Siècles Cahiers du Centre d’histoire « Espaces et Cultures » 49 | 2020 Révolutionnaires et communautés utopiques (1789-1848) Le projet de « colonie agricole, industrielle et commerciale » : un engagement utopique et révolutionnaire du colonel Fabvier en Grèce ? The “Agricultural, Industrial, and Commercial Colony” Plan: Colonel Fabvier’s Utopic and Revolutionary Activism in Greece? Walter Bruyère-Ostells Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/siecles/7548 ISSN : 2275-2129 Éditeur Centre d'Histoire "Espaces et Cultures" Référence électronique Walter Bruyère-Ostells, « Le projet de « colonie agricole, industrielle et commerciale » : un engagement utopique et révolutionnaire du colonel Fabvier en Grèce ? », Siècles [En ligne], 49 | 2020, mis en ligne le 22 septembre 2020, consulté le 25 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/siecles/ 7548 Ce document a été généré automatiquement le 25 septembre 2020. Tous droits réservés Le projet de « colonie agricole, industrielle et commerciale » : un engagemen... 1 Le projet de « colonie agricole, industrielle et commerciale » : un engagement utopique et révolutionnaire du colonel Fabvier en Grèce ? The “Agricultural, Industrial, and Commercial Colony” Plan: Colonel Fabvier’s Utopic and Revolutionary Activism in Greece? Walter Bruyère-Ostells 1 Les vétérans napoléoniens ont circulé dans l’espace atlantique et dans l’espace méditerranéen après 1815. Pour une large partie d’entre eux, il s’agissait de servir par les armes ; pour tous ou quasiment, il s’agissait aussi de participer d’une nouvelle vie, de s’inscrire dans un projet politique et social nouveau. En cela, leur démarche comprend une dimension utopique. La plupart de ces militaires n’ont pas un bagage intellectuel suffisamment solide pour qu’on puisse contextualiser leur pensée sur le plan des idées philosophiques. Même si ce constat pourrait être élargi à de nombreux officiers, il convient de noter que le colonel Fabvier y échappe. L’homme est d’une autre envergure. On peut le mesurer grâce à la conservation de ses papiers personnels aux archives départementales de la Meurthe-et-Moselle. 12 cartons permettent d’approcher la vie de Fabvier dont 4 sont consacrés à la Grèce ; ils contiennent sa correspondance, ses écrits publics, des documents administratifs sur les fonctions qu’il a occupées, etc.1. Né en 1782 à Pont-à-Mousson dans une famille aristocratique – nous y reviendrons –, il a servi dans différentes missions diplomatiques en Orient (en Perse notamment sous l’Empire). Il se distingue pendant la campagne de France, notamment dans la défense de Paris sous les ordres de Marmont. Sous les Cent-Jours, il rejoint un corps franc pour la défense de la frontière pendant la campagne de Belgique. Il s’oppose à la Terreur blanche. En 1817, il devient une figure de premier plan de l’opposition libérale en publiant Lyon en 1817. Dans cette brochure, il examine la « réaction Siècles, 49 | 2020 Le projet de « colonie agricole, industrielle et commerciale » : un engagemen... 2 royaliste » dans la capitale des Gaules2. Aide de camp du maréchal Marmont dépêché sur place, il doit faire la lumière sur un soi-disant « complot bonapartiste » déjoué par le gouverneur militaire, le général Canuel, qui en profite pour mettre en œuvre une puissante répression dans la ville. Comme Fabvier met en lumière le rôle d’agents du pouvoir qui excitent et poussent à l’insurrection pour mieux la mater, il est condamné en diffamation et mis en retraite. Il fait alors le choix de la voie armée contre la Restauration. Il participe notamment au complot du Bazar français avant de rejoindre l’Espagne en 1823. L’insurrection grecque a éclaté deux ans plus tôt pour se libérer de la tutelle ottomane. Si la diaspora – avec l’Hétairie dirigée par Alexandre Ypsilenti – est motrice dans le déclenchement de la guerre d’indépendance en mars 1821, les Grecs sont rapidement soutenus par des philhellènes européens à Corfou et dans le Péloponnèse. Des combattants, notamment des étudiants allemands, viennent grossir leurs rangs dès la première année mais le philhellénisme se structure surtout à partir de 1823 lorsque des élites d’horizons divers (le banquier suisse Eynard, le poète anglais Byron, Chateaubriand en France, etc.) rejoignent les grands comités, comme celui de Londres3. C’est dans ce contexte que Fabvier rejoint la Grèce dans l’hiver 1823-1824. Là, il va devenir le principal artisan de la constitution d’un corps régulier, et ainsi l’une des grandes figures du philhellénisme et de l’indépendance grecque. Il exerce ce rôle majeur à partir de 1825. En réalité, son arrivée est initialement guidée par un projet de colonie agricole, industrielle et commerciale, dont le texte est conservé dans ses archives4. 