Vingt-neuvième année N°122 Juillet 2008 (3e trimestre) 6 Euros Les Nouvelles d’AFGHANISTAN DOSSIER Bahoddin Madjrouh Reconstruction Les conditions pour une légitimité internationale Géopolitique La politique afghane du Pakistan ISSN 0249-0072 ISSN Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan Un pont à reconstruire SOMMAIRE N°122 lors que l’actualité afghane porte sur les méthodes à suivre pour la re- A RECONSTRUCTION construction, sur la violence et les moyens d’en sortir, nous consacrons une bonne partie de ce numéro à une figure afghane disparue il y a tout juste vingt Les conditions d’une véritable légitimité internationale ans. par Eric CASTEL-DOMPIERRE Volonté de s’extraire des problèmes brûlants d’aujourd’hui ? Bien évidemment et Etienne GILLE 3 non. Bahoddin Madjrouh n’était pas un philosophe hors du temps. Ce n’était pas un poète futile. Son message, impétueux, est de ceux que l’on gagne à DROITS DE L’HOMME relire et à méditer. Le rôle de la société civile Il voulait servir de pont. De pont entre l’Orient où il était profondément enraciné dans les réglements des différends et l’Occident dont il attendait la liberté. De pont entre les différentes tendances par Kanishka NAWABI 6 qui déchiraient la résistance afghane. Le voyageur de Minuit qu’il imagina mar- Faire évoluer les mentalités entretien avec Sima SAMAR 9 chait vers le soleil levant. Mais, écrivait-il à André Velter, « à l’heure de minuit il s’arrête ; il tourne le dos à l’Orient et commence à marcher vers l’horizon GEOPOLITIQUE du soleil couchant. ». « Je ne sais pas encore ce qui va lui arriver dans les La politique afghane du Pakistan contrées du Couchant » ajoutait-il le 26 mars 1985. par William MALEY 10 Malgré sa bonne humeur, Bahoddin était pessimiste. Réaliste dirait-on. Il avait vu et il voyait venir les malheurs car il sentait que son peuple n’arrivait pas à DOSSIER Madjrouh, militant, pholosophe, réagir contre les sirènes des avenirs radieux. Contre les totalitarismes et les visionnaire obscurantismes. Il se bagarrait cependant. Il pensait. Il recherchait des voies. L’oncle roi On ne l’a pas laissé poursuivre la sienne. Et vingt ans après nous le pleu- par Homayoun MADJROUH 12 rons encore. Car il faudrait aujourd’hui beaucoup de gens de sa trempe pour Un soir de février 1978 reconstruire des ponts. Pour sortir de l’incompréhension entre ceux qui sont par Emmanuel DELLOYE 14 tournés vers le Couchant et ceux qui regardent vers le Levant. Pour retracer L’éxilé libre un chemin de liberté. par SpojmaÏ ZARIAB 17 D’une certaine manière, quand il s’est agi de préparer la Conférence de Paris Madjrouh, voix magnétique sur l’Afghanistan, les ONG ont eu un peu cette ambition : transmettre aux dé- par Atiq RAHIMI 18 cideurs les inquiétudes, les souffrances, les doléances de la société afghane. Bibliographie 20 Leur faire part aussi de ses dynamiques. Elles ont rédigé leurs recommanda- tions1 issues de leur expérience très concrète et de leur proximité avec les AIDE HUMANITAIRE gens. Elles ont organisé le 22 mai un colloque qui semble avoir été très ap- HumaniTerra en Afghanistan, pour une terre plus humaine précié. Nous ne pouvions techniquement pas dans ce numéro rendre compte par Margaux de NOIRON 21 de cette démarche, ni des conclusions de la Conférence. Mais notre prochain numéro contiendra les Actes du colloque des ONG. CULTURE En paroles, tout le monde est à présent d’accord sur l’idée que l’action mili- Etre acteur aujourd’hui à Kaboul taire, même si elle est nécessaire, n’est pas à même de ramener la paix. Tout par Lucienne COLLET 23 le monde est d’accord pour dire qu’il faut renforcer l’Etat et la justice, lutter DERNIERES NOUVELLES contre la corruption, ne pas oublier l’agriculture, investir dans l’Education. Ce Chronologie, brèves, bibliographie 25 sont des conditions nécessaires à la paix. Sont-elles suffisantes ? Sans doute Jeune condamné à mort faut-il aussi favoriser les dialogues entre les cultures, renouer les liens entre par Etienne GILLE 28 ceux qui ne se parlent plus guère, retrouver une pensée commune. La France LE CHANT FINAL DU SOIR ne pourrait-elle jouer un rôle dans ce domaine ? Elle devrait alors investir de Bahoddin Madjrouh 32 davantage dans la connaissance de la société afghane. Afin d’aider à recons- truire des ponts. Photo de couverture : Bahoddin Mad- jrouh à Djalalabâd, 1978. (voir dossier Etienne GILLE pages 12 à 20) le 25 juin Adresse E-mail 1 - Voir le site d’AFRANE [email protected] Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet: www.afrane.asso.fr 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris 2 Les Nouvelles d’Afghanistan n°122 RECONSTRUCTION Les conditions d’une véritable légitimité internationale par Eric CASTEL-DOMPIERRE et Etienne GILLE La dernière conférence internationale sur l’Afghanistan qui a eu lieu à Paris le 12 juin a été l’occasion de remettre au premier plan la question de l’aide étran- gère à l’Afghanistan. Des