Journal D'un Bourgeois De Paris Pendant La Revolution Française

Journal D'un Bourgeois De Paris Pendant La Revolution Française

From the Library of Henry Tresawna Gerrans Fellow of Worcesler Collège^ Oxford 1882-1Ç21 Given /Alniversilv ..Q.Ç.ToronTo. Li.b.r.a.nj S> his Wife Digitized by the Internet Archive in 2009 witli funding from University of Ottawa I littp://www.arcliive.org/details/journaldunbourgeOOmoniuoft JOURNAL BOURGEOIS DE PARIS PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (année 1789) COULOMMIERS. — ImP. P. BhODARD ET GALLOIS. WnA4< JOURNAL D UN BOURGEOIS DE PARIS PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (année 1789) ",-0- ,^W HiVMONIN DOCTEL'n KS LETTRES. PROFESSEUR AU COLLEGE ROLLIN PARIS ARMAND COLLN ET C'% ÉDITEURS 5, RUE DE MÉZIÈRES. 5 1889 Tous (h'oils réservés 4 é AVANT-PROPOS J'ai imaginé qu'un bourgeois de Paris — le type en est assez connu par les Journaux de Mathieu Marais, de Buvat, de l'avocat Barbier, du libraire Hardy — ait eu le loisir de noter jour par jour, pour lui-même et pour ses enfants, les nouvelles qui lui arrivaient, les menus faits ou les grandes choses dont il était le témoin, les premières impressions qui l'avaient frappé. Mon bourgeois d'il y a cent ans est (comme on disait alors) éclairé et sensible. Il n'a pas encore eu le temps de se dégoûter du peuple, qui voit encore en lui son défenseur et son con- seiller nécessaires. Il eût été assez riche pour acheter un titre de noblesse. Mais il sait que d'anciennes ordonnances ont anobli en masse tous les bourgeois de Paris, et cela lui suffit : il sent bien, du reste, qu'il a plus d'intérêts com- muns avec les classes laborieuses qu'avec la nuée oisive et dévorante des courtisans. L'habitude d'une vie aisée et tranquille l'éloi- gné il de toute ambition ; est donc assez peu VI AVANT-PROPOS mêlé aux événements, pour en demeurer specta- teur. Mais comme il est Ijon citoyen, il ne néglige pas son (listrirt. Il lit les pamphlets et les ga- zettes; il n'ignore pas les vrais livres, faits de main d'ouvrier. Il voudrait bien que le Roi et la Nation pussent vivre d accord ensemble : il accuse la Reine, les princes, les grands, les ministres, de troubler sans cesse une union aussi désirable. Encore imbu de la superstition d'une royauté paternelle, il lui répugne de voir Louis XVI tel qu'il est : entêté dans l'idée qu'on lui a inspirée de ses prérogatives, incapable et d'y renoncer, et de les défendre, faux dans ses discours et dans ses actes, non moins que faible et irrésolu. Mais un grand État peut-il se passer d'un roi? Le gouvernement républicain est-il possible en dehors des petites cités el de leurs fédérations? Mon bourgeois se pose toutes ces questions; il n'ose pas les résoudre. C'est à la long ue qu'il fera son éducation politique. Il voudrait bien aussi une Église vraiment nationale, évangélique, qui restât néanmoins en communion avec Rome. La nécessité sociale d'une religion positive ne fait pour lui aucun doule. Mais il n'admet pas que cette religion soit tyrannique, intolérante, dangereuse pour la liberté naturelle de la pensée : il tient à pouvoir pliibjsopher à ses heures. Il applaudit à la victoire AVANT-PROPOS Vil électorale des curés si pauvres et si méritants, sur les orgueilleux et opulents prélats de cour. Il place l'Église dans l'État, elle et ses biens. Le 14 juillet l'étonné et le terrifie : car il n'aime ni la poudre ni le sang. Mais il ne tarde pas à comprendre que la Bastille ne pouvait tomber d'elle-même. Comme le Bot à Paris lui semble un palladium, il excuse, en faveur de ce résultat, les journées du o et du 6 octobre. Cepen- dant, à ses yeux, les exécutions sans jugements sont des crimes qui compromettent la cause de la liberté, et le bon renom du peuple. Parisien, rien de ce qui touche Paris ne le laisse indifïerent : état des rues, éclairag-e, prix du pain, charité publique, et (dans un ordre de choses plus général) constitution administrative de la Commune et des districts. Il accorde quel- que attention aux pièces nouvelles, et le Théâtre- Français, bientôt Théâtre de la Nation, ne lui fait pas négliger la foire Saint-Germain, ni même là chanson des rues. Toutefois, est-il besoin de dire que nul spectacle ne l'attire plus que celui des séances de l'Assemblée ? On le voit moins souvent dans les clubs. Ce Journal, fictif par la forriie, n'est donc pas romanesque . Certes je ne saurais , garantir l'absolue vérité de toutes les anecdotes, de tous les faits divers qu'il renferme : autant de partis,- VIII AVAM-PKuPOS en pareille matière, autant de versions. Mais le cadre même que j'ai choisi m'imposait, sous |)eine