Villages disparus L’automobiliste qui emprunte la départementale 45 entre Ernolsheim et Ergersheim voit un moment sur sa gauche un panneau signalant une chapelle Saint-Michel. Si la curiosité le pousse à obliquer dans les vignes, un chemin goudronné le mène à une modeste construction de moellons coiffée d’un clocheton. C’est la chapelle Saint-Michel. Cette chapelle fi- gure sur les cartes anciennes sous le nom de Rimlen Kapelle, ce qui ne renvoie pas à un saint, mais à un nom de lieu, Rimlheim. La chapelle est en effet la dernière trace d’un village disparu. Si elle n’est pas devenue une ruine envahie par les ronces, c’est qu’elle est aujourd’hui entrete- nue et visitée. Chaque année, le 30 septem- bre, une messe y est dite en souvenir des anciens habitants de la localité disparue. Sur la porte de l’édifice, un petit texte rappelle comment ce village a sombré. Les indices de son déclin deviennent évidents en 1545. A ce moment, l’appauvrissement est tel que le ban est vendu à Ergersheim. Au début du 17e siècle, à la veille de la Guerre de Trente Ans, il ne reste plus que 5 maisons. Les facteurs fondamentaux du déclin sont la pauvreté du terroir et les inondations fréquentes de la Bruche. En 1664, on signale beaucoup de friches et de forêts, ce qui montre un recul irréparable de l’emprise humaine. Le cas de Rimlheim n’est pas isolé. Les historiens ont détecté près de 500 villages disparus sur les deux départements alsaciens. Rien que dans le Kochersberg, terroir pourtant riche, 40 villages sont portés disparus entre les 15e et 17e siècles. Il semble que les habitats abandonnés ou détruits soient particulièrement nom- breux au pied des Vosges. Voici quelques exemples de villages fantômes. Non loin de Rimlheim, Vreindorff apparaît sur la carte Cassini le long de la Bruche, à la hauteur d’Ernolsheim. Le nom pourrait être un *Fröndorff, « village corvéable ». A la sortie ouest de Strasbourg, l’historien tombe sur le cas d’Otenkel, village signalé au 12e siècle près de la Bruche, sur la même rive que Koenigshoffen. Ses habitants ont, semble-t-il, migré vers Strasbourg, de sorte que son souvenir se réduit à un nom dans les chroniques. Ce nom peut se décomposer en Otten, forme locale pour Otton, et kel, qui désigne une gorge ou un fossé. Le tout aurait signifié « le fossé / le chemin creux d’Otton ». Tout le monde se souvient de la bière d’Adelshoffen. La brasserie se trouvait à Schiltigheim. Mais qui sait encore que ce nom est celui d’un village disparu, et au bout de quelles tribulations ? D’anciens textes placent Adelochshoffen entre Koenigshoffen et la Bruche. En 1392, alors que la guerre fait rage entre la ville de Strasbourg et l’un de ses évêques, le village est rasé par la municipalité pour éviter que les troupes ennemies ne s’y installent. Ses habitants obtiennent alors de s’établir au bas de Schiltigheim, entre les actuelles rues de la Glacière et d’Adels-hoffen. On a donc ici un déplace- ment délibéré et non hostile d’une popula- tion. Adelshoffen est intégré à Schiltigheim au 16e siècle. Le nom d’Adels- hoffen est construit sur Adeloch, évêque de Strasbourg, qui fut précepteur de Louis le Pieux, fils de Charlemagne. L’élément hoffen ou hoven désignait une cour, une ferme ou un domaine. L’évêque aurait donc possédé à cet endroit une propriété rurale. Hattisheim. Au sud de Geispolsheim, dans la forêt du Bruch de l’Andlau, se trouve la chapelle d’Hattisheim, consacrée à Notre- Dame des Sept Douleurs. Ce lieu de pèlerinage daterait du 14e siècle. La Vierge serait apparue à un jeune du village qui gardait des chevaux dans les prés de la commune. Le berger décida de construire un modeste oratoire sur le lieu de l’apparition, à 2 km d’Hattisheim Le site attira ensuite de nombreux pèlerins, particulièrement des bergers. La chapelle fut à plusieurs reprises détruite. Par les Armagnacs d’abord, en 1444, en même temps que le village d’Hattisheim ; puis au moment de la bataille d’Entzheim en 1674 ; enfin, en 1833, par un incendie. Le petit sanctuaire fut chaque fois reconstruit grâce à l’attachement de la population de Geispolsheim. Il constitue la dernière trace d’Hattisheim, le « village d’Hatto ». Près de Blaesheim , au lieu-dit Gemeinfeld, se trouvait jadis le village d’Undoltzheim. En 1823, il n’en restait plus que le ban, en quelque sorte son fantôme. Il fut partagé entre les communes de Blaesheim et Entzheim. Ratzendorf est généralement utilisé comme un surnom du quartier de Neudorf, et ses habitants sont des Ratzederfler. En fait, Neudorf, littéralement « le nouveau village », ne s’est développé qu’au début du 19e siècle, aux dépens d’un village de Ratzendorf. L’origine du nom n’est pas établie, et la carte Cassini signale à cet endroit un