L'algérie Legendaire

L'algérie Legendaire

L’ALGÉRIE LEGENDAIRE EN PÈLERINAGE ÇÀ & LÀ aux Tombeaux des principaux Thaumaturges de l’Islam (Tell et Sahara) PAR LE COLONEL C. TRUMELET COMMANDEUR DE L’ORDRE DE LA LÉGION D’HONNEUR OFFICIER DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES DE LA SOCIÉTÉ D’ARCHÉOLOGIE ET DE STATISTIQUE DE LA DRÔME ETC. ETC. Visitez les tombes des saints du dieu puissant : Elles sont parées de vêtements imprégnés de musc, Que sillonnent des éclairs d’or pur. SIDI KHALIL ALGER LIBRAIRIE ADOLPHE JOURDAN IMPRIMEUR-LIBRAIRE-ÉDITEUR 4, PLACE DU GOUVERNEMENT, 4 1892 Augustin CHALLAMEL, ÉDITEUR 17, Rue Jacob, PARIS Livre numérisé en mode texte par : Alain Spenatto. 1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. D’autres livres peuvent être consultés ou téléchargés sur le site : http://www.algerie-ancienne.com Ce site est consacré à l’histoire de l’Algérie. Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e siècle), à télécharger gratuitement ou à lire sur place. AVANT-PROPOS Nous avons démontré, dans un de nos pré- cédents ouvrages, l’intérêt que pouvait présenter l’étude des mœurs religieuses des groupes musul- mans dont nous avions charge des corps, sinon des âmes, dans les pays de l’Afrique septentrionale que nous avions conquis, et dans ceux où nous pousse- ront encore irrésistiblement les besoins de la politi- que, du commerce et de la civilisation, voire même la curiosité, et cette force d’expansion que nous avons tous au cœur, et qui nous fait affronter tous les dangers avec la foi des premiers martyrs. Or, pour acquérir cette force de pénétration sans laquelle tout nous serait et ferait obstacle, il nous faut d’abord étudier les choses cachées, les mys- térieuses pratiques des groupes que nous sommes exposés à rencontrer sur notre route ténébreuse, si- lencieuse, muette. La légende, en effets est l’histoi- re des peuples qui n’en ont point d’écrite ; Voltaire 2 AVANT-PROPOS l’a dit d’ailleurs : « Il n’y a pas jusqu’aux légendes qui ne puissent nous apprendre à connaître les mœurs des nations. » Si nous ne sommes pas munis de ce viatique indispensable, en pays musulman surtout, tout nous sera lettre close, et nous marcherons à tâ- tons et en aveugles, et plus souvent à côté de la voie que sur la voie elle-même, car les sentiers de l’Islam sont diffi ciles et tortueux. Il y a là, nous le répétons, une carte à étudier, et cette carte, c’est la légende. Il est certain que, comme nous l’avons dit autre part, faire parler un Musulman, surtout lorsque le sujet touche par quelque côté à sa religion, à sa croyance et à ses saints, toutes choses qui, pour lui, sont haram, ou sacrées ; il est certain, disons-nous, que ce n’est pas chose facile ; pourtant, la diffi culté est moindre si l’interrogateur appartient au Makh- zen(1) ou au commandement ; si, en un mot, c’est un puissant qui tienne ses intérêts ou ses destinées entre ses mains ; et encore faut-il qu’il soit bien démon- tré à l’interrogé qu’il lui serait inutile de chercher à tromper le savant des choses de la religion qui veut en pénétrer les mystères, ou achever de soulever le voile qui en dérobe la connaissance aux profanes. Comme la plupart des saints personnages dont nous allons nous occuper, ou qui joueront un rôle __________________ 1. Le Gouvernement, l’Administration. AVANT-PROPOS 3 au cours de notre récit, appartiennent à la catégorie connue, en Algérie, sous la qualifi cation de mara- bouts, noua allons rappeler ce qu’on entend vulgai- rement et habituellement par l’expression de ma- rabout. « Ce mot, qui vient du verbe arabe rabath, signifi e attacher, lier, retenir, emprisonner ; à la troi- sième forme, il fait mraboth, dont nous avons fait marabout. Il a donc absolument le sens de notre vo- cable religieux, lequel vient du verbe latin religare, lier, attacher, d’où dérive religio, qui se traduit par « ce qui attache ou retient » (au fi guré), lien moral, obligation de conscience, attachement au devoir, lien qui rattache l’homme à la Divinité. » Le marabout est donc l’homme qui est lié, fi xé, attaché aux choses divines ; il est emprisonné, — et il n’en doit jamais sortir, — dans la règle de conduite que lui trace le Livre descendu du ciel (le Koran) pour fi xer défi ni- tivement les limites du licite et de l’illicite. Le ma- rabout, c’est l’homme spécialement voué à l’obser- vance des préceptes du Koran ; c’est le conservateur de la loi musulmane dans toute son intégrité ; c’est enfi n l’homme que, — autrefois surtout, — la prière, les bonnes œuvres, la vie ascétique et contemplative, rapprochaient de la Divinité : car la religion musul- mane, qui a tout emprunté aux religions