Decize, Cosne, la résidence et la place forte : deux possessions du comte de Nevers aux frontières du Nivernais Nicolas Brocq* Résumé Les châteaux de Decize et de Cosne ont récemment fait l’objet de nouvelles recherches. Ils sont situés au bord de la Loire presqu’aux deux extrémités du département de la Nièvre et ont tous deux été érigés par les comtes de Nevers semble-t-il. L’un et l’autre avaient une vocation militaire indéniable mais Decize était en plus une XVe résidence privilégiée de la famille comtale. Au siècle, comme dans beaucoup de châteaux en Bourgogne, les châteaux sont réparés. Ces comptes de travaux et les études d’archéologie de bâti nous permettent aujourd’hui d’en connaître plus. 1Comparer aujourd’hui les deux villes de Cosne et Decize2 n’apparaît pas comme une évidence, pourtant leur histoire ou leur position durant la période médiévale les rapprochent3. Deux villes comtales ligériennes En Loire assise Decize au sud, n’afrme pas autant que Cosne-sur-Loire au nord, son lien étroit avec le monde de l’eau, du moins dans son nom (fg. 1). Les deux villes forment pourtant très *1Médiateur du patrimoine 2. Cet article a pour point de départ deux études menées distinctement : un mémoire de maîtrise : Decize, une implantation, concentrée et concentrique. La cité au MoyenÂge, soutenu en 1998 à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, et une conférence : Cosne, son Fig. 1 : situations de Cosne et Decize château et ses enceintes au Moye Âge, donnée en 2002 pour (fond ©géoportail, infographie CeCaB). l’association des amis du musée de Cosne. 3. Sur Decize, voir notamment : Destray (Paul), Decize. Gien : Lefèvre, 1927 (Petites monographies nivernaises, tôt deux verrous et deux ports marchands 1). Hanoteau (Jean), Guide de Decize. Decize : syndi- solidement ancrés sur la Loire aux frontières cat d’initiative, 1976. Merle (Marcel), Decize, son histoire. du Nivernois. Cosne-sur-Loire (Condate) est Le passé méconnu d’une petite ville du Nivernais. Decize : stratégiquement installée à la confuence du Syndicat d’initiative, 1974. Girerd, (Frédéric), Notice historique sur Decize ancienne ville du Nivernais. Nevers : Nohain et de la Loire, tandis que Decize (Dece- Duclos et Fay, 1842, rééd. 1990. tia), rocher découpé par l’action de la Loire, Sur Cosne : Detroy (Paul) Flâneries dans le passé, Cosne bénéfcie d’une implantation insulaire idéale et au gré des jours et des siècles, Cosne, s.n., 1934. Faivre, (Alfred), Cosne à travers les âges : essai historique et archéolo- rare, à la confuence avec l’Aron. Le panorama gique. Cosne : H. Bourra, 1895, rééd . 1986. Coll. Cosne- qui se dégage du sommet, au-delà de l’intérêt Cours-sur-Loire, Nevers : Camosine, 1989 (Annales du stratégique, n’est certainement pas étranger à pays Nivernais, n° 61-62.) Chastels et maisons fortes IV. Chagny : Centre de Castellologie de Bourgogne, 2014 54 Nicolas Brocq l’intérêt que lui portent les comtes de Nevers. prospère à l’intérieur des remparts ceinturés D’autant que depuis Nevers, le chemin est par les eaux du feuve. À Cosne, le religieux court, surtout si l’on choisit la voie fuviale, est partout dans les murs : l’évêque d’Auxerre plus confortable et plus sûre. règne sur la ville en son palais et y protège les communautés religieuses. L’église parois- Deux villes d’égale importance siale gothique Saint-Jacques, (qui remplacera Au Moyen Âge, Decize et Cosne sont très Saint-Laurent), l’église abbatiale romane Saint- proches au regard de leurs superfcies intra- Agnan, mais aussi la chapelle Notre-Dame de muros et de leurs populations estimées (envi- Galles, sont toutes installées sur l’axe routier ron 5 000 habitants). Enfermées toutes deux qui traverse la ville du nord au sud. Notons que par leurs enceintes urbaines, obtenues à la c’est un autre évêque qui sera à l’origine du faveur de libéralités vraisemblablement dans la développement de l’église de Decize. En efet, première moitié du xiiie siècle, elles possèdent Arégius, un des premiers évêques de Nevers, deux faubourgs principaux installés le long eut l’idée « miraculeuse » d’y établir sa dernière des grands axes routiers. À Decize, rive gauche demeure lorsqu’il demanda à ses paroissiens au sud (vers le Bourbonnais) se développe le d’embarquer sa dépouille sur la Loire et qu’elle faubourg de Crotte ou de Saint-Gilles et, rive remonta jusqu’à Decize. Enfn dans les deux droite au nord (vers Nevers), celui de Saint- cités, le comte de Nevers dispose d’un accès Privé. À Cosne on trouve au sud (vers Nevers), privilégié à l’église paroissiale. le faubourg fortifé de Saint-Agnan, et à l’est (vers Donzy) celui de Saint-Père. Mais des schémas urbains bien diférents Le relief decizois, particulièrement acci- La présence des seigneurs de Nevers