Entretien Avec Jacques Doillon Marc-André Lussier

Entretien Avec Jacques Doillon Marc-André Lussier

Document généré le 25 sept. 2021 06:08 Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout Entretien avec Jacques Doillon Marc-André Lussier Volume 11, numéro 1, septembre–novembre 1991 URI : https://id.erudit.org/iderudit/34093ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique) Découvrir la revue Citer ce document Lussier, M.-A. (1991). Entretien avec Jacques Doillon. Ciné-Bulles, 11(1), 26–29. Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 1991 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Entretien avec Jacques Doillon « Quand, plus tard, on me de­ mande de présenter des films « Quand j'attrape que j'ai faits il y a 10 ou 15 ans. j'éprouve énormément de diffi­ un mollet, cultés. .. La seule chose que je puisse faire, c'est d'en parler un petit peu en termes de géné­ je ne le lâche pas. » ralités... » (Jacques Doillon) Jacques Doillon L'An 01 (1972) Un film écrit par mon ami Gébé par Marc-André Lussier et que j'ai coréalisé avec Alain Resnais et Jean Rouch. Un anti- film amusant à tourner. Je ne l'ai pas revu depuis 20 ans et je epuis près de 20 ans, Jacques Doillon filme. ne peux pas en dire beaucoup Fébrilement. En centrant entièrement son sinon que je ne le sens pas cinéma sur les personnages. Tantôt adulé, comme étant mon premier vé­ D parfois décrié, il poursuit sa démarche singulière, c ritable film. z. l'une des plus cohérentes du cinéma français. Avec 0- Les Doigts dans la tête (1974) une précision d'entomologiste, il braque sa caméra Je garde le souvenir d'un tour­ sur les velléités du cœur et des sentiments ; il explore nage heureux. Ce film a été fait un univers aux contours fragiles qu'il amène souvent o en 16 mm avec très peu de moyens et des comédiens que à l'éclatement. Rien n'est jamais simple. Qu'il en­ j'ai beaucoup aimés. Je crois robe ses personnages d'une atmosphère exacerbée et que ce n'est pas trop mauvais. le voilà qui suscite la controverse (la Pirate, la Tentation d'Isabelle). Qu'il suive, pas à pas, le Ciné-Bulles : Est-ce à dire que vous les évacuez Un sac de billes (1975) parcours émotif de ses personnages avec retenue et Une commande. On m'adonne rapidement ? de très grands moyens qui fragilité et voilà qu'il nous offre des films admirables m'épouvantaient. Et comme je de sensibilité (la Drôlesse, la Vie de famille, le Petit Jacques Doillon : Pas si rapidement tout de même ! ne savais pas comment tra­ Criminel). Il est vrai que, puisque je tourne beaucoup, on a peut- vailler avec les gens, je être le sentiment que tout cela est facile. Il y a quand m'adressais aux stagiaires parce qu'ils étaient de mon Bien qu'il n'aime pas beaucoup se prêter au jeu de même des années où je n'ai pas tourné ! Cela dit, je âge ! Heureusement, il y avait l'interview (auquel il s'adonne pourtant fort bien), ne fais pas des films très chers, je peux tourner dans des enfants devant la caméra. nous l'avons rencontré à l'occasion de la rétrospec­ ma maison avec cinq techniciens, deux comédiens et Sans eux. je n ' aurais pas fait ce tive que la Cinémathèque québécoise lui a récem­ pratiquement sans lumière. Aussitôt que je dispose film. ment consacrée. Secrets de fabrication. d'un petit peu d'argent et de temps de tournage La Femme qui pleure (1978) (même si pour celaje dois tourner en 16 mm, en super Unfilm de résistance que j'aime Ciné-Bulles : Vu de l'extérieur, on peut avoir l'im­ 16 ou en plans fixes), je m'adapte. Je ne suis d'ailleurs beaucoup. Je voulais, au dé­ pression que vous enchaînez les tournages avec pas le seul à le faire. Il y a des cinéastes qui éprouvent part, faire ce film avec Ca­ fébrilité et que vous n'aimez pas beaucoup vous le besoin de faire du cinéma avec un premier et un therine Deneuve mais elle a eu peur et c'est Dominique Laffin retourner sur votre œuvre... deuxième assistant, une équipe de 35 personnes, des qui a finalement eu le rôle. grues, des porte-voix ou je ne sais quoi ; je n 'ai jamais Devant l'abandon des produc­ Jacques Doillon :Lorsque je viens de terminer