LA HONTE ET LA CULPABILITÉ: DESTINS DE FEMMES DANS LES RÉCITS ALGERIENS DU XX e ET XXI e SIÈCLE by FLORINA MATU METKA ZUPAN ČIČ, COMMITTEE CHAIR CARMEN MAYER-ROBIN BRUCE EDMUNDS JEAN LUC ROBIN ADRIENNE ANGELO A DISSERTATION Submitted in partial fulfillment of the requirements for the degree of Doctor of Philosophy in the Department of Modern Languages and Classics in the Graduate School of The University of Alabama TUSCALOOSA, ALABAMA 2012 Copyright Florina Matu 2012 ALL RIGHTS RESERVED ABSTRACT This dissertation aims to explore a variety of representations of shame and guilt in twentieth and twenty-first century Algerian works written by women. More specifically, I argue that in three recent autofictional works by Assia Djebar ( Nulle part dans la maison de mon père ), Maïssa Bey ( Bleu blanc vert ) and Leïla Aslaoui ( Coupables ), by exposing feelings of shame and guilt, the authors accomplish a surprising task. Despite the negative connotation of these terms and the fact that those who bear them would normally choose to hide them carefully, shame and guilt, as experienced by the female characters in these works, open the door to feminine emancipation. In a patriarchal society in which revealing oneself and one’s feelings, especially as a woman, is a shameful act and a serious violation of modesty, the three authors invest their female characters with the authority to speak and to rebel against the norms of what should be an obedient Muslim woman. In addition to a thorough textual analysis developed in the three independent chapters dedicated to the three works of Djebar, Bey and Aslaoui, my dissertation displays a solid interdisciplinary component. It relates to socio-criticism, psychoanalysis, Film Studies, post-colonialism, and feminism. The Algerian society before and after the Independence is portrayed through the eyes of women authors and includes the analysis of shame and guilt, using cultural and psychological criteria specific to Islam. This project will show how these female characters overcome the shame of their bodies and the look of the others upon them, the guilt to be a woman, to lose one’s virginity before marriage and, overall, to trespass the forbidden and to violate the norms that establish a model of behavior for the women in the ii Algerian patriarchalsociety. By exploring the themes of shame and guilt, my research reinforces the new tendency in contemporary Algerian literary works in which authors focus more and more on individual needs and aspirations and do not treat their characters as insignificant members of their community. iii DEDICATION I dedicate this dissertation to my beloved grandparents, Adina and Valerian Oprisan. iv ACKNOWLEDGEMENTS I would like to express my gratitude for my dissertation director, Metka Zupan čič, for her patience and thoughtfulness in reading my work and for motivating me to become a better scholar. What a great privilege to benefit from her knowledge and professionalism and to be inspired by her immense love for Francophone literature! I would also like to thank my committee members Carmen Mayer-Robin, Adrienne Angelo, Bruce Edmunds and Jean Luc Robin for their helpful suggestions in shaping this project, their invaluable contribution to my education and their kindness. I am equally grateful to my family, Danut, Elena and Oana Matu who have always believed in me and offered me unconditional love and support. My warmest thank you goes to my incredibly supporting and loving partner, Bill Aspinall who has patiently and proudly stood by my side in every step of my doctoral studies. v TABLE DE MATIÈRES ABSTRACT………………………………………………………ii DEDICATION……………………………………………………iv ACKNOWLEDGEMENTS………………………………………v TABLE DE MATIÈRES…………………………………………vi I. INTRODUCTION………………………………………………1 1. La littérature algérienne écrite par les femmes: entre l’évolution spectaculaire et le défi……………………………………………..1 2. La honte et la culpabilité: définitions et contextes socio- culturels…………………………………………………………..12 3. Structures théoriques et méthodologiques du projet…..............23 II. CHAPITRE I: Nulle part dans la maison de mon père : le paradoxe du féminin mobile mais sous contrôle…………….…...29 A. Assia Djebar, pionnière d’une esthétique sans frontières…….29 B. L’enfance: être la fille du père, entre le privilège et le handicap…………………………………………….....................39 C. L’adolescence: la naissance d’une mobilité illusoire…………50 D. Au seuil de l’âge adulte: dans le tourbillon de la culpabilité…61 III. CHAPITRE 2: D’une génération à l’autre: Bleu blanc vert ou la dynamique de la honte féminine………………………………74 A. Maïssa Bey et le défi identitaire: la femme, l’écrivaine, l’Algérienne………………………………………………….......74 B. 1962-1972: l’euphorie d’une génération…………………...