Ode Aux Fusillés D'octobre

Ode Aux Fusillés D'octobre

w Octobre Le vent qui pousse les colonnes de feuilles mortes Octobre, quand la vendange est faite dans le sang Le vois-tu avec ses fumées, ses feux, qui emporte Le Massacre des Innocents Dans la neige du monde, dans l’hiver blanc, il porte Des taches rouges où la colère s’élargit ; Eustache de Saint-Pierre tendait les clefs des portes Cinquante fils la mort les prit, Cinquante qui chantaient dans l’échoppe et sur la plaine, Cinquante sans méfaits, ils étaient fils de chez nous, Cinquante aux regards plus droits dans les yeux de la haine S’affaissèrent sur les genoux Cinquante autres encore, notre Loire sanglante Et Bordeaux pleure, et la France est droite dans son deuil. Le ciel est vert, ses enfants criblés qui toujours chantent Le Dieu des Justes les accueille Ils ressusciteront vêtus de feu dans nos écoles Arrachés aux bras de leurs enfants ils entendront Avec la guerre, l’exil et la fausse parole D’autres enfants dire leurs noms Alors ils renaîtront à la fin de ce calvaire Malgré l’Octobre vert qui vit cent corps se plier Aux côtés de la Jeanne au visage de fer Née de leur sang de fusillés Pierre Seghers, 1941 (repris dans La Résistance et ses Poètes. France 1940-1945, 1975) Ode aux fusillés d’octobre Apprenant l’exécution des otages de Châteaubriant (1) au lendemain du 22 octobre 1941, Pierre Seghers écrit le poème Octobre. Il sera publié pour la première fois sans signature en 1942 dans la revue Traits, dirigée par François Lachenal, haut fonctionnaire suisse. ils d’un photographe ruiné, Pierre Seghers, né en 1940 sur la liste Otto (2)] : « Beau mensonge, que l’art ; F1906, a grandi à Carpentras. Entré au Cadastre si pourtant tu étais la seule vérité ». En décembre 1939, comme surnuméraire, il est muté à Paris à dix-neuf ans. Louis Aragon, l’un des premiers abonnés, lui adresse Passionné de poésie, il créera sa propre maison d’édition un poème inédit Les Amants séparés. Max Jacob, Jules pour publier sous le titre Bonne Espérance, ses propres Romains, Gaston Gallimard sont parmi les abonnés. poèmes en 1938. En 1939, mobilisé à Nîmes dans la Chaque numéro est consacré à une figure de la Grande caserne jadis occupée par Guillaume Apollinaire, il Guerre : Apollinaire, Charles Péguy, Alain Fournier… décide de publier une revue de poètes-soldats titrée Démobilisé en zone sud, Pierre Seghers s’installe à Poètes casqués ou P.C 39, « revue des poètes de la résis- Villeneuve-lès-Avignon. tance ouverte à toutes les voix ». En note finale de chaque Il travaillera à « rassembler tous ceux qui veulent numéro, une citation d’André Suarès [qui figurera dès maintenir l’espérance » par la poésie. « Face à lll (1) le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel Karl Hotz, responsable des troupes d’occupation de la région est abattu à Nantes. En représailles, le 22 octobre 1941, les autorités allemandes d’occupation fusillent, 48 prisonniers otages à Châteaubriant, Nantes et Paris. Le 24 octobre 1941, 50 autres otages sont fusillés au camp de Souge à Partignas-sur-Jalle près de Bordeaux après l’exécution de Hans Reimers, conseiller juridique de l’administration militaire d’occupation allemande. (2) La liste Otto, du nom d’Otto Abetz ambassadeur d’Allemagne à Paris reprend le principe de la première liste Benhard, élaborée à Berlin, qui interdisait 143 livres politiques à Paris, fin août 1940. La liste Otto est élaborée par les services de propagande allemands avec la collaboration du syndicat des éditeurs français. Henri Filipachi, chef du service des librairies chez Hachette en a rédigé la version initiale. Publiée en septembre 1940, la première liste Otto comporte 1 060 titres. Dès sa