Mémoire de licence présenté à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (Suisse) Chaire d’histoire contemporaine générale et suisse Prof. ord. Francis Python Gonzague de Reynold un intellectuel catholique et ses correspondants en quête d’une chrétienté idéale (1938(1938----1945)1945) Stéphanie Roulin Pailly Mars 2002 2 Gonzague de Reynold (sans date) Couverture : Gonzague de Reynold au château de Cressier, canton de Fribourg (sans date) [Photographies tirées du Fonds Gonzague de Reynold, doc. pers 52] 3 Remerciements J’ai l’agréable devoir d’adresser mes remerciements les plus chaleureux au Professeur Francis Python et à son maître-assistant Claude Hauser qui ont suivi ce travail et prodigué de précieux conseils. Ma gratitude va aussi à Monsieur Marius Michaud, des Archives littéraires suisses, qui a encouragé la mise en valeur du Fonds Gonzague de Reynold et permis à trois jeunes chercheuses – Céline Carrupt, Françoise Monney et moi-même – de s’y plonger avec profit, grâce à sa disponibilité et à ses conseils avisés. Merci à Céline Carrupt et Françoise Monney, dont la collaboration dans le dépouillement des sources et dans la recherche d’informations biographiques a grandement facilité et dynamisé ce travail. Merci enfin à François Sallin et Marie-Louise Roulin pour la relecture attentive de ce mémoire et pour leur soutien. 4 Introduction « La vie de Gonzague de Reynold est, Dieu merci, une série d’échecs », écrivait Roger de Weck. 1 Issu d’une famille aristocratique fribourgeoise dont les ancêtres avaient servi les rois de France, Gonzague de Reynold (1880-1970) est le représentant d’une certaine droite conservatrice, autoritaire, antidémocratique. Ses prises de position, notamment pendant la Deuxième Guerre mondiale, lui ont souvent valu de violentes attaques, dont certaines ont été fatales à son influence sur les milieux politiques 2. Essayiste, professeur d’université, penseur catholique, il a marqué le paysage intellectuel et politique de son canton et de son pays. Sa renommée s’est étendue jusqu’en France, en Belgique, au Portugal et en Italie, pays où il avait de nombreuses relations dans les milieux intellectuels, ecclésiastiques et proches du pouvoir. Selon Roger de Weck, les projets auxquels Reynold s’est associé sont peu nombreux à avoir abouti. La présente étude de la quête de Reynold et de ses correspondants pendant les années 1938-1945 ne prétend pas démontrer autre chose. Il est possible de regarder les différentes démarches dont nous allons parler comme une série de projets avortés. Mais l’intérêt qu’elles présentent est autre. Elles offrent autant de manières de saisir l’esprit dans lequel des catholiques et quelques protestants de droite ont tenté de faire face à une époque de grands bouleversements, de grande incertitude. Pour cerner les conceptions de Reynold, le chercheur dispose, outre son œuvre, ses articles et conférences, d’une source très riche : sa correspondance. Entre 1938 et 1945, elle est si régulière et abondante qu’elle tient lieu de journal intime. Elle révèle une pensée moins « officielle », et donc hautement stratégique pour qui tente d’appréhender la personnalité et l’action de l’aristocrate fribourgeois. L’objet de cette étude est dès lors l’analyse partielle de l’œuvre et globale de la correspondance de Reynold pendant ces années, sous l’angle de son identité catholique et contre-révolutionnaire. Il s’agira de déterminer la position du penseur catholique face à la guerre et aux totalitarismes de gauche et de droite, de souligner les réflexions qu’ils lui ont inspirées et de suivre les évolutions qui se sont produites dans son engagement d’intellectuel. 1 Préface à Mattioli, Aram, Gonzague de Reynold. Idéologue d’une Suisse autoritaire, Fribourg, Editions universitaires, 1997, p. IX. 2 A ce propos, voir le mémoire de licence de Céline Carrupt, Gonzague de Reynold et le pouvoir. Aspects politiques de sa correspondance de 1938 à 1945 , Fribourg, octobre 2001. 5 On pourra également évaluer le crédit et l’influence de Reynold auprès de ses correspondants, en identifiant ces derniers et en observant le type de collaborations ou de requêtes – et elles sont nombreuses – qu’ils présentent au châtelain de Cressier. Le chercheur qui veut mener une étude sur Gonzague de Reynold et exploiter ses archives voit sa tâche facilitée à bien des égards. Le présent travail doit beaucoup à la biographie d’Aram Mattioli 3. Pour ce qui est de l’exploitation des sources, signalons que Reynold faisait le plus souvent dactylographier sa correspondance 4, et a conservé une ou de plusieurs copies de chaque lettre au papier carbone. Le nom du destinataire est fréquemment inscrit à la main par Reynold, ce qui pose parfois quelques problèmes de lisibilité. Les Archives Littéraires Suisses (ALS), dans leur effort pour assurer la conservation à long terme des documents, nous ont fourni un CD-Rom sur lequel toutes les lettres qui figuraient dans les dossiers « Correspondance copies » de 1938 à 1945 ont été scannées. Pour ce qui est des lettres qui se trouvent dispersées dans les nombreux dossiers qui composent le fonds Reynold, le catalogue du fonds Gonzague de Reynold, établi par Marius Michaud en 1980 5 se révèle un outil indispensable. Ainsi qu’Aram Mattioli l’a si justement relevé, la correspondance n’était pas pour Reynold une corvée, mais « un genre littéraire de haute tradition » et il s’y est bien souvent mis à nu, comme nulle part ailleurs. 