Radiomorphoses N° 4 / 2019

Radiomorphoses N° 4 / 2019

RadioMorphoses n° 4 / 2019 Félix PATIÈS Les radios libres renouvellent l’écriture radiophonique : Le cas de Radio Libertaire de 1978 à 1986. Avertissement Les contenus de ce site et de ce document relèvent de la législation française sur la propriété intellec- tuelle et sont la propriété exclusive de l’éditeur. Les oeuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu’elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédago- gique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l’éditeur, le nom de la revue, l’auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l’éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Tous droits réservés © RadioMorphoses n° 4 / 2019 Félix PATIÈS Les radios libres renouvellent l’écriture radiophonique : Le cas de Radio Libertaire de 1978 à 1986. Résumé Au début des années 1980, les anarchistes se saisissent de la modulation de fréquence (FM) en région parisienne et créent Radio Libertaire sur le 89,5 MHz. Presque aucune trace sonore n’a survécu de cette époque. Grâce aux archives papiers de la Fédération anarchiste, il est pourtant possible de documenter les activités radiophoniques de cette radio. Le lien, bulletin intérieur de la Fédération anarchiste, l’organe de liaison interne des groupes anarchistes en France, rassemble des comptes rendus de réunions ainsi que des éléments de réflexion concernant la radio. À travers le cas de Radio Libertaire, il est possible d’étudier la manière dont un groupe politique, jusque-là exclu des ondes, s’approprie et renouvelle l’écriture ra- diophonique pour mettre en ondes leurs idées le plus efficacement possible. Mots clés : Radio Libertaire, 89,5 MHz, anarchistes, nouveaux auteurs, radios libres, le Monde libertaire, grilles des programmes, modulation de fréquence. Abstract At the beginning of the 1980s, anarchists implement their own FM radio station in Paris. Ra- dio Libertaire is born and settle on 89.5 MHz. Almost no sound recordings have survived from this time. Nevertheless, thanks to the paper archives of the Anarchist Federation, it is still possible to document the activities of Radio Libertaire. Le lien, the internal bulletin of the anarchist Federation, gathers minutes of meetings as well as elements of reflection concer- ning radio. Through the case of Radio Libertaire, it is possible to study the way in which a political group, excluded from the airwaves until then, appropriates and renews the ways to produce radio and to broadcast their ideas as efficient as possible. Key words: Radio Libertaire, 89.5 MHz, anarchists, new authors, free radios, le Monde libertaire, program grids, frequency modulation. Resumen A principios de la década de 1980, los anarquistas implementan su propia estación de radio FM en París. Radio Libertaire nace y se instala en 89.5 MHz. Casi ninguna grabación de soni- do ha sobrevivido desde este momento. Sin embargo, gracias a los archivos en papel de la Federación Anarquista, todavía es posible documentar las actividades de Radio Libertaire. Le lien, el boletín interno de la Federación anarquista, reúne actas de reuniones y elementos de reflexión sobre la radio. A través del caso de Radio Libertaire, es posible estudiar la forma en que un grupo político, excluido de las ondas hasta entonces, se apropia y renueva las formas de producir radio y transmitir sus ideas de la manera más eficiente posible. Palabras clave: Radio Libertaire, 89.5 MHz, anarquistas, nuevos autores, radios libres, le Monde libertaire, grillas de programas, modulación de frecuencia. 2 Félix PATIÈS RadioMorphoses n° 4 / 2019 Introduction Depuis la fin des années 1970, de nouveaux acteurs (militants, immigrés, anarchistes, ama- teurs de musique, entrepreneurs, passionnés de technique) contestent le monopole d’État sur la radiodiffusion. Ils se saisissent de la modulation de fréquence afin de diffuser leurs contenus. Ils bénéficient alors des avancées techniques (miniaturisation des émetteurs FM, désintérêt de Radio France et des stations périphériques pour la FM) et du dynamisme des radioteurs italiens (le monopole italien sur la radiodiffusion n’a pas été renouvelé au milieu des années 1970 et a permis l’explosion des radios privées en Italie). Valéry Giscard d’Estaing et son gouvernement s’opposent aux contrevenants au monopole d’État sur la radiodiffu- sion. C’est la bataille des radios libres (Lefebvre, 2008). Après mai 1981, l’effervescence de ces nouvelles radios contraint le nouveau gouvernement à mettre fin au monopole. Une nouvelle lutte apparaît alors : quelles radios libres doivent être dérogées ? Des centaines de radios souhaitent participer à la bande FM alors que le nombre de fréquences est très li- mité. Or, les motivations des acteurs sont très diverses, voire antagonistes : militantismes politiques ou religieux, entraide communautaire, diffusion de petites annonces ou de nou- velles musiques, mais aussi la recherche de profits. Les pouvoirs publics ont le plus grand mal à réguler le nombre et la diversité des radios dans les métropoles, du