clarifications sont nécessaires, car les insatisfactions qui s’expriment dans la société afghane sont de natures diverses et appellent des réponses appropriées. Pour que la légitimité de l’action internationale ne soit pas remise en cause, des mesures doivent être prises afin que les Afghans n’aient pas le sentiment qu’on leur vole leur indépendance. Il est de bon ton dans les médias de décrire la situation en delà de tout cela, c’est le désenchantement ambiant qui est Afghanistan sous les traits les plus noirs. On parle de bourbier préoccupant. ou d’impasse. Pour donner l’impression de l’objectivité, les Jusqu’en 2005, la société afghane percevait nettement les rapports les plus sérieux énoncent en quelques lignes ce qui a progrès accomplis, à la fois parce que la désespérance pro- été fait, pour détailler ensuite l’inefficacité de l’aide. Ainsi le fonde qui régnait du temps des Tâlebân était encore proche, rapport d’ACBAR publié au printemps consacre exactement mais aussi parce que les progrès institutionnels étaient bien six lignes sur vingt-six pages pour écrire : « Beaucoup visibles et réguliers (rétablissement d’une constitution, a été fait en Afghanistan depuis 2001 : l’établissement d’institutions démocratiques, des améliorations significatives dans le domaine de la santé et des vaccinations, une vaste Lycée Malalaï, Kaboul. «Un changement significatif notable est la scolarisation d’un grand expansion de l’éducation primaire, la construction de routes nombre de filles». Photo M. Ouliac et d’infrastructures de transport, la croissance économique et la formation des forces de sécurité nationales. Il y a de nombreux cas où l’aide est bien délivrée, par exemple dans le domaine de l’éducation ou des projets de développement rural basé sur les communautés dans le cadre du Programme de Solidarité nationale, ce qui a changé de manière significative la vie des Afghans ». Qui a fait état de ce constat? Ce qui est affirmé là est-il négligeable ? Il faudrait ajouter à ces éléments positifs tout ce qui concerne la scolarisation d’un grand nombre de filles y compris dans des campagnes reculées, ou encore la vitalité des médias. Bien sûr, il y a des résistances, des volontés de contrôle, mais comme l’affirmait M. Saad Mohseni, président de la chaîne de télévision Tolo, les médias sont trop forts à présent pour que les extrémistes puissent les empêcher de s’exprimer. Peut-être est-il trop optimiste. Mais le fait est là : avant il n’y avait pas de société civile organisée en Afghanistan. Maintenant il y en a une, bien vivante. Mais il ne faut pas masquer les grandes difficultés de l’Af- ghanistan actuel. Elles ne sont pas nouvelles et certaines sont séculaires : corruption très étendue (qu’il faut pourtant se garder de qualifier de généralisée), drogue, insuffisance de l’industrialisation, et surtout insécurité. Ce sont là des dif- ficultés profondes même si des signes positifs apparaissent (disparition de la drogue dans un nombre croissant de provinces, signature d’un contrat très important pour l’ex- ploitation du riche gisement de cuivre d’Aynak…). Mais au- Les Nouvelles d’Afghanistan n°122 3 RECONSTRUCTION «L’absence d’amélioration de la production ou de la fourniture d’électricité à Kaboul et dans le reste du pays demeure un sujet de de colère pour les Afghans». Photo MDGR mais bien plutôt au contexte mondial général. Alors que l’inflation était bien maîtrisée, la flambée des prix de l’essence et des céréales, aggravée par une politique restrictive du Pakistan à l’égard des importations afghanes notamment de Prise de Moussa Qala (province de l’Helmand) par les Tâlebân en 2007. «Certains secteurs de la population sont sensibles aux arguments des Tâlebân». Photo IWPR farine, est venue à un bien mauvais moment. La politique iranienne de renvoyer en Afghanistan nombre de réfugiés afghans n’arrange rien. élections présidentielles puis législatives). On ne rappelle pas Ces explications ne suffisent pas. L’absence d’amélioration assez qu’en trois ans, l’Afghanistan est parvenu à renverser de la production ou de la fourniture d’électricité à Kaboul un cycle d’instabilité politique et de violence généralisée qui et dans le reste du pays demeure un sujet de perplexité pour durait depuis un quart de siècle. l’étranger de passage mais surtout de colère pour les Afghans. Plus généralement, dans un pays où les initiatives privées de petites entreprises sont nombreuses, l’absence de véritable L’insatisfaction populaire décollage d’une indispensable industrialisation (barrages, Depuis 2006, les Afghans (et la communauté internationale) cimenteries, industries de transformation) est désespérante. ont l’impression d’être entrés dans une période de stagnation Ce sont pourtant ces chantiers qui nécessitent le plus une aide et d’illisibilité des événements, tandis que les Tâlebân ont internationale et une planification publique.
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