FORMATION DES CITÉS CHEZ LES POPULATIONS SÉDENTAIRES DE L’ALGÉRIE (Kabyles du Djurdjura, Chaouïa de l’Arouas, Beni Mezâb) PAR E. MASQUERAY THÈSE PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 28, RUE BONAPARTE, 28 1886 Livre numérisé en mode texte par : Alain Spenatto. 1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. [email protected] ou [email protected] D’autres livres peuvent être consultés ou téléchargés sur le site : http://www.algerie-ancienne.com Ce site est consacré à l’histoire de l’Algérie. Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e siècle), à télécharger gratuitement ou à lire sur place. INTRODUCTION « Africains » employé de préférence à « Berbers ». Invasions suc- cessives qui ont formé la population actuelle de l’Afrique septentrionale. Confusion des races. Point de vue d’où les mœurs actuelles des Africains veulent être considérées. Sédentaires et Nomades. Principaux groupes des sédentaires: Kabyles, Chaouïa, Beni Mezâb. C’est à dessein que j’ai substitué dans la suite de ce travail le nom général d’Africains à celui de Berbers qu’on applique d’ordinaire à toutes les populations de l’Afrique septentrionale regardées comme autochtones. Ce nom était inconnu dans l’antiquité grecque et romaine, et a paru pour la première fois chez les écrivains arabes. « Quand Sidi Oqbah fut parvenu près de Tanger, raconte En Noweiri(1), il demanda au comte Julien (Yulîan) où il pourrait trouver les chefs des Roum et des Berbers. « Les Roum, répondit Yulîan, tu les as laissés derrière toi, mais devant toi sont les Berbers et leur cavalerie ; Dieu seul en sait le nombre. » — « Où se tiennent- ils ? » demanda Oqbah. — « Dans le Sous El Adna, répondit Yulian ; c’est un peuple sans religion ; ils mangent des cada- vres, ils boivent le sang des bestiaux, et ils vivent comme des brutes ; car ils ne croient pas en Dieu, et ils ne le connaissent même pas. » Sur cela, Oqbah dit à ses compagnons : « Mar- chons avec la bénédiction de Dieu ! » De Tanger il se diri- gea du côté du midi vers le Sous El. Adna, jusqu’à ce qu’il ____________________ (1) Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, trad. De Slane, vol. I, Append. — 2 — atteignit une ville nommée Taroudant. Là il rencontra les pre- mières troupes berbères et les mit en déroute après un com- bat sanglant. Sa cavalerie se mit à la poursuite des fuyards et pénétra dans le Sous El Adna. Les Berbers se réunirent alors en nombre si grand que Dieu seul pouvait les comp- ter ; mais Oqbah les attaqua avec un acharnement inouï. Il en fi t un massacre prodigieux et s’empara de quelques-unes de leurs femmes qui étaient d’une beauté sans égale. On rapporte qu’une seule de leurs jeunes fi lles fut vendue en Orient pour mille pièces d’or... etc. » C’est seulement depuis ce temps que l’usage s’est établi chez les lettrés d’appeler Berbères toutes les peuplades qu’Hérodote, Strabon, Pom- ponius Mela, Pline, Ptolémée, Procope, Corippus, et les ins- criptions, avaient toujours désignées par des noms divers : Libyens, Mazices, Afri, Massyles, Massésyles, Gétules, Nu- mides, Maures, Musulans, Bavares, Ketama, Quinquégen- tans, Louata. Les Arabes avaient cru sans doute rencontrer dans le Sous El Adna, où ni les armées romaines ni le chris- tianisme n’avaient pénétré, les représentants les plus purs d’une race indigène, et ce nom de Berbers(1) auquel on peut donner le sens de balbutiant, murmurant des sons inintelli- gibles, leur paraissait bien convenir à des peuplades dont ils ne comprenaient pas les dialectes ; mais qu’est-on en droit d’en conclure ? Leurs généalogistes eux-mêmes confessent que l’origine des Africains est un problème très complexe et presque insoluble, et, à part les Berâber du Sahara ou de l’Atlas marocain (Deren), et les Beni Barbar du Djebel Che- char, toutes les tribus de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc, ignorent absolument cette dénomination de Berbers que nous leur appliquons à notre tour. Les remarques qu’on a faites sur le séjour d’une population berbère dans l’Inde et dans la ____________________ (1) Ibn Khaldoun. Hist. des Berb. vol. I. — 3 — Perse, sur la route qu’elle a pu suivre pour pénétrer jusqu’au bord de la Mer Rouge, et sur le long séjour qu’elle a dû faire dans la haute Égypte où il reste encore des Barabras, sont sans doute intéressantes(1) ; mais ce n’est encore là qu’une des études particulières auxquelles chacun des groupes no- mades ou sédentaires de l’Afrique septentrionale peut don- ner lieu. Considérons plutôt que l’Afrique a reçu sans cesse, de- puis les temps les plus anciens, des fugitifs et des conqué- rants de toute provenance. Sa côte continue celle de l’Égyp- te, puis, se relevant vers le Nord depuis Gabès jusqu’à Cap Bon, fait face à la Palestine. Elle enveloppe ainsi le tiers du bassin