« Le Plus Noble Des Métiers »

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bilboAA 552p51-53 30/05/2002 13:24 Page 51 groupe de chasse « alsace » colonel pierre clostermann « Le plus noble des métiers » As aux 33 victoires. Que dire de plus sur Pierre Clostermann ? Une vie digne d’un roman, des mémoires devenues le livre de chevet de nombreux pilotes, un nom qui restera à jamais gravé dans l’histoire de l’aviation. Air Actualités a passé une journée en compagnie de cette légende vivante qui se défend d’en être une. Pierre Clostermann avec ses nombreuses décorations. n mas, discret et magnifique à la fois, perdu pilote professionnel américain. Mais la guerre le pré- U quelque part dans les Pyrénées-Orientales, non occupe toujours et c’est avec une infinie tristesse loin de Perpignan. C’est dans ce petit coin de que, de l’autre côté de l’océan, le fils de diplomate paradis que Pierre Clostermann et son épouse sont apprend la défaite de 1940. «Un souvenir qui m’a venus «se poser», avec chiens et chat. L’As mène là marqué. J’appartenais à la génération des fils de 14- une vie simple, paisible, loin du tumulte de la ca- 18. Pour nous, l’Armistice était difficile à avaler. Par pitale. Impressionnant par la taille, le regard vif et dessus le marché, j’étais Alsacien, de mère Lorraine la démarche alerte, le personnage force d’emblée et issue d’une longue lignée militaire!» Aussi éton- l’admiration. Dans son bureau, maquettes d’avions nant que cela puisse paraître, c’est en allant voir modernes, distinctions militaires et photographies Autant en emporte le vent que la passivité lui de- d’époque trônent parmi les ouvrages d’une impo- vient insupportable. « Le film passait dans un ci- sante bibliothèque. Sur l’un des murs, d’autres tro- néma fameux d’Hollywood. Comme de coutume à phées, gagnés non pas dans les airs… mais sur la l’époque, sa projection était précédée des actualités mer. Notre hôte est un féru de la pêche au gros. américaine et allemande. Pour moi, ce fut un choc. Je C’est sous le ciel brésilien que Pierre Clostermann n’oublierai jamais ces colonnes de prisonniers fran- « Ma place était en Angleterre » voit le jour, le 28 février 1921. Son père, diplomate à çais misérables à qui les Allemands servaient la Sao Polo, l’envoie faire ses études à Paris. «Pendant pâtée. Je suis sorti de la salle au bord des larmes, dix années, j’ai été pensionnaire à la porte d’Auteuil. j’étouffais». Le lendemain, Pierre Clostermann re- À seize ans, le Bac en poche, je suis parti rejoindre çoit une lettre de son père. «Il m’écrivait de Rio, en ma famille à Rio. » Sur place, le futur As se pas- me demandant de trouver dans les journaux améri- sionne déjà pour l’aviation et obtient sans tarder cains tous les articles concernant un certain général son brevet de pilote, le 27 novembre 1937. « Mes de Gaulle.» L’adolescent s’exécute et envoie les cou- parents m’ont offert le diplôme. Pour le reste, je ga- pures de presse à Jacques Clostermann dont la ré- gnais mon argent de poche en écrivant des articles ponse ne se fait pas attendre. «Il était persuadé que dans différents journaux.» ma place était en Angleterre. J’étais entièrement d’ac- Pierre Clostermann a 18 ans lorsque la guerre cord.» Pierre Clostermann fait ses bagages et part le éclate. Volontaire pour s’engager, il demande au- plus simplement du monde, en bateau. «Adieu les dience au consul général de France à Los Angeles plages de Malibu, adieu les jolies filles ! Tout de qui ne le prend guère au sérieux. «Il m’a reçu en me même, j’avais beaucoup de chance: j’étais passager lançant: “Alors, vous aussi, vous voulez sauver la d’un immense paquebot blanc de la P & O. Quand je France ? ”, puis m’a gentiment renvoyé. » Déçu, le pense à tous ces garçons qui ont pris des risques ter- jeune homme entre dans une université d’outre- ribles et vécu d’incroyables histoires pour rejoindre Atlantique puis devient ingénieur en aéronautique. de Gaulle…» Il parachève sa formation en obtenant sa licence de Mars 1942. Les pourtant flegmatiques Anglais ont Air Actualités nº 552 juin 2002 51 bilboAA 552p51-53 30/05/2002 13:36 Page 52 groupe de chasse « alsace » colonel pierre clostermann retourné afin de m’assurer que personne n’avait tiré à ma place!» Pierre Clostermann mime la scène comme s’il était à nouveau dans un cockpit de Spitfire, en pleine bataille. «Dix secondes suffisaient pour que naisse un gigantesque “ foutoir ”. On comptait facilement une centaine d’avions dans tous les coins du ciel et puis, 20 secondes ou deux minutes après, plus rien! À noter que, pour ma part, je ne me rappelle pas m’être livré plus de trois ou