diffusion, des opérations policières aboutissent à la saisie de 713 382 livres. LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 923 - octobre 2017 15 lll la langue de détention qu’impose l’occupant, Paul Éluard (Poésie volontaire et Poésie inten- les poètes inventeront une langue d’évasion », dé- tionnelle, 1942), édite des anthologies de poètes clare Aragon, annonçant qu’il n’écrira désormais prisonniers et crée la collection Poètes d’au- plus que des poèmes d’amour. En 1941, il séjourne jourd’hui, dont le premier volume, consacré à avec Elsa Triolet chez Pierre Seghers. Paul Éluard, paraît à Lyon le 10 mai 1944. Pierre Pierre Seghers publiera clandestinement des Seghers fondera, avec Pierre Emmanuel, la Maison auteurs tels Pierre Emmanuel, André Frénaud, de la poésie en 1983. H. A. réflexion Q u e l a v e n i r p o u r l a p o l i t i q u e d e m é m o i r e ? En ce premier quart du XXIe siècle, selon le président général du Souvenir français, la politique de mémoire serait confrontée à un triple défi : idéologique, structurel et de terrain. Point de vue et invitation au débat. La politique de mémoire nationale a été conceptualisée contrôlent le passé, contrôlent l’avenir. » Cette concep- par Ernest Renan dans un célèbre discours prononcé en tion des politiques de mémoire dans les États dicta- 1882 à la Sorbonne sous le titre Qu’est-ce que la Nation ? toriaux fait apparaître en contre-point ce que sont les politiques de mémoire des pays démocratiques : l’État Pour Renan, la nation française s’inscrit dans un double se contente essentiellement de suivre les demandes de la mouvement. Une envie de vivre ensemble qu’il défi- société civile. Tel a été le cas en France dans le domaine nit comme un plébiscite de tous les jours et des souve- de la politique de mémoire combattante. La création des nirs partagés. Ces souvenirs, ce sont d’abord des deuils journées nationales du 11 novembre et du 8 mai est im- – « Les deuils unifient mieux que les victoires » ; ensuite, posée par les associations d’anciens combattants. Il en des héros – « mais des vrais » ; enfin, une capacité est de même pour le Concours national de la Résistance d’oubli. C’est autour de ce concept qu’est élaboré sous et de la Déportation, et pour beaucoup d’autres initia- la IIIe République le « Roman national français ». C’est tives dont les associations ont été les initiatrices. également autour de ce concept qu’est définie en 1915 Ce schéma idéologique Renan/Orwell est largement la mention « Mort pour la France », qui permet depuis remis en question depuis trois décennies. D’abord par plus de cent ans d’héroïser des Français qui ont donné le développement du concept mémoriel des droits de leur vie pour que notre nation demeure libre et forte. l’homme. Les mémoires de la Shoah, du génocide ar- Mais cette conceptualisation idéologique s’accom- ménien, des déportations tsiganes, des déportés homo- pagne, plus de cinquante années plus tard, par une sexuels, des fusillés de la Grande Guerre ont introduit seconde vision : celle d’un État suiveur, plus qu’initia- un nouveau type de héros « le Mort à cause de » que teur. Cette pensée est précisée par Georges Orwell dans l’on a tôt fait de réduire en : « à cause de la France ». Ce son ouvrage 1984, publié en 1949. Définissant un État concept mémoriel s’inscrit pleinement dans la mondia- dictatorial, Orwell écrit cette phrase célèbre : « Ceux lisation. Une mondialisation qui conduit à une dénatio- qui contrôlent le présent, contrôlent le passé, ceux qui nalisation de la mémoire. Ainsi, aux Pays-Bas, plusieurs 16 LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 923 - octobre 2017.

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