d'invraisemblance, un respect scrupuleux de l'histoire dans le récit des g-rands événements, dans l'exposé des discussions politiques les plus remarquables, enfin dans l'analyse plus délicate du développement successif des idées révolution- naires. C'est pourquoi, sans multiplier outre mesure les annotations critiques et les références, •je ne me suis pas cru dispensé de leur faire une certaine place. Rendre vivante et familière une grande époque, en faciliter l'étude scientifique et approfondie, éveiller dans l'esprit la curiosité de l'histoire pure et des textes originaux, tel est l'objet que j'ai poursuivi. C'est donc à de jeunes lecteurs que s'adresse ce petit livre; c'est aussi, peut-être, à ceux qui n'ont point perdu avec l'âge cette jeu- nesse de l'esprit qui a nom frivolité. J'ai entendu dire, et même répéter ces années-ci que « 1789 n'était plus à la mode ». Quoi qu'il en soit, depuis ce printemps (ou à peu près), la mpde a tourné. Profitons-en bien vite, et tâchons que la mode dure : car c'est celle de l'honneur, des justes lois, de la liberté politique et de l'indépendance nationale. Jiiin 1889. JOURNAL d'un BOURGEOIS DE PARIS PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE JANVIER 1" janvier. — Un pape qui n'avait pas grande estime pour notre gouvernement et pour notre génie politique, déclara un jour que les Français avaient pour premier ministre la Providence. Cette année nous avons, du moins comme second ministre, M. Necker : mais le premier ne nous est plus connu que par ses rigueurs. Depuis le 24 no- vembre, le froid est continu. Depuis le 26, la Seine est prise. L'an de grâce 1789 commence avec 18 degrés au-dessous du point de congélation. Les autres hivers que l'on nous cite, en guise de con- solation, ne sont pas comparables à celui-ci. En 1776, il a gelé 24 jours : or nous voici au trente-sixième! En 1740, l'hiver a été fort long, mais le froid n'a Journal d'un bourgeois. 1 2 JOURNAL d'un bourgeois DE PARIS pas dépassé 10 degrés. On dit inénie qiren 1701), il s'est arrêté à 15 '. Mais nous avons bien d'autres sujets de douleur et de craintes : les calamités de la grêle du 13 juillet de l'an dernier, la longue suspension de la justice, de mai à septembre, l'interruption des manufactures de luxe ou de simple utilité, le resserrement de l'ar- gent chez les uns, — et, chez les autres, l'acharne- ment trop encouragé aux chances de loterie, les fausses espérances et les déboires trop réels, — les scandales de l'agiotage, qui des effets publics se porte maintenant sur les sacs de farine et les mi- ches de pain, l'affluence prodigieuse des misérables et des vagabonds de la campagne : non, Paris n'a pas vu depuis longtemps une aussi désastreuse époque, et tout serait perdu sans la bienfaisance, qui, seule, soutient cette grande ville. La neige est tombée de 9 à 2 heures, et cepen- dant c'est à peine si le temps s'est radouci. Quelques devoirs de société m'obligèrent à sortir. Les per- sonnes que j'ai vues sont presque toutes tristes ou inquiètes. Les nouvelles des provinces sont affreuses; et vraiment, si l'on songe f(uc Paris est renommé pour l'égalité de s((n eliniat, on se demande avec effroi dans quelle désolation ne sont pas les Vosges, l'Auvergne, les Cévcnnes, et les pauvres serfs du Mont-Jura, et les patriotes de Grenoble et de Romans ! I. Vnvcz, sur l'Hivri- qui prr- 1 M. (iuill. Deppinfr, ilans lu Reçue ,::,ln bi Jtécoiition (i7SS-17t>9), mic bleue du -23 mars 1889 (n" 1-2). iomaii|iiiible cUulo historique <lc ' JANVIER 3 Ici, l'Hôtcl-Dieu regorge d'hommes, de femmes et d'enfants perclus de froid, presque morts de faim, et dont un bien petit nombre peuvent être sauvés. Tout chôme, sauf le plaisir; les théâtres ouvrent toujours. Les riches vont en traîneaux : j'ai ren- contré ceux de la cour, sur les boulevards; ils niaient comme le vent dans la direction de Ver- sailles, frôlant à peine les horreurs de Paris. C'est pour ce mois-ci que le Roi avait promis de s'entourer des États généraux du royaume, et sa parole, avait-il ajouté, est sacrée. Cependant, on ignore encore maintenant dans quelle forme ils seront assemblés. Or ce n'est point ici l'occasion de se moquer de la fo...orme. Si le tiers état n'a que sa voix contre les deux suffrages accordés en 1614 à la noblesse et au clergé, il n'est pas impossible sans doute que le Roi évite la banqueroute dont ses finances sont menacées : mais le poids des nouveaux impôts sera rejeté, comme toujours, sur les têtes les moins capables de le supporter, et parmi les grands la profusion reprendra de plus belle,- et n'aura plus de frein.

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