…83 C.1972-1982: la honte de la sexualité féminine………………...104 vi D. 1982-1992: la crise politique et domestique………………...118 E. Les tangentes dans le roman et le film algérien……………..128 IV. CHAPITRE 3: La culpabilité sans issue?..............................134 A. Leïla Aslaoui: l’écriture contre l’oubli………………………140 B. Les coupables devant la loi………………………………….149 C. Les coupables devant les normes traditionnelles……………171 D. Les correspondances………………………………………...171 V. CONCLUSION……………………………………………...182 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES……………………….186 vii INTRODUCTION 1. La littérature algérienne écrite par des femmes, entre l’évolution spectaculaire et les défis La littérature francophone a accordé pendant les vingt dernières années une place privilégiée aux œuvres des écrivains provenant de l’espace maghrébin. Peu à peu, cet intérêt a augmenté afin de comprendre les créations cinématographiques des metteurs en scène nord- africains dont les productions se fraient le chemin dans une industrie très dynamique. Dans le cadre de ce domaine de la littérature nord-africaine de langue française, caractérisé par sa variété, son originalité et son besoin d’évoluer, la littérature nationale algérienne a connu une progression lente mais prometteuse. Transnationale et hybride, elle occupe une place solide dans la production littéraire postcoloniale. Dans son livre La d iasporisation de la littérature postcoloniale: Assia Djebar, Rachid Mimouni , Hafid Gafaïti met en évidence ce progrès spectaculaire: Aujourd’hui, la littérature algérienne appartient et s’inscrit plus que jamais dans une sphère culturelle qui dépasse les régionalismes et les ethnicités, qui va au-delà des lectorats nationaux et transcende les espaces culturels maghrébins et français déterminés par le dualisme et les rapports de dépendance hérités de l’Histoire auxquels elle était limitée. (256) Quoique sinueux, le parcours au féminin dans ce champ littéraire tellement actif s’est souvent heurté à plusieurs obstacles. Dans l’espace maghrébin, l’écriture des femmes, étant une manière d’expression des pensées et de la créativité de ces dernières, s’avère incompatible avec la pudeur 1 et la réserve qui doivent caractériser le comportement féminin. Pour les femmes à qui on a tendance à réserver exclusivement le domaine de la vie privée, oser écrire et surtout publier est synonyme de la honte de se dévoiler en public, par l’intermédiaire d’une prise de parole trop téméraire et complètement en dehors des valeurs de la société traditionnelle musulmane. Ces restrictions expliquent la raison pour laquelle la première auteure algérienne qui a franchi les limites de ce domaine réservé aux hommes a publié son premier récit assez tard, en 1947. Le nom de cette pionnière est Djamila Debèche et ses romans, Leïla, jeune fille d’Algérie (1947) et Aziza (1955), sont investis, d’après Marta Segarra, d’un caractère révolutionnaire. Tout en vantant les mérites de ces deux romans, à savoir la séparation de l’individu de son milieu traditionnel et familial, Segarra, l’auteure de l’article « Le roman féminin en Algérie », explique combien la publication des deux récits a représenté le premier pas vers l’évolution de la littérature féminine algérienne. Elle les décrit de manière enthousiaste et objective, en les désignant aussi comme « les premiers textes émancipés, jusqu’à un certain point, de la tutelle coloniale, du moins dans leurs intentions, qui sont celles de décrire, de l’intérieur et non de l’extérieur, comme le faisaient certaines romancières coloniales, la réalité des femmes maghrébines » (255). Du point de vue de la thématique, les récits algériens de langue française de la première moitié du vingtième siècle étaient souvent réduits à de simples documents ethnographiques, voire des descriptions de la vie traditionnelle, et dans les années soixante, à de textes mis au service de l’histoire, avec des récits guerriers d’après l’Indépendance. Un écart par rapport à ces tendances s’est produit timidement dès les années cinquante lorsque ces récits ont commencé à traiter, peu à peu, des sujets qui échappent à la tentation idéologique. Ainsi retrouve-t-on des symboles et des mythes dans Nedjma (1956), par Kateb Yacine. Dans l’ouvrage Le Roman 2 algérien de langue française: vers un espace de communication littéraire décolonisé ? Charles Bonn insiste sur « l’édifice sclérosant de la famille » (26) et la manière critique et révolutionnaire dont ce thème a été traité par Rachid Boudjedra dans son roman La répudiation (1969). On y ajoute deux autres thèmes osés, à savoir le corps féminin et le désir dans L’Amour, la fantasia par Assia Djebar (1985). Le chemin que leurs auteurs ont parcouru a été difficile, tout d’abord à cause des limites imposées par les maisons d’édition algériennes, de la censure et des carences d’une presse spécialisée qui aurait pu les promouvoir. Beaucoup d’écrivains et d’écrivaines ont été obligés d’écrire sous pseudonyme (voir les cas d’Assia Djebar et de Maïssa Bey) pour se protéger de la famille et des autorités. Les années quatre-vingt-dix, profondément marquées par la violence et le terrorisme islamiste, ont représenté un vrai défi pour les écrivains de ce pays. Les femmes ont été les premières victimes des atrocités des Islamistes. Tout en s’inspirant de leurs expériences ou celles des autres algériennes, les écrivaines ont promptement illustré dans leurs œuvres littéraires l’impact que le régime violent a eu sur leur vie.
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