2 À travers Fabvier et ce projet, on mesure combien l’opposition à la Restauration est un creuset au sein des différents courants de l’opposition, dans lequel sont explorées des voies de transformations politiques et sociales, certaines pouvant relever de l’utopie. Fabvier est ainsi un dirigeant actif au sein de la charbonnerie comme Étienne Cabet. Les cercles de sociabilité d’opposition comprennent des saint-simoniens qui fréquentent Charles Fourier. À travers la présentation de ce document, il s’agira de voir dans quelle mesure le projet de colonie de Fabvier s’inscrit dans la circulation de modèles utopistes et comment il s’en distingue. Pour le dire autrement, ce document permet de voir comment Fabvier s’inspire des idées en circulations et comment ce texte montre la sensibilité politique propre qu’il incarne au sein des oppositions. La présentation du document lui-même permet de l’inscrire dans ces idées utopiques en circulation dans les cercles d’opposition en Europe, en Amérique du Nord et en Méditerranée. Fabvier inscrit son projet dans l’idée qu’il se fait de l’héritage moral et politique de la Révolution française, notamment à la lueur de son expérience de 1817, et dans ses prolongements sous les Restaurations. Pour autant, se dégage surtout de ce texte un projet modernisateur dans le cadre de la construction nationale grecque. Le « paradigme indiciaire » : Fabvier et les projets utopiques à l’aune d’une proposition 3 Le projet de Charles Fabvier est un texte non titré et non daté de six pages5. Après son premier séjour entre la fin de l’année 1823 et le printemps 1824, le colonel français étudie la société grecque, sa population, ses activités économiques mais aussi ses capacités militaires : « Je passai plus d’un an à apprendre la langue, à étudier avec soin l’esprit de ce peuple et la marche de son insurrection […]6 ». Sa bonne connaissance de la situation est renforcée par la tournée des comités philhellènes qu’il effectue dans Siècles, 49 | 2020 Le projet de « colonie agricole, industrielle et commerciale » : un engagemen... 3 cette même période de l’année 1824, principalement en France, en Belgique et en Angleterre. Finalement, quand il revient en Grèce en 1825, il prend la tête du corps régulier. 4 C’est probablement au cours de cette période comprise entre la fin de l’année 1823 et le printemps 1825 qu’il rédige son projet. En effet, les défaites des transfuges face à l’intervention de l’armée conduite par le duc d’Angoulême et leur nécessaire fuite d’Espagne expliquent son intérêt pour une installation en Grèce7. Par ailleurs, la volonté de participer à la fondation d’une colonie indique qu’il n’a pas encore de proposition pour assurer le commandement des forces régulières mises en place par et pour le gouvernement grec. Il n’y a aucune trace dans les papiers de Fabvier – ni, à priori, dans aucun autre dépôt français d’archives publiques – qui permette d’avoir la certitude que ce texte ait bien été adressé au gouvernement grec, et encore moins qu’une réponse y ait été apportée. On ne peut pas non plus établir de réalisation concrète de ce projet (à quelques nuances près, sur lesquelles il conviendra de revenir). Le reste de la correspondance conservée dans la même liasse ne semble pas avoir de rapport direct avec le document puisqu’y sont réunies des lettres du colonel Fabvier au gouvernement grec et à d’autres autorités hellènes entre 1824 et 1827. Un document dans l’esprit des idées utopiques 5 Ce texte ressemble à bien des égards à un brouillon de contrat. Raturé ici ou là, il est composé de seize articles qui définissent les relations entre Charles Fabvier, ou les colons, et le gouvernement grec. La dimension contractuelle occupe une place importante puisque Fabvier envisage les modalités nécessaires à sa colonie en fonction de différentes hypothèses de relations avec le gouvernement, dont il ne sait quelles formes seront finalement retenues (prix d’achat, imposition, etc.). Ces articles sont précédés d’une introduction d’à peine une page. Après les articles, un court développement évoque les intentions générales et les prolongements potentiels du projet, en accord avec la mise en place d’une nation grecque indépendante. L’introduction précise ainsi qu’« étant venu d’Europe dans l’intention de proposer au gouvernement grec l’établissement d’une colonie », Fabvier sollicite « une concession de 3 à 4 000 arpents8 de terres cultivables » qu’il s’engage à mettre en valeur et à payer par dixièmes à partir du 1er janvier 18269. Son projet se rapproche donc fortement (et sans doute s’en inspire) de la colonie de la Vigne et de l’Olivier aux États-Unis. Menée par des vétérans napoléoniens dont le général Lallemand, avec lequel Fabvier a notamment été en contact en Espagne, une colonie agricole est fondée dans la vallée de la Tombigbee en Alabama en 1817 à partir de l’octroi de terres dans des conditions avantageuses grâce à une loi adoptée par le Congrès la même année10. 6 En définissant les relations contractuelles avec l’État grec, Fabvier montre combien il est soucieux de construire un fonctionnement propre à la colonie.
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