fiche 18 Laurence Bérard Les étangs de la Dombes (France) Philippe Marchenay Nomenclature La Dombes est le siège d’une agriculture d’étang singulière et localisée qui fait se succé- der périodiquement pisciculture et céréaliculture sur une même surface. Les régimes de faire-valoir et les modes d’appropriation du sol, la diversité des utilisateurs du milieu, le système d’exploitation, l’organisation sociale, le poids des activités cynégétiques consti- tuent les principaux paramètres qui déterminent le fonctionnement de ces étangs « cul- tivés » de façon extensive. Ici, le paysage présente la particularité de changer complètement de physionomie d’année en année, au fil des périodes d’eau et d’assec. Ce système hydraulique agro-piscicole est l’un des plus grands ensembles d’étangs conti- nentaux exploités en France. L’origine et le sens du mot Dombes, difficiles à vérifier, continuent de faire débat. Le s final n’implique pas l’idée de pluriel, puisque les locaux disent « la » Dombes. Il est assez généralement admis que cette forme représente une désinence contractive du bas latin pagus dumbensis. Localisation géographique avoir inondé jusqu’à un cinquième du terri- toire au XIXe siècle. La Dombes fait partie du département de l’Ain et se situe au nord-est de Lyon. C’est un pla- Conduite technique teau faiblement ondulé, légèrement incliné vers Bourg-en-Bresse, dont l’altitude moyenne Circulation de l’eau et travaux du sol avoisine 280 mètres. Ses limites sont bien Les étangs de la Dombes sont avant tout – marquées au sud, à l’est et à l’ouest, le plateau d’un point de vue historique et écologique – dominant les cours d’eau respectifs du Rhône, de la Saône et de l’Ain par des abrupts – les des plans d’eau peu profonds à vocation cypri- côtières – de 50 à 120 mètres de dénivelé. Au nicole… Le savoir-faire s’est par conséquent nord, les limites sont plus floues et le passage organisé autour de la carpe jusqu’à nos jours. de la Dombes à la Bresse s’effectue insensible- Ce système d’exploitation original fait alterner ment à la hauteur de Servas. La « Dombes des l’élevage de poisson pendant la période en eau étangs », constitue le cœur de cette région ori- (appelée évolage, du latin eve, l’eau) et la cul- ginale. La Dombes administrative définie par ture de céréales en assec, selon un cycle régu- l’Insee, comporte une trentaine de communes lier. Traditionnellement, une année d’assec avec dont les plus importantes sont Chalamont, culture d’avoine était suivie de deux années Villars-les-Dombes, Saint-Paul-de-Varax et d’eau. Aujourd’hui, maïs, avoine ou – plus Saint-André-de-Corcy. rarement – blé sont cultivés, avec une nette Il y a 250 000 ans environ, les invasions glaciai- tendance à l’allongement de la période en eau, res ont joué un rôle important dans la consti- d’une durée pouvant aller jusqu’à quatre ou tution des paysages actuels. En effet, elles cinq années. sont à l’origine, à la fois du relief peu marqué L’eau joue un rôle fondamental en Dombes. de collines morainiques et de la qualité des Tour à tour maudite, convoitée ou attendue, sols caractérisés par leur imperméabilité, due elle est à l’origine des réseaux parfois denses à une forte teneur en argile. La quasi-absence de fossés destinés à faire écouler les eaux en de pente et la nature des sols ont permis l’ins- excès et à alimenter les étangs. Ces derniers tallation des étangs ; elles sont aussi responsa- se remplissent uniquement par les eaux plu- bles de la difficile mise en valeur des terres. viales qui ruissellent sur les bassins versants Le climat est de type continental avec des et par celles qui arrivent des vidanges ou des hivers froids et des étés chauds, les brouillards trop-pleins des étangs supérieurs. Chaque sont fréquents. Dépassant le millier, d’une sur- étang possède un fossé de vidange et un fossé face allant de 5 à plus de 100 ha, les étangs d’arrivée d’eau. Les eaux superflues sont éva- couvrent environ 11 000 ha, soit 10 à 12 % de cuées par l’ébie (trop-plein). Ces différents l’occupation des sols en zone centrale, après fossés communiquent très souvent entre eux AMÉNAGER LES MARAIS ET LES ÉTANGS 111 et reçoivent les eaux « de terres », formant un 0° BELGIQUE réseau hydrographique d’une complexité Manche variable selon la topographie, le nombre et la Paris superficie des étangs. Les exploitants inter- Strasbourg viennent sur ce réseau en barrant ou laissant s’écouler l’eau, selon qu’ils en ont besoin ou FRANCE ALLEMAGNE SUISSE non, à l’aide de « pelles » ou de barrages nom- 46° N Océan Atlantique més ici « batardeaux ». Lyon Pour « faire un batardeau », on a recours au ITALIE « clavage », opération que l’on retrouve sou- vent en Dombes. Il s’agit de malaxer de l’argile Marseille ESPAGNE Méditerranée soigneusement choisie avec une certaine 4° E 0 50 100 km quantité d’eau de manière à obtenir un mélange imperméable. La terre clavée est éga- lement utilisée pour construire les digues d’é- tangs et colmater d’éventuelles fuites. La AIN surveillance des chaussées et le repérage des AIN « ratières » (fuites provoquées la plupart du temps par les rats musqués) sont d’autres Montrevel- en-Bresse tâches importantes, tout comme l’est le net- Mâcon toyage régulier des grilles situées aux arrivées d’eau pour que l’eau ne soit pas stoppée par les feuilles lors de son écoulement. Certains Bourg- travaux ne sont pas indispensables, mais prô- en-Bresse nés par les exploitants les plus attentifs. Pour Châtillon- améliorer la production, certains épandent sur-Chalaronne des engrais dans l’eau, à partir d’un bateau ; Saint-Paul- toutefois, il est plus habituel de disposer du de-Varax fumier en tas sur l’assec, avant la remise en eau à l’automne. Le faucardage est également Villars-les-Dombes Chalamont pratiqué si nécessaire, pour limiter l’extension Parc ornithologique des végétaux aquatiques envahissants. Trévoux Ambérieu- La terre en suspension dans l’eau se dépose en-Bugey peu à peu dans le bief et la pêcherie ; au bout de quelques années d’évolage, il devient nécessaire de les curer pour dégager la boue qui gêne les opérations de pêche. Ces travaux s’effectuent aujourd’hui à l’aide d’un bulldozer Lyon ou d’une pelle hydraulique ; hier ils étaient effectués à la main ou avec la « pelle à bœufs ». La Dombes des étangs dans le centre-est de la France. L’étang temporairement asséché est cultivé au même titre qu’une terre, avec quelques soins particuliers : ainsi, les travaux d’assainisse- ment préalables pour faire égoutter l’étang sont plus importants que ceux d’une terre ; La pêche une fois ressuyé, le sol d’étang doit « être pris à temps » car il sèche plus rapidement qu’une Chaque année d’eau, les étangs sont alevinés, terre ordinaire. Le labour en billons bombés a vidés puis pêchés à l’automne suivant. Tous longtemps été pratiqué ; le labour en planches les quatre ou cinq ans en moyenne, ils sont l’est encore fréquemment s’il s’agit ensuite de pêchés au printemps et laissés à sec, en géné- semer de l’avoine ; ce sont des techniques ral un été durant, pour être cultivés. Carpes, complexes de travail du sol, autrefois adop- tanches, gardons, rotengles et brochets sont tées pour toutes les céréales en Dombes. élevés dans les mêmes étangs, mais la carpe La culture d’assec, liée à de nombreuses est la seule espèce à faire l’objet d’une produc- contraintes sociales et techniques, est rare- tion d’alevins séparée, dans de petits étangs ment rentable aujourd’hui et certains étangs de pose ou d’empoissonnage réservés à cet sont simplement « retournés », voire fraisés au effet. On distingue traditionnellement les cultivateur rotatif puis laissés « à soleil ». « feuilles » (alevins d’un été), les « panots » 112 AGRICULTURES SINGULIÈRES © Marchenay/Bérard, CNRS (alevins de deux étés) et les mères (terme Vidange de l’étang Bataillard désignant les géniteurs mâles ou femelles). avant la pêche. On distingue bien Pour « empoissonner un étang », on compte en les chaumes du maïs cultivé moyenne 120 panots, 10 kg de tanches, 15 kg lors de l’assec précédent. Saint-André-le-Bouchoux, hiver 2005. de blanc (gardons et rotengles) et quelques brochets à l’hectare, mais ces chiffres sont ajustés par l’exploitant en fonction de la nature des fonds et de la qualité de l’eau. Phase la plus spectaculaire de l’évolage, la grande poche. Les trieurs prennent place pêche se déroule à l’automne ou en hiver, autour de la « gruyère » (table de tri allongée), voire au printemps lorsque l’étang est mis en les porteurs à côté des « filochons » (grosses assec. Elle a lieu tous les ans pour les étangs épuisettes sans manche), remplacés de plus de pêche réglée (étangs marchands) et les en plus par des caisses en plastique. Le étangs d’empoissonnage. La première phase « pêcheur » commence à sortir le poisson et à consiste à « faire couler l’étang » : le thou le déverser dans la gruyère à l’aide de (ouvrage muni d’une bonde, permettant de l’« arvot » (large épuisette au long manche). retenir l’eau ou de l’évacuer) est ouvert assez Le poisson est rapidement trié et entreposé longtemps à l’avance et on règle le débit de dans les filochons ou les caisses, enlevés au manière à ce que l’étang puisse être péché à la fur et à mesure pour être pesés sur la chaus- date fixée.
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