Document generated on 09/27/2021 8:46 a.m. Canadian University Music Review Revue de musique des universités canadiennes --> See the erratum for this article La méringue entre l’oralité et l’écriture : histoire d’un genre musical haïtien Claude Dauphin Number 1, 1980 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1013735ar DOI: https://doi.org/10.7202/1013735ar See table of contents Publisher(s) Canadian University Music Society / Société de musique des universités canadiennes ISSN 0710-0353 (print) 2291-2436 (digital) Explore this journal Cite this article Dauphin, C. (1980). La méringue entre l’oralité et l’écriture : histoire d’un genre musical haïtien. Canadian University Music Review / Revue de musique des universités canadiennes, (1), 49–65. https://doi.org/10.7202/1013735ar All Rights Reserved © Canadian University Music Society / Société de musique This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit des universités canadiennes, 1980 (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ LA MERINGUE ENTRE I/ORALITÉ ET L'ÉCRITURE : HISTOIRE D'UN GENRE MUSICAL HAÏTIEN Claude Dauphin La meringue, genre et forme musicale autant que danse sociale, est une manifestation bien affirmée du nationalisme haïtien. Le titre de l'ouvrage de Jean Fouchard, La meringue, danse nationale d'Haïti (1973), symbolise ainsi une dimension bien concrète de la typologie culturelle haïtienne. La meringue est, à Haïti, ce que la valse est à l'Autriche, la mazurka à la Pologne, la Habanera à Cuba, le Tango à l'Argentine, le Calypso à Trinidad, etc. C'est donc un emblème aux mains de certaines classes exerçant la représentation nationale dans un contexte cosmopolite. La meringue apparaît ainsi comme le style musical d'une communauté. Son coefficient de stabilité est assez élevé pour digérer des évolutions successives de la forme sans mettre en péril la nature fondamentale du genre. C'est donc un point de référence et d'alimentation de la création musicale haïtienne où s'exerce la transgression du style. Point de jonction des tradi• tions populaires et des consciences savantes, la meringue est ce lieu de synthèse où l'oralité et l'écriture fondent une « haïtien- neté » musicale. De nombreux et virulents débats concernant l'origine exacte et « la vraie nature de la meringue authentique » ont déjà fourni à la musicologie haïtienne une littérature considérable. Menés (1910) a traité des liens de parenté de la meringue avec d'autres genres ancestraux européens et africains conservés dans la musique paysanne. En 1950, une ardente polémique journalistique, concernant l'authenticité des formes de merin• gues existantes et de la meilleure manière d'en rendre compte par la notation rythmique, a opposé l'historien de la musique haïtienne Constantin Dumervé au compositeur haïtien Werner Jaegerhuber (1943). Enfin La meringue de Jean Fouchard revêt Revue de musique des universités canadiennes, N° 1, 1980. 50 un caractère monographique assez élaboré : il sonde l'origine non seulement du genre, mais encore du mot lui-même, du concept et même, des circonstances sociales qui ont pu lui donner naissance. Tous ces textes font état d'arguments historiques. Cepen• dant, ces arguments ne sont nulle part soutenus par des docu• ments musicaux sous forme de notation, lesquels entretien• draient un rapport direct avec le sujet traité. L'ouvrage de Fouchard reproduit, il est vrai, le fac-similé de Dialogue Créole de Michel Etienne Descourtilz. Mais outre le fait que c'est un document musical d'époque (aux alentours de 1790), le lien avec la meringue se révèle pratiquement inexistant : en effet à l'époque où fut composé Dialogue Créole, il existait, aussi bien que maintenant, un éventail assez large dé styles pouvant attirer un compositeur. Certains contours de l'œuvre pourraient être considérés comme des tournures mélodiques haïtiennes anticipées.1 Mais au delà de cette précocité forcée, il faut bien admettre que cette pièce rejoint plutôt le caractère d'une bergerette française du XVIIIe siècle, toute empreinte encore de l'influence de l'opéra italien. Sans mettre en doute la valeur historique de cette première partition de la musique haïtienne, ce n'est certainement pas l'œuvre la plus éloquente pour reconstituer une étape chronologique de la meringue. Nous nous arrêterons avec plus de profit sur une mélodie que l'on tient pour contemporaine de Dialogue Créole : la Meringue Ancienne2 d'un compositeur anonyme. Ce petit air de Meringue fut rapporté par Jude Villard de Port-de-Paix avant 1958. Quel fut le mode de conservation de cet air et quelles furent les conditions de sa transmission? Il nous est parvenu grâce à une partition de Robert Durand qui l'harmonisa pour piano en 1958 (voir Ex. 1 ci-après). Durand tenait cet air, noté