6 La personnalité complexe de Reynold, « timide » et « hypersensible » selon ses propres termes 7, lui fait préférer, et de loin, la relation épistolaire, binaire, à toute autre.8 Un journal intime ne pouvait convenir à un homme aussi friand de 3 Gonzague de Reynold. Idéologue d’une Suisse autoritaire, t raduction de Zwischen Demokratie und totalitärer Diktatur. Gonzague de Reynold und die Tradition der autoritären Rechten in der Schweiz ( Zürich, Orell Füssli Verlag, 1994), parue à Fribourg, Editions universitaires, 1997. Citons également les mémoires de Trinchan, Philippe, L’Union catholique d’études internationales : monographie d’un groupe de promotion catholique à la Société des Nations (1920-1939) , Fribourg/Suisse, 1988 et de Chardonnens, Alain, Le Centre européen d’Etudes burgondo-médianes : un européanisme à particularité bourguignonne, Fribourg, 1995. 4 Mesdames Madeleine Castella et Marie-Madeleine de Reyff. 5 Catalogue sommaire du Fonds Gonzague de Reynold , Bibliothèque nationale suisse, 1980. Edité à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Reynold, 88 p. 6 Mattioli, Aram, op. cit ., p. 282. 7 Ibid ., p. 282. 8 Notons tout de même qu’il y a parfois des exceptions à la « règle » de la relation binaire. Parfois, il arrive à Reynold d’envoyer une lettre à un destinataire dans le but que tout ou partie de son contenu soit transmis à un autre destinataire auquel il ne se sent pas autorisé d’écrire directement. D’autres fois, il fait lire la lettre à une personne avant de l’envoyer. D’autres fois encore, il transmet la copie d’une lettre à une ou plusieurs personnes, souvent à l’insu du destinataire initial. 6 commentaires, d’informations, de confidences, de compliments, de soutien. 9 Comme il est souvent souffrant et redoute la fatigue des voyages, la correspondance est un moyen pour lui de « tâter le terrain », lorsqu’il veut préparer une action ou s’engager dans un projet, mais aussi de s’assurer des fidèles, un à un. Car c’est sans doute dans ce domaine qu’il est le plus doué. Son charisme a peut-être moins d’impact sur un grand auditoire que devant un petit comité ou seul à seul avec un interlocuteur. C’est probablement de cette manière, et aussi grâce à ses livres, qu’il s’est gagné le plus de disciples. Aussi la correspondance était-elle pour lui le moyen le plus efficace pour étendre son influence et diffuser ses idées. Parmi les 3000 feuillets, soit environ 2500 lettres, produits par Reynold entre 1938 et 1945, on peut regretter l’absence de quelques lettres ou parties de lettres. En effet, Reynold écrivait parfois – mais rarement – des lettres manuscrites, dont aucune copie n’a été conservée dans le fonds d’archives. Pour des raisons difficiles à établir – simple perte, suppression volontaire ? –, certaines réponses de Reynold à des lettres parfois cruciales font défaut (notamment des lettres adressées à des correspondants belges et français), de même que certaines lettres qu’il a reçues. Signalons enfin que Reynold privilégiait les entretiens privés et les réunions en petit comité avec certains de ses correspondants, de sorte qu’une part importante des décisions et réflexions de Reynold nous échappent. Quant au choix de la période d’étude, 1938-1945, il apparaît que ces années sont capitales pour Reynold qui voudrait bien être plébiscité pour prendre le pouvoir, dès 1938 et jusqu’en 1941, avant de se retirer dans la solitude – relative – de son château pour travailler à son grand œuvre, La Formation de l’Europe . Il a énormément écrit pendant toute la guerre et, si Marius Michaud estime que sa correspondance dans son ensemble (de 1900 à 1970) comportent plus de 10’000 lettres, le corpus pour ces huit années seules s’élève déjà à 2500 lettres environ. Cette importante proportion ainsi que le poids de ces années sur l’histoire de l’Europe justifient aisément le choix de cette période. Les deux parties qui composent ce mémoire correspondent à deux « axes » essentiels de la pensée et de l’action de Reynold : l’axe « suisse chrétienne » et l’axe « civilisation européenne ». La première partie entend mettre en lumière les substrats et les modèles de la 9 Reynold ne s’est adonné à l’art du journal avec régularité qu’entre novembre 1917 et avril 1923. Mattioli, Aram, idem.
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