denté, conditionne l’implantation urbaine : À Decize comme à Cosne, l’ombre tutélaire les quartiers populaires dans les espaces les du comte de Nevers est présente, même si elle plus réduits ou pentus, la noblesse au plus près se fait sentir à des degrés diférents. Decize a de des édifces religieux, en contrebas immédiat loin une position plus enviable, dans le sens où du château. Ici, la chronologie s’empile, les elle abrite une véritable résidence secondaire constructions s’imbriquent les unes dans les pour le comte qui y organise ses réunions des autres, contrairement à Cosne où l’espace est états généraux, plusieurs mariages, et y accueille plus ouvert. La cité s’organise donc à partir des les grands de ce monde. Cosne revêt un rôle grands axes routiers (la route nord-sud de Paris tout aussi stratégique mais beaucoup moins à Lyon et la route est-ouest de Saint-Père) qui prestigieux, freinée en cela par la présence du accueillent les édifces principaux (églises ou puissant évêque d’Auxerre, seigneur de la ville. monastères, palais de l’évêque) ou des lieux Le comte de Nevers s’accroche fermement d’activités (marchés, ports) suivant un schéma à l’angle sud-ouest des remparts de la cité, bien rectiligne (l’enceinte urbaine a ainsi une verrouillant ainsi, grâce à son château polygo- forme parfaitement rectangulaire) (fg. 11). nal, la confuence Loire et Nohain. Le château, unique et modeste possession du seigneur laïc, est grefé à l’angle sud-ouest des La présence religieuse aussi fortifcations urbaines. À Decize, à cause de la disposition géolo- gique, le rocher érige la théorie des ordines en L’organisation de la défense un véritable cas d’école. Au point culminant, la Si à Decize, la présence forte du comte de résidence des comtes de Nevers protège sous Nevers facilite le développement de la cité et la sa coupe un véritable enclos religieux marqué protection de la place (un seul capitaine orga- par la présence de l’église paroissiale Saint-Aré, nise ainsi à toutes les époques la défense de la du prieuré Saint-Pierre, dépendant d’abord de ville et celle du château), à Cosne la situation Cluny puis de Saint-Germain d’Auxerre, et est bien diférente. Les confits incessants entre d’un couvent de Clarisses. En contrebas, la cité l’évêque d’Auxerre, seigneur du lieu, et le Chastels et maisons fortes IV : actes des journées de castellologie de Bourgogne, 2010-2012 Decize, Cosne, la résidence et la place forte : deux possessions du comte de Nevers aux frontières du Nivernais 55 Fig. 2 : vue du château de Decize, Belin, dessin au crayon sur papier, 1827, (bibliothèque municipale de Nevers, ms. 3). Fig. 3 : Cosne en 1612, Joachim Duviert, dessin à l’encre sur papier, 1612, (BnF, Richelieu, Est SNR- 1). Édité par le Centre de Castellologie de Bourgogne, 2014 56 Nicolas Brocq comte4 ne facilitent pas l’organisation de la XIIe - XIIIe siècles défense, occasionnant de nombreux sièges et Dès le xiie siècle à Decize, il existe pillages. une construction en dur puisqu’en 1139, Guillaume II, comte de Nevers, emprisonne Le feuve encore dans « la tour du château de Disise » Hugues le À Decize, la Loire constitue un obstacle Manceau, vassal du comte de Champagne qui majeur au développement ou à la vie de la cité l’avait lui-même retenu prisonnier dix ans plus lorsque, notamment, les ponts sont emportés tôt7. À la charnière des xiie et xiiie siècles, le ou détruits. À Cosne, la cité est moins limitée rôle de Pierre de Courtenay dans la mise en par le relief ou les cours d’eau. La Loire n’est place du système de défense de la ville puis l’af- pas vraiment un obstacle à l’essor de la cité, fection particulière que Mahaut8 sa flle porte à même si, rappelons-le, aucun pont (seulement Decize le confrme. Le « château vieux9 », véri- un bac) ne permet de franchir la Loire avant le table base de toutes les constructions futures, premier tiers du xixe siècle. est certainement édifé autour de 1270 par Jean dit Tristan, fls de saint Louis marié à Yolande Des libertés aux origines distinctes de Bourgogne. Dès cette époque, le système Enfn, les deux villes jouissent très tôt de défensif principal, le donjon et les grands corps certaines libertés qui pourtant ont des origines de logis sont en place. très diférentes. C’est au comte de Nevers que C’est à Guillaume II que l’on doit la l’on doit l’afranchissement des habitants de première campagne de construction impor- Decize, certainement au xiiie siècle. À Cosne tante au château de Cosne. Les courtines à au contraire, c’est l’évêque qui encourage cette huit pans équipées de hourds, la tour porche autonomie qu’il juge fort utile dans sa lutte carrée, les tours d’angle sont bâties alors que contre le pouvoir comtal.
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