2019 20:00 25.11.Salle de Musique de Chambre Lundi / Montag / Monday Soirées de musique de chambre Vilde Frang violon Nicolas Altstaedt violoncelle Andreas Ottensamer clarinette Julien Quentin piano résonances 19:30 Salle de Musique de Chambre Artist talk: Andreas Ottensamer im Gespräch mit Tatjana Mehner (D) Eugène Ysaÿe (1858–1931) Sonate pour violon seul N° 5 en sol majeur (G-Dur) op. 27 N° 5 «Pastorale» (1923) L’Au ro re Danse rustique 9’ Alexander Zemlinsky (1871–1942) Trio op. 3 pour clarinette, violoncelle et piano (1896/97) Allegro ma non troppo Andante Allegro 25’ — Claude Debussy (1862–1918) Première Rhapsodie pour clarinette et piano (1909/10) 9’ Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur (d-moll) (1915) Prologue: Lent, sostenuto e molto risoluto Sérénade: Modérément animé Final: Animé, léger et nerveux 12’ Béla Bartók (1881–1945) Contrasts Sz 111 (1938) 1. Recruiting Dance (Verbunkos) 2. Relaxation (Pihenö) 3. Fast Dance (Sebes) 20’ D’Knipserten Martin Fengel Quand le morceau de concours brise son destin Marie-Anne Maršálek En 1910, Claude Debussy (1862–1918) s’adressait ainsi, non sans humour, à son éditeur : « Dimanche, plaignez-moi, j’entendrai onze fois la Rhapsodie pour clarinette en si bémol : je vous raconterai cela si je suis encore en vie. » Cette œuvre souvent donnée voit en effet le jour lors d’une occasion bien particulière, évoquée en filigrane dans le propos cité : dédiée à Prosper Mimart, professeur de clarinette au Conservatoire National Supérieur de Paris entre 1905 et 1918, elle constitue l’imposé du Concours de clarinette organisé par la prestigieuse institution, alors dirigée par Gabriel Fauré (1845–1924). Le Concours – on désigne ainsi l’épreuve de fin d’études – consiste en une compétition annuelle permettant de déterminer quels étudiants peuvent sortir diplôme en poche ; quant au traditionnel morceau de concours – contest piece en anglais –, il doit être exécuté par chacun des candidats. L’écriture de ce « solo » (terme synonyme de morceau de concours, même s’il y a un accompagnement de piano) est l’une des missions de Debussy, membre du Conseil supérieur en 1909 et du jury des examens en 1910. Ce dernier se montre en définitif satisfait de sa pièce, orchestrant même en 1911 la partie de piano pour le plus grand bien du répertoire pour clarinette solo et orchestre. Si Pierre Boulez (1925–2016) lui-même « s’étonne encore de trouver dans un morceau de concours tant de grâce et de poésie » (propos rapporté par Guy Dangain, dans son article « Debussy et la Rhapsodie pour clari- nette »), le contexte étriqué dans lequel la Rhapsodie pour clarinette voit le jour inspire la question suivante : comment cette pièce a-t-elle su briser son destin et s’imposer sur les grandes scènes jusqu’à nos jours ? 5 Quels griefs avons-nous contre le morceau de concours ? L’intitulé « morceau de concours » résonne a priori de plusieurs connotations moins heureuses les unes que les autres. La première consiste en ce que l’on imagine être la dominante technique de ce type de pièces, qui exigeraient prouesses intrépides et démonstrations de vélocité. Ne devraient-elles, de près ou de loin, s’apparenter aux exercices mécaniques d’une méthode de musique ? Il n’en est rien : la prééminence de la virtuosité sur toute autre qualité est une réalité datée – et révolue. Au 19e siècle, elle tient notamment au fait que les auteurs des morceaux du Concours, comme ceux des méthodes d’instrument, ne sont autres que les professeurs de l’institution. Ainsi, Jean-Baptiste Mohr (1823–1891), professeur de cor au Conservatoire de 1864 à sa mort, est à la fois l’auteur de nombreux morceaux de concours et d’une Méthode de premier et de second cor datée de 1869 – deux répertoires à la parenté stylistique évidente. De même, Jean-Louis Tulou (1786–1865), professeur de flûte, signe plus de vingt morceaux de concours sans grande poésie, mais exigeant tous habileté et dextérité. Grâce à ce répertoire respectueux des idiomes de l’instrument, il est aisé au jury d’évaluer l’agilité du jeu, des doigtés et des articulations – autant de