juive et chré- tienne, a eu aussi ses ascètes, ses anachorètes, et, plus tard, ses moines ou cénobites; et les austérités, les 4 AVANT-PROPOS macérations, les mortifi cations de ses saints, lais- sent bien, loin derrière elles celles auxquelles se soumettaient les vieux Prophètes d’Israël, qui, pour fuir la société des hommes, se retiraient dans les montagnes ou dans les déserts, et ces solitaires chrétiens qui, dans les III°, IV° et V° siècles de no- tre ère, peuplèrent la Thébaïde désertique(1). » Nous dirons plus vulgairement, avec notre ami et regretté, Marcelin Beaussier, interprète principal de l’armée d’Algérie, dans son Dictionnaire prati- que arabe-français, au mot Mraboth : « Les mara- bouts étaient des hommes voués à l’adoration, liés à Dieu, qui ont laissé une réputation de sainteté : on leur donne le titre de ouali(2), ami de Dieu, saint, et leur nom est toujours précédé du qualifi catif Sidi, seigneur, monseigneur. Leur nombreuse postérité conserve le titre de marabout, et forme la noblesse religieuse des Arabes. Il y a peu de tribus, en Algé- rie, où l’on ne trouve une fraction de marabouts. » Nous avons dit, dans un autre ouvrage, que, ____________________ 1. LES SAINTS DE L’ISLAM. Légendes hagiologiques et Croyances musulmanes algériennes, par le colonel C. Trumelet. 2. El-Ouli, d’après le livre des défi nitions d’Ech-Chérif- Ali-Djordjani, est la proximité métaphysique qui résulte de l’affranchissement, ou de relations étroites et nécessaires. On en aurait fait le mot oualaïa ; de même que le mot ouilaïa serait l’action d’être en Dieu, notre propre personnalité ayant disparu. (L. Guin.) AVANT-PROPOS 5 dès la prise de Grenade, en 1492, un grand nom- bre de Mores-Andalous avaient quitté l’Espagne et s’étaient établis dans le Maroc ; plusieurs de ces ré- fugiés, — de savants et pieux docteurs, — avaient poussé jusqu’à l’oued Draâ, et sollicité leur admis- sion à ta grande Zaouïa de Saguiet-El-Hamra, dans ce lieu d’étude et de prière où, dégoûtés du monde et de ses misères, ils venaient chercher le calme et la sérénité de l’âme, et consacrer au service de Dieu ce qu’il lui plairait de leur accorder encore de jours et d’énergie, pour faire triompher sa cause dans les régions où régnait l’ignorance ou l’Infi dèle. Les Mores-Andalous expulsés, qui avaient choisi pour retraite la célèbre université religieuse de Saguiet-El-Hamra(1), continuerons-nous avec le texte précité, étaient, en général, des hommes considérables dans los sciences et dans les lettres, des docteurs de réputation ; tous étaient, en même temps, des gens de prière et d’une ardente dévo- tion ; quelques-uns même, affi rmait-on, jouissaient du don de prescience et de celui des miracles : voués entièrement à Dieu, et spiritualisés à ce point qu’ils semblaient appartenir à un ordre d’êtres in- termédiaires placés entre l’homme et la Divinité, ces saints marabouts faisaient 1’édifi cation des ____________________ 1. Sahara marocain. De tout temps, les Zaouïa ont été très nombreuses dans la vallée de l’ouad Draâ. 6 AVANT-PROPOS anciens Tholba (Lettrés) de la Zaouïa, lesquels avaient pour eux la plus respectueuse vénération. La grande Zaouïa de Saguiet El-Hamra appartenait à l’ordre de Sidi Abd-el-Kader-El-Djilani, et c’est de ce point qu’aux XVIe et XVIIe siècles, ces saints missionnaires se répandirent vers l’Est algérien, dans les montagnes des Kabyles particulièrement, pour y koraniser les populations ignorantes et gros- sières de ces diffi ciles régions. C’était donc aux ma- rabouts de Saguiet El-Hamra que devait revenir tout l’honneur d’une pareille entreprise. Les Mores-An- dalous étaient, du reste, dans les conditions les plus favorables pour mener à bonne fi n une œuvre qui exigeait de la science, de l’habileté, une foi ardente, la ferveur d’un apôtre, la passion du prosélytisme, et un entrainement prononcé vers la vie ascétique. « C’est dans ces conditions, et après leur avoir donné ses instructions, que le Cheikh(1) de Saguiet- El-Hamra réunit le premier groupe de ceux des marabouts qu’il avait désignés pour être lancés, en qualité de missionnaires, dans les régions algérien- nes situées à l’Est du R’arb(2) ou Mor’reb. » La plupart de ces missionnaires réussirent dans leur entreprise religieuse, s’établirent plus tard dans le pays, et y fi rent souche. En effet, à chaque tribu ____________________ 1. Le directeur spirituel de la Zaouïa. 2. L’Ouest, le Maroc, le Maghreb, ou Mar’reb. AVANT-PROPOS 7 kabyle s’est juxtaposée une famille arabe d’origine moresque-andalouse, laquelle, de tous temps, a servi d’intermédiaire entre les Kabyles et la Divinité.

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