Ryshoffen. Altbronn, « le vieux puits », se trouvait entre Ergersheim et Dahlenheim. De loin, au milieu des champs de maïs, on distingue une série d’habitations et un clocher. Il y avait là jadis un village florissant, dont les origines remontaient au début du Moyen-Age. Mais la localité subit un premier choc, avec la peste de 1348, venue d’Asie. En 1397, l’évêque Guillaume de Diest décida d’élever officiellement l’église d’Altbronn au rang de pèlerinage en l’honneur de la « Reine toute Pure ». Le but était évidemment d’attirer de l’activité. Le pèlerinage connut pourtant un déclin au moment de la Réforme, et le village se dépeupla. Aujourd’hui, le sanctuaire est entretenu par les pèlerins et la commune voisine. Ittlenheim. Le village d’Utilenchaime apparaît dans les textes en 742. Son nom signifie « village de ceux d’Utilo ». Ittlenheim est un cas rare de village abandonné par ses habitants, inhabité pendant deux siècles, puis reconstruit. Son déclin est perceptible fin 15e siècle, puisque dès 1470, les paysans des villages voisins Dossenheim, Fessenheim, Kleinfrankenheim, Kuttolsheim, Neugartheim et Schnersheim se mettent à exploiter son ban. En 1508, on n’y trouve plus que deux habitants. En 1660, lors de la rédaction du terrier (Bannbuch), on mentionne 7 corps de biens, qui correspondaient certainement à ce qui restait du village. En 1695, les seigneurs du village, désireux de lui donner une nouvelle prospérité, somment les habitants de Neugartheim de venir s’établir sur le ban d’Ittlenheim sous peine de perdre la jouissance de leurs champs. En cas de refus, ils y installeront des étrangers. En 1697, après des négociations difficiles, 9 paysans de Neugartheim démontent leurs maisons, granges, étables, et les reconstruisent à l’emplacement du village disparu. En 1724, ce dernier est bien vivant : on y compte 17 maisons, ainsi que celle du berger, l’école, la grange commune et l’église. C’est la base du village actuel. Ittlenheim a pourtant fusionné avec Neugartheim en 1972. On ne sait rien de solide sur les causes de l’abandon d’Ittlenheim, mais on a, ici encore, une intervention des autorités, en l’espèce, la seigneurie, qui n’avait aucun intérêt à voir disparaître une communauté, c’est-à-dire une source de revenus. Oberfuert (Nordhouse) : Les fouilles menées à cet endroit ont montré une occupation datable du 9e au 11e siècle, sur une terrasse inondable du Rhin. On est en présence d’un semis lâche de constructions. Les archéologues ont pu distinguer 3 phases, entre lesquelles les habitations se déplacent de quelques dizaines de mètres. Cela s’explique par le mode de construction, en bois et en terre, qui oblige à des reconstructions régulières. Les habitants, parmi lesquels figuraient apparemment quelques notables, vivaient essentiellement de l’agriculture et de l’élevage. Oberfuert illustre le caractère très instable de l’habitat au début du l’élevage. Oberfuert illustre le caractère très instable de l’habitat au début du Moyen-Age. Le déplacement est apparemment dû à des contraintes techniques. Le sens du nom est « gué d’en haut ». La toute proche Nordhouse est elle-même une illustration de ce qu’ont dû affronter les villages alsaciens au cours de leur histoire. Nordhouse a été incendié en 1262 au cours de la lutte entre Strasbourg et son évêque, ravagé par les Armagnacs au 14e siècle, puis pendant la Guerre de Trente Ans par les Suédois. Pourtant, Nordhouse à la différence de Rimlheim, a toujours trouvé la force de se reconstituer. Le sens du nom est « château du nord ». Il se situe dans la même logique que Westhouse, Osthouse et Sundhouse. Avant de clore la liste, sortons un instant de la région de Strasbourg. A l’est d’Epfig, les cartes anciennes signalent un lieu-dit Calweiller. Un lieu-dit se terminant par –weiller a de quoi surprendre en plein champ. Il est dérivé du latin villaris, « établissement agricole », mais ne trahit pas une présence romaine. Il était utilisé dans la langue de l’empire franc, et on le trouve le long de l’axe rhénan, qui en était le cœur. Il est la trace d’une colonisation agricole carolingienne. Dans ce cas, Calweiller nous rappelle que jadis des paysans menés par un certain Karl se sont établis là. En effet, Cal est une déformation de ce nom très courant à l’époque. Au ras du sol, l’observateur ne voit plus rien de l’ancien village, mais les photos aériennes permettent de voir, alignées sur les anciens chemins menant d’Epfig à Stotzheim, des lignes plus claires se détachant dans les champs. Que nous ap- prennent ces quel- ques cas ? Le tissu des villes et villages d’Alsace n’a trouvé de répit qu’au 18e siècle, lorsque l’Al- sace est devenue française.
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