critères primant sur la musicalité. Cette tendance se trouve toutefois endiguée au début du 20e siècle sous l’influence de Gabriel Fauré : en 1898, son Morceau de concours pour flûte et piano fait ainsi campagne en faveur d’une éviction de la virtuosité pure ; à entendre ses élégantes arabesques, il est évident que l’évaluation du musicien doit tenir compte de son phrasé et de son aptitude à comprendre un style. Une évolution peu connue, qui ne redonna guère au morceau de concours ses lettres de noblesse. Second grief : le statut de pièce de circonstance, dédiée à un seul et unique événement. Une fois le concours passé, le solo, éphémère dénominateur commun permettant de départager des candidats, ne serait-il condamné à tomber dans l’oubli ? L’étonnement manifesté devant le destin insoupçonné de certains morceaux de concours se découvre d’ailleurs dans bien des commentaires, 6 Claude Debussy comme chez Mitchell Estrin (A History Lesson for Clarinetists) : « bien que conçue à l’origine comme un solo de concours, [la première Rhapsodie pour clarinette] a rapidement été reconnue comme un chef- d’œuvre pour la clarinette, et devait bientôt apparaître dans les programmes de concert. » Le troisième et dernier grief entachant tout morceau de concours – le plus puissant, sans doute – tient à sa genèse « impure » : l’inspiration sacrée et immédiate, mythe véhiculé depuis des siècles, serait contaminée à la fois par l’origine de la pièce, la commande faite au compositeur par une institution d’apprentissage – donc, par définition, d’imperfection –, et cette occasion peu poétique elle-même, l’évaluation d’étudiants. Le déroulement du Concours est, il est vrai, fort codifié et a priori peu propice à l’émotion du spectateur, le jury. Comme le voulait la tradition, on révélait un mois avant l’épreuve le morceau de concours que les candidats étaient censés étudier et mémoriser ; ces derniers 7 Joseph Szigeti étaient ensuite évalués dans une épreuve de déchiffrage, celui d’une pièce elle aussi composée pour l’occasion. Conditionné par un format si précis, par des figures obligées et par les compétences limitées d’un interprète, comment un compositeur donnerait-il le meilleur de lui-même ? Comment l’œuvre se verrait-elle attribuer le même statut qu’une autre, inspirée par le génie seul ? Or si l’ensemble de ces questions sont bien actuelles, les présup- posés qui les guident s’appuient sur une conception de la musique elle-même tributaire du 19e siècle et de l’esthétique romantique. À cette époque, la musique se définit ainsi comme un monde à part, délié de tout contexte bassement terrestre. L’inspiration du compositeur n’a jamais été pure C’est au 19e siècle, dans les textes philosophiques d’Arthur Schopenhauer, de Georg Wilhelm Friedrich Hegel ou encore de Friedrich Nietzsche, que l’idée selon laquelle la musique constitue un langage autonome et idéal se développe. Citons Le Monde comme représentation et comme volonté (1819) de Schopenhauer : « La musique, qui va au-delà des idées, est complètement indépendante 8 du monde phénoménal ; elle l’ignore absolument, et pourrait en quelque sorte continuer à exister, alors même que l’univers n’existerait pas. » Dépouillée de la réalité, coupée par son origine et par sa nature du monde terrestre, la musique trouve alors sa noblesse. De telles philosophies, quelque peu vulgarisées, sont peu à peu passées dans l’esprit collectif et dans le langage commun. C’est notamment sous leur influence que s’est imposée le mythe d’une impulsion géniale, intérieure, ressentie par le compositeur. Qui dit inspiration dit désormais pulsion, souci impérieux de coucher des intuitions sur le papier. Une véritable image d’Épinal rarement mise en question, ou bien à un seul titre : un besoin de réaffirmer le travail toujours colossal à fournir pour accoucher de l’œuvre musicale. En revanche, les aspects sociologiques tels que l’influence du goût ambiant, les possibilités logistiques de l’auteur – ô combien décisifs du point de vue de l’impulsion créatrice – ne sont que très peu abordés dans cette perspective. Dans Le Musