Jeu vidéo et santé psychosociale Journées recherche du Montpellier In Game 2015 Dérives postmodernes du jeu vidéo AAA Remember Me < Emmanuelle Jacques > Laboratoire : RIRRA 21 MCF en Arts plastiques [email protected] < RESUME > Dans cette communication est effectué une analyse sociocritique des processus créatifs du jeu vidéo Remember Me du studio Dontnod Enterteinment. Apparait dans cette œuvre mainstream un imaginaire postmoderne qui résiste aux intentions émancipatrices et critiques d’Alain Damasio. Encapsulé dans un processus industriel, cet auteur de science-fiction va être confronté à une autocensure de l’équipe et une forte inertie dans la réalisation du jeu vidéo Remember Me, initialement nommé Adrift, proche du concept de dérive situationniste. Au cours de sa réalisation, le jeu changera d’orientation idéologique, par respect inconscient d’une sorte de cahier des charges tacite à tout jeu vidéo désireux de se positionner dans la catégorie des jeux AAA. La méthodologie sociocritique postule l’existence de relations entre la création, l’histoire et le contexte sociétal par l’intermédiaire de sociolectes et du concept de sujet culturel. C'est-à-dire que cette réalisation vidéoludique porte en elle dans ses formes et son expressivité, des lacunes et les contradictions de notre société néolibérale. L’enquête sur le processus de création et réalisation montre à travers les conflits et controverses, quelques pathologies sociales de notre société néolibérale. < ABSTRACT > In this paper, a sociocritical analysis of the creative processes of the video game Remember Me by the Dontnod Enterteinment studio is carried out. Appears in this mainstream work a postmodern imagination that resists the emancipatory and critical intentions of Alain Damasio. Encapsulated in an industrial process, this science fiction author will be confronted with a self-censorship of the team and a strong inertia in the realization of the video game Remember Me, initially named Adrift, close to the concept of situationist drift. During its realization, the game will change its ideological orientation, out of unconscious respect for some sort of tacit specification to any video game wishing to position itself in the category of AAA games. The sociocritical methodology postulates the existence of relations between creation, history and the societal context through sociolects and the concept of cultural subject. That is to say, this video game realization carries within it in its forms and expressiveness, gaps and contradictions of our neoliberal society. The investigation of the process of creation and realization shows through conflicts and controversies, some social pathologies of our neoliberal society. < MOTS-CLES > Jeux vidéo de l’opprimé, Processus de création, sociocritique, Alain Damasio, Remember Me, DONTNOD ENTERTEINMENT, McLuhan, Boal, Frasca, Debord. < Keywords > Video Games of the Oppressed, Creative Process, Sociocritical, Alain Damasio, Remember Me, DONTNOD ENTERTEINMENT, McLuhan, Boal, Frasca, Debord 1. Introduction À l’image de notre société contemporaine et du brouillage des frontières entre art, littérature et industrie culturelle, le jeu vidéo Remember Me, d’action-aventure apparait ambivalent par la position de Dontnod Entertainment1, studio indépendant, financé par un riche investisseur bulgare, qui ambitionne de réaliser des jeux vidéo AAA et où Alain Damasio, auteur engagé de science-fiction est un des fondateurs. Cette ambivalence se retrouve dans le processus même de réalisation faisant émerger des controverses pendant et après le lancement de Remember Me. Alain Damasio est cofondateur de ce studio de jeux vidéo parisien. L’intérêt de ce jeu et de ce studio est qu’ils sont bavards sur l’expérience de réalisation, c’est-à-dire que contrairement aux studios industriels classiques, l’équipe n’est pas muselée par des spécialistes de la communication pour raison de secteur très concurrentiel. Ainsi loin 1 A l’origine de Remember Me (2013) et de Life is Strange (2015). des discours conformistes du secteur, Alain Damasio explique sans concessions le processus de réalisation et les déceptions face aux directions que va prendre le projet. Il confie avoir rencontrer des difficultés à garder le contrôle créatif d’une équipe composée de plus de 80 personnes et d’avoir mesuré la force d’impact d’une autocensure. Le produit final s'est éloigné considérablement du projet de départ, notamment sur la dimension politique et la représentation du personnage principal de Nilin2. Sur 1000 pages de bible narrative3, 5% seront respectés au niveau des représentations, de la narration et de la structure ludique. La dimension politique sera entièrement retirée au bénéfice de structures ludiques standardisés d’un jeu AAA incorporant certains principes de l’idéologie néo-libérale (individualisme, performance et combat). Lorsqu’Alain Damasio accepte de rejoindre l’équipe, son ambition est de travailler avec le médium le plus populaire auprès de la jeune génération a contrario des romans appréciés par un lectorat d’intellectuels. Il souhaite alors apporter à la création des jeux vidéo, un positionnement plus noble, plus politique et critique, qui permette d’interroger la société à la façon des romans du XIXe siècle. L’objectif est de travailler le médium vidéoludique dans sa dimension artistique a contrario des approches simplistes de l’industrie. Alain Damasio a l’intention d’inscrire l’expérience de jeu dans un engagement collectif, pour cela il désire utiliser une écriture polyphonique, montrant les désaccords, les différentes façons de penser afin de créer le dialogue politique. Les propositions de Gonzalo Frasca et Guy Debord apparaissent comme les armes nécessaires pour permettre aux concepteurs de jeux vidéo de se libérer des valeurs non conscientes d’un imaginaire postmoderne. J’utilise la notion d’imaginaire postmoderne en tant qu’imaginaire irrationnel, métaphysique, c’est-à-dire conservateur, traditionaliste et réactionnaire comme le rappelle Marc Jimenez dans l’article Rationalité et négativité dans la pensée adornienne4. 2 "Je suis surtout déçu sur le personnage principal qu'on avait bâti et qui, à mon sens, était beaucoup plus intéressant que ce qu'il est devenu au final. L'héroïne devait être plus fragile, plus vulnérable, ce qui favorisait beaucoup plus l'identification" 3 Réduite à 200 pages afin que les game designers puissent les lire. 4 Parue aux presses de l’université de Tunis sous la direction de Mélika Ouelbani, Adorno et l’École de Francfort, Colloque 5-7 décembre 2003, p.117. 2. Processus créatifs et sociocritique Dans cette communication, je propose une analyse sociocritique du jeu vidéo Remember Me crée par le studio français Dontnod Entertainment et postule ainsi l’existence de relations entre la création, l’histoire et le contexte sociétal par l’intermédiaire de sociolectes et du concept de sujet culturel. C'est-à-dire que mon argumentation porte sur l’idée que cette réalisation vidéoludique contient en elle dans ses formes et son expressivité, les lacunes et contradictions de notre société néolibérale. Le processus de création de Remember Me reflète ainsi les changements sociétaux que les concepteurs-réalisateurs vivent, notamment la légitimité d’un imaginaire postmoderne et l’instrumentalisation de la notion d’émancipation dans une sorte d’esprit révolutionnaire conservateur. Tout en restant ambigu, ce jeu vidéo est porteur des espoirs et conflits sociaux qui se révèlent dans l’œuvre, mais aussi au cœur de l’équipe ; il combine ainsi des éléments critiques et idéologiques, d’un côté avec des intentions engagées et émancipatrices, et de l’autre avec un sociolecte professionnel et industriel entièrement instrumentalisé. L'œuvre ainsi exprime « un contenu de vérité » sans s'en rendre compte, et indépendamment des intentions d'Alain Damasio, elle va même résister aux intentions créatives. En regardant les références de l’équipe, l'inter iconicité démontre que l'œuvre dépasse la dimension individuelle du sujet créateur, elle révèle un non-conscient collectif qui fait la preuve d’un échec à l’émancipation idéologique fictionnelle. La sociocritique postule une homologie structurale entre un non-conscient collectif qui s'exprime dans et à travers les œuvres et la situation sociale des différents groupes sociaux représentés. Ainsi cette création fait apparaître l'essence ou le maximum de conscience possible (la conscience idéale) d'un groupe social. C'est en quelque sorte une conscience potentielle que l'on trouve à l'état latent dans cette création. Remember Me est alors le lieu d'un espace potentiel d'expression qui joue donc un rôle essentiel dans la société, puisqu'il est ici envisagé comme une activité structurante qui transforme et dépasse le réel. 3. De Adrift à Remember Me L’idée initiale est un jeu vidéo de science-fiction sur le thème de la dérive (d’où le titre original Adrift). Dans un Paris inondé, suite à des catastrophes naturelles, la société parisienne est devenue inégalitaire et sécuritaire. L’histoire se déroule en 2084 en hommage à l’œuvre 1984 de Georges Orwell, elle reprend le concept critique de contrôle panoptique, qu’affectionne particulièrement Alain Damasio, et développe une dérive économique des réseaux sociaux. Alors qu’un moteur informatique implanté dans la nuque enregistre toutes les perceptions et les distribue sur les réseaux sociaux, un nouveau modèle d’affaires s’impose sur le secteur du marketing expérientiel. L'économie capitaliste est progressivement devenue une économie esthétique
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages16 Page
-
File Size-