sur portée, d'un grand collec• tionneur d'œuvres musicales haïtiennes écrites, nommé Félix Hérissé. Ce dernier l'avait reçu de Jude Villard, auteur de la notation. Villard habitait sa ville natale Port-de-Paix, chef-lieu du département du Nord-Ouest. Parmi des activités musicales diverses, Villard s'attachait à consigner sous forme de recueil des airs de meringues de sa composition, ou hérités de ses contemporains et habitants de sa ville. Le 1er février 1960, il entreprit la mise au propre de dix petits airs de meringues bithématiques. Ce cahier fut transmis à Hérissé. Il appartient 51 Exemple 1 Air ancien (Meringue 1790?) noté par Jude Villard (Port de Paix), harmonisé et transcrit par Robert E. Durand (1958) aujourd'hui à la documentation de Durand. Il fait état d'une calligraphie élégante et soignée donnant tous les signes d'une longue accoutumance à ce genre d'exercice scriptural. La mention bilingue : « Tous droits réservés, copyright » suivie des initiales de l'auteur, ainsi que la graphie en caractère d'imprimerie, ne laissent aucun doute quant aux intentions de publication par procédé lithographique. On présume que Hérissé avait à ce sujet entrepris les démarches nécessaires, ce qui explique l'intérêt que lui portait Villard, en lui adressant pour la deuxième fois (la première avant 1958 en ce qui concerne Meringue ancienne) copie manuscrite de ses oeuvres. 52 Nous tenons de Robert Durand la confirmation que son manuscrit est une transcription de la notation thématique de Villard. Cette notation, aujourd'hui égarée, faisait mention de la date « 1790 », avec un léger doute quant à son exactitude absolue (la date était suivie d'un point d'interrogation entre parenthèse). C'est ce que reflète d'ailleurs la partition de Durand. Il y a un écart entre les valeurs métriques et rythmi• ques pratiquées par Durand et celles dont faisait usage Villard. Alors que ce dernier utilisa la métrique à 2/4 selon l'habitude des compositeurs de la meringue de salon qui servait aussi bien à la danse qu'à l'audition, Durand compositeur de musique de concert, transcrivit les durées rythmiques en fonction d'une double métrique 2/4 5/8 qui retenait davantage les faveurs des compositeurs aux préoccupations stylistiques plus abstraites. Nous reviendrons plus loin sur l'influence de ces niveaux de langage dans l'évolution de la meringue. Mais à l'aide du cahier des dix meringues de Villard, et à la lumière des équivalences stylistiques d'un niveau à l'autre, il est assez aisé de reconstituer la notation de Villard : Exemple 2 Air ancien selon Villard 1910. Sténio Vincent, homme politique qui devint plus tard président d'Haïti, publie son ouvrage intitulé : La République d'Haïti telle quelle est. Il y consigna, dans un chapitre, les « Notes » de Théramène Menés (1862-1911). On y trouve des réflexions étayées par des arguments destinées à fonder une 53 théorie unitaire de la musique haïtienne. Peu avant la parution de ses notes, Menés venait de mourir au terme d'un long combat qui avait opposé ses visions théoriques aux certitudes solfégi- ques de ses contemporains. Ce testament de Menés représente un document fondamental pour qui veut suivre les bouleverse• ments et conquêtes qui ont imprégné une certaine stabilité morphologique à la meringue au XIXe siècle. On peut s'étonner d'entendre parler d'habitudes solfégiques quant à la meringue. S'il existait une tradition orale où s'est opéré le mélange des éléments musicaux africains et européens,3 ce sont néanmoins des musiciens lettrés qui ont permis à ces états transitoires de passer le cap d'une stylistique. Ceux qui occupaient les fonctions de musicien dans la société coloniale et post-coloniale étaient souvent des esclaves dont le rôle consistait à produire la musique. Ils recevaient pour cela un entraînement qui se révélait être une formation musicale ëssez poussée. Héritiers naturels des éléments musicaux africains, ils les combinaient avec les tournures mélodiques, les patrons rythmiques et les schémas harmoniques que l'apprentissage de la musique européenne divertissante et légère du XVIIIe siècle leur avait enseignés. Les annonces commerciales de l'époque sont éloquentes au sujet de ces nègres et mulâtres à vendre dont la qualité était rehaussée par leur habilité à jouer du violon ou leur capacité à lire la musique « sur toutes les clefs indifférem• ment ».4 Dans les antiquités grecque, romaine ou arabe, la fonction de musicien était aussi attribuée à des esclaves spécialement formés auprès des maîtres de musique5. Le rôle de ces esclaves était hautement valorisé, même si leur essence humaine était foncièrement chosifiée. Cette situation n'était donc pas un traitement spécial imposé aux esclaves noirs.
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