quatre fois à un combat tournoyant avec un Messerchmitt. Les Yak, eux, possédaient le même type d’ailerons et les mêmes Le capitaine Pierre Clostermann, aux 33 victoires officielles, performances que les machines allemandes, ce qui posant en tenue de Wing Commander. leur permettait de se prêter à ce genre d’exercice.» Un détail technique qui n’a pas empêché l’As peine à cacher leur étonnement en accueillant cet d’inscrire 33 victoires homologuées à son glorieux étrange voyageur français qui a cru bon d’emporter tableau de chasse, même s’il tient à partager l’une avec lui guitare et cannes à pêche ! « C’était une d’entre elles avec un pilote australien. Au-delà du façon de montrer que je croyais à la victoire finale prestige, cette comptabilisation très officielle était (sourire).» Pierre Clostermann s’engage alors dans indispensable aux Anglais. «Ils avaient besoin de sa- les FAFL puis ronge son frein. «Pendant neuf mois, voir où les Allemands en étaient exactement. Pour j’ai perdu mon temps, coincé par les Anglais qui ce faire, nous consultions les films de nos vols après nous faisaient passer tests sur tests. Déjà pilote et in- chaque bataille. Sans film, il était vain de revendi- génieur, j’avais accumulé un quer quoi que ce soit. Pour ce nombre d’heures de vol supé- Pierre Clostermann dans son Tempest type de contrôle, nous dispo- rieur à celui des moniteurs et V, le «Grand Charles». sions d’une grande table, j’en savais plus que les profes- d’une règle en cuivre et d’un seurs! En outre, ils avaient re- projecteur. Sur la règle, nous marqué que je maîtrisais faisions glisser une maquette parfaitement leur langue fidèle de Messerchmitt incli- grâce à mon séjour en nable à volonté jusqu’à ce Amérique. Au total, on voulait que l’ombre dans le projec- d’entrée faire de moi un ins- teur coïncide avec l’image de tructeur! J’ai eu beaucoup de l’avion, arrêtée sur l’écran. mal à me sortir de cette situa- On obtenait ainsi l’angle et la tion. » Malgré ces fâcheux distance de tir. Ces séances contretemps, le bouillonnant m’apprenaient énormément. pilote garde un souvenir Je pouvais analyser mon vol, amusé de cette époque. «Au m’apercevoir, par exemple, RAF College de Cranwell, en que j’avais évité de justesse pleine guerre, l’orchestre jouait une collision sans m’en chaque soir pendant le dîner! rendre compte ! Plus d’une Dîner où je devais d’ailleurs fois je me suis exclamé me présenter muni d’un “ Quoi, c’est mon film, ça ? noeud papillon… Au fond, C’est moi qui ai fait cette l’ambiance était sympa- connerie ? ” D’ailleurs, en thique, très “british.” On se serait cru dans un aéro- école, les projections finissaient souvent en partie de club ». Les choses sérieuses commencent le franche rigolade. L’instructeur nous apostrophait 21 janvier 1943 pour le sergent Clostermann, affecté avant de présenter “la dernière super production de dans l’escadrille «Mulhouse» du groupe de chasse notre Français qui va vous montrer comment on rate « Alsace ». Le temps des premières victoires, sur des avions inratables…” D’accord, ils étaient ratés Spitfire. « Un jour, en descendant un avion ennemi, mais bien filmés!» j’ai “ collé ” par mégarde un 7 juillet 1944. Le sous-lieute- obus de 20 mm dans le fuselage Un gigantesque « foutoir » nant Clostermann reçoit la très de mon ami Martell qui n’était convoitée Distinguished Flying pas très content (rires). Il faut dire que nous n’avions Cross, soit la plus haute distinction de la RAF. Huit pas le temps de nous positionner, de viser précisé- mois plus tard, il s’installe à bord d’un Tempest du ment. Nous pratiquions le «snap shooting», c’est-à- Squadron 274, «une machine extraordinaire, surtout dire que nous vidions les réserves de cartouches de pour le vol à basse altitude, rapide et bien armée». Sa Majesté. Honnêtement, si j’avais descendu tous Commence alors « le travail moche. Nous devions les appareils sur lesquels j’ai tiré, j’en compterais plus isoler le front du Rhin, mitrailler les trains. Nous de 150 à mon palmarès! À l’inverse, il m’est arrivé avons perdu énormément de monde au cours de ces une fois de toucher un avion sans le vouloir vrai- missions. La Flak était très dangereuse, les ment. J’avais pressé sur la détente simplement pour Allemands rataient rarement leur cible, du véritable l’intimider. En voyant l’impact, je me souviens m’être “tir au pigeon”. De plus, nous pouvions être victimes 52 Air Actualités nº 552 juin 2002 bilboAA 552p51-53 30/05/2002 13:40 Page 53 de nos propres obus lorsque ces derniers ricochaient.» chasseurs dont il est bien souvent l’idole.

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