un conçu le cinéma comme cela. Dans de telles condi­ teurs, j'ai décidé de tourner film, je ne suis généralement pas très nostalgique et tions, je n'aurais fait que trois films dans ma vie ! chez moi. d'engager une in­ connue et de jouer moi-même. je n'éprouve pas le besoin de revenir en arrière. Un C'est unfilm dont on me parle film est un moment de vie intense, qui peut, entre Ciné-Bulles : Est-ce que cette boulimie qui vous fait beaucoup et qui semble avoir l'écriture, le tournage et le montage, être parfois enchaîner les tournages tient à un sentiment d'ur­ un impact certain sur un bon assez long (même si j'ai tendance à travailler vite !). gence particulier ? nombre de femmes. Et lorsqu'on travaille avec autant d'ardeur pendant LaDrôlesse(l979) six ou huit mois, on a forcément envie de penser au Jacques Doillon : Il s'agit plus d'un sentiment J'ai enchaîné ce film tout de prochain projet pour essayer de se refaire une santé ! d'impatience souvent et, incidemment, je le regrette suite après la Femme qui Quand, plus tard, on me demande de présenter des un peu. Je n'arrive pas à bien vivre sans le cinéma. Je pleure et c'est peut-être le tour­ films que j'ai fait il y a 10 ou 15 ans, j'éprouve me sens bien lorsque je tourne et quand arrive l'étape nage où j'ai été le plus heu­ énormément de difficultés... La seule chose que je du montage, j'ai déjà le film suivant dans la tête ! Moi reux. Avec deux acteurs formi­ dables : la petite Madeleine puisse faire, c'est d'en parler un petit peu en termes qui suis pourtant d'un tempérament paresseux, je Desdevises et aussi Claude de généralités... n'arrive pas à ne rien faire. Il y a aussi que je me dis Hébert. Je crois que ce film ne comporte pas trop de « bas », est une bulle, unfilm en tout cas moins irrégulier que d'autres. Vol. 11 n" 1 CME3ULLES 26 Entretien avec Jacques Doillon parfois que la vie peut être parfaitement courte — la grands cinéastes ! Lorsqu'on garde en mémoire tous La Fille prodigue (1981) phrase un peu idiote : « Qu'as-tu fait de ton talent ? » ces films, cela rend évidemment un peu timide ! Deux ans sans tourner. Je sa­ vais avec certitude que Jane a tout de même un sens — et je ne me vois pas encore Birkin était une actrice sous- avec 40 ans de vie et de cinéma devant moi. Je me dis Ciné-Bulles : Avez-vous choisi dès le départ de utilisée et je lui ai écrit ce film. que le film que je suis en train de tourner pourrait être poursuivre une démarche de cinéaste en marge du J'ai maintenant le sentiment le dernier : cela me fait immédiatement sauter au cinéma français institutionnel ? d'en avoir peut-être un peu trop projet suivant ! En fait, il y a deux moments impor­ fait dans les longs monologues. mais il y avail des choses im­ tants dans l'élaboration d'un film: l'écriture avec ses Jacques Doillon : Il ne s'agit même pas d'un choix. portâmes dans i e texte que Jane effrois et ses grandes joies, puis le tournage qui n'est Je crois qu'on ne choisit pas son destin. Je ne peux tenait absolument à dire. Quand pas, pour moi, la simple exécution du scénario. faire que ces films-là : des films que j'écris seul ou même un peu sous-estimé Lorsque j'écris, je ne note aucune indication parce parfois avec un ami (Jean-François Goyet). Je n'ai comme film. On ne me le cite que plus tard, au moment du tournage, je ne veux pas jamais fait d'efforts particuliers pour être en marge pas beaucoup à vrai dire ! me souvenir du pourquoi et du comment. Je veux et pour faire ce type de cinéma. J'ai eu à lutter La Pirate (1984) arriver sur le plateau et entendre le texte dit et repris (beaucoup !), à combattre pour pouvoir continuer La Fille prodigue ne marche par quelqu'un d'autre... mais cela m'a semblé normal. La véritable horreur pas très bien et j'éprouve une pour moi aurait été de devenir un cinéaste pas trop certaine lassitude qui freine mon désir d'enchaîner. Je fais Ciné-Bulles : Et ce n'est qu'à cette étape que la mise mal doué à la solde de la grande industrie cinémato­ dîme un peu de télé, des publi­ en scène se crée ? graphique.

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