oriental de la Méditerranée. D’autre part, elle touche presque à l’Espagne ; elle est reliée à l’Italie par Malte et la Sicile. Les peuples refoulés jusqu’aux pointes de nos deux grandes presqu’îles occidentales ont toujours pu se répandre sur ses hauts plateaux et dans ses déserts infi nis. A l’intérieur du pays, aucune chaîne, aucun fl euve, ne S’y oppose à une invasion orientale. Au contraire, des plis de terrain parallèles y forment de larges voies orientées vers le nord-est, par les- quelles des nations s’avanceraient sans obstacle de la Tunisie jusque dans le cœur du Maroc. Les solitudes de la Cyrénaï- que n’ont pas arrêté le fl ot des immigrants arabes du onzième siècle, et, depuis la Tripolitaine jusqu’à l’Océan Atlantique, par le Djerid, le Zâb, Laghouat, Figuig et la vallée de l’Ouâd Drah, une route naturelle, jalonnée d’oasis, accompagne la bordure désertique. D’autre part, les montagnes qui, par leur direction, semblent se dresser comme des barrières devant les envahisseurs du Nord, ne sont, si l’on excepte le Deren(2) ____________________ (1) Carette, Recherches sur l’origine des migrations des tribus d’Afri- que septentrionale et particulièrement de l’Algérie, in-8, Paris, 1853. (2) Atlas marocain. — 4 — encore si mal connu, ni très hautes, ni continues ; elles peuvent être tournées de tous côtés sans peine ; elles ne sont bonnes qu’à servir de refuge à des vaincus : les peuplades agglomé- rées sur le Djurdjura ou sur l’Aourâs, comme sur des îlots, n’ont jamais été maîtresses des plaines qui les environnent. Cette région tout entière est un théâtre bien fait pour la ren- contre de l’Orient et du Nord, un réceptacle ouvert à toutes les races de l’Asie et de l’Europe occidentale, un champ où des millions d’hommes différents sont venus se combattre sans cesse, et fi nalement confondre leur sang, leurs coutu- mes et leurs idées. Nul ne peut dire exactement(1) quels en ont été les habi- tants primitifs. On conjecture que la race nègre qui a dominé dans tout le Sahara s’avançait autrefois jusqu’au bord des Hauts-Plateaux, quand le climat plus humide, les rivières plus abondantes, les forêts plus épaisses, permettaient à l’éléphant d’y vivre. Il est admissible aussi que des hommes bruns et de petite taille, semblables aux Ligures, aient formé le fonds de la population du Tell et de la côté. L’étude des cavernes pré- historiques en est à son début, et les monuments mégalithi- ques n’ont pas encore livré leur secret. Des squelettes repliés, la tête presque toujours tournée vers le nord, des colliers de verroterie, des poteries grossières, quelques ornements de bronze, voilà tout ce qu’ils renferment. Ils peuvent être très anciens pour la plupart ; mais quelques-uns sont contem- porains de la période romaine. Les Guanches des Canaries, préservés de mélanges trop fréquents par l’Océan qui les en- toure, auraient donné lieu peut-être à une étude fructueuse, ____________________ (1) Voy. Faidherbe, Collection complète des inscriptions numidiques, avec des aperçus ethnographiques sur les Numides, in-8, Lille, 1870. — Du- veyrier, Les Touareg du Nord, in-8, Paris, 1864. — Faidherbe, Les dolmens d’Afrique, Paris, 1873. — Recueil de la soc. arch. de Constantine, passim. — 5 — si la conquête espagnole n’avait pas supprimé leurs coutu- mes, leur langue, et même leurs traditions ; mais quand on considère qu’ils se composaient de bruns et de blonds com- me nos Aoulâd Abdi, que les noms de quelques-uns de leurs groupes se retrouvent dans les tribus actuelles de l’Algérie, que les mots qui restent de leur langue sont encore usités pour la plupart dans les dialectes de ces mêmes tribus, que leurs grottes taillées ne différaient pas de celles qui sont en- core habitées dans le djebel Ahmar Khaddou, enfi n qu’ils avaient reçu manifestement des Phéniciens et des Arabes certaines idées religieuses, on en vient à croire qu’ils ne nous auraient pas appris, touchant les origines, beaucoup plus que les Chaouïa de l’Aourâs ou les Kabyles du Djurdjura(1). Cependant, il n’est pas douteux que, bien avant les temps historiques, la civilisation égyptienne ait pénétré fort bien loin dans l’Ouest. Corippus nous montre, au sixième siècle de notre ère, les tribus de la Tripolitaine sacrifi ant à « Corniger Hammon », et l’invoquant dans leurs batailles. La Minerve armée qu’honoraient les Libyens du lac Triton, et la Virgo Cœlestis que l’Afrique entière adorait au temps de Tertullien, sont la déesse Neith. Ce courant proto-sémitique se trouvait interrompu par la colonie grecque de Cyrène et par l’empire continental de Carthage quand Hérodote écrivait son second livre ; mais l’historien grec en a constaté la trace à travers les tribus du désert libyque dont les mœurs étaient à demi-égyptiennes.
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