italienne, qui se prolongea jusqu'en 1939, il allait découvrir les richesses de son propre pays, dans le sud de la France, tout d'abord dans la région d'Albi, à Cordes, où il groupa autour de lui quelques artistes pendant les années de la guerre. Puis, en 1945, sa rencontre avec la Provence et la Camar• gue allait marquer une évolution dans son œuvre. Jusque- là il avait été attiré par les villes, leurs architectures et leur population. En Provence, il s'aperçut qu'il existait d'autres harmonies que celles créées par l'esprit des hommes : celles de la nature pure. La Camargue aux vastes étendues de ma• rais et de terres salées, peuplées de chevaux blancs et d'oiseaux, l'entraîna à des peintures et aquarelles toutes dif• férentes. Sa palette s'éclaircit et son souci dominant devint l'expression de la lumière et de la poésie de ce pays qui lui imposait sa solitude.

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