fait de la dispersion de la décision politique entre de nombreux acteurs institutionnels en charge du dossier (ministre de la Culture et de la Communication, commission Galabert puis Holleaux, Haute Autorité de la Communication audiovisuelle, Président de la République, Premier ministre) et des multi- ples attaques menées par des groupes de pression (financiers, religieux, politiques) afin de faire déroger leur radio (Chauveau, 1997). Les militants de la Fédération anarchiste, initiateur de Radio Libertaire, entrent en lutte afin de préserver leur place sur la bande FM. La radio des libertaires se retrouve même au cœur du conflit des dérogations, pris en étau entre les nouvelles autorités politiques (Haute Autorité de la Communication audiovisuelle) et les ra- dios locales parisiennes (la Voix du Lézard, NRJ) à vocation commerciale (Patiès, 2014). En parallèle de cette lutte pour la légalisation de leur station, les anarchistes mettent en scène leurs paroles et « ancrent » dans le sonore leurs idées. De ces premières expériences de radiodiffusion, il n’existe presque aucune trace sonore. Cependant, dans les archives de la Fédération, de nombreuses sources papier permettent de documenter les activités radio- phoniques de cette époque. Notamment, le bulletin intérieur de la Fédération anarchiste qui n’est autre que l’organe de liaison interne des groupes anarchistes en France. Les comptes rendus de réunions ainsi que des éléments de réflexion concernant la radio sont transmis à l’ensemble des adhérents de manière mensuelle ou bimensuelle. À travers le cas de Radio Libertaire, il est possible d’étudier la manière dont un groupe politique, jusque-là exclu des ondes, s’approprie et renouvelle l’écriture radiophonique pour mettre en ondes ses idées le plus efficacement possible. Tout d’abord, il faut expliquer pourquoi les anarchistes se sai- sissent de ce nouveau médium. Ensuite, il faut analyser comment ces militants cherchent à écrire dans l’éther francilien la singularité sonore de leur station (identité sonore, studio, fré- quence). Enfin, il convient d’observer les innovations et les réinventions opérées par ces mi- litants afin d’adapter leurs idées aux formats radiophoniques (création de grilles des pro- grammes, réappropriation de formats radiophoniques anciens). Félix PATIÈS 3 RadioMorphoses n° 4 / 2019 Pourquoi les anarchistes se saisissent-ils de la bande FM ? Les médias, cœurs des organisations anarchistes La radiodiffusion n’est pas le premier médium à travers lequel les anarchistes s’expriment. La place d’un journal papier est même essentielle dans l’organisation anarchiste comme le rap- pelle Maitron (1992 : vol. 2, p. 156) : « Enfin, et là est sans doute l’essentiel, la presse, depuis les origines du mouvement anar- chiste et jusqu’à aujourd’hui, a, le plus souvent, tenu lieu d’organisation, de parti. Le mouve- ment, quasi informel, ne se structure et n’existe pratiquement que grâce à elle. » Le médium, pour les anarchistes, est le lieu où se matérialise l’organisation. Le journal est volontairement maintenu à une structure minimale, tournée vers la production d’informations militantes. Depuis sa refondation en 1954, la Fédération anarchiste s’est dotée d’un journal, le Monde Libertaire. D’abord mensuel, il devient hebdomadaire en 1977. De 8 pages, il passe à 12 en 1982. À la différence d’autres organisations libertaires, la Fédération ne se limite pas au journal et cherche à occuper d’autres espaces de diffusion. Pour cela, les militants de la Fédération se dotent d’une librairie fédérale en 1980, la librairie du Monde libertaire située au 145, rue Amelot dans le XIe arrondissement de Paris. Il existe également des éditions du Monde Libertaire dont le but est de décliner les idées libertaires sur des supports papier (livres, brochures). Ces œuvres ont pour vocation de diffuser et de faire connaître les thèses anarchistes au plus grand nombre. Mais, selon une militante, cette stratégie a atteint ses li- mites : « Le mouvement anarchiste rencontre d’énormes difficultés dans son intervention réelle au sein des masses. [...]. La croissance qualitative du mouvement libertaire se heurte au « localisme » et à l’éclatement des champs de réflexion des groupes ou des organisations anarchistes. »[1] Tout le problème du mouvement libertaire à l’horizon des années 1980 est de propager ses idées au sein du plus grand nombre. Ce besoin se fait d’autant plus sentir que Mai-Juin 68 a engendré de nombreuses expériences libertaires qui permettent un renouvellement des idées anarchistes par des exemples concrets (l’occupation du Larzac, la reprise des usines de montres LIP par les ouvriers). Dans cette perspective, l’accès à la modulation de fréquence semble être une véritable aubaine pour les anarchistes. La diffusion en modulation de fréquence permet aux anarchistes de propager leurs idées sur un média de masse. La portée de la FM est limitée à environ 50 kilomètres, mais en région parisienne une telle surface abrite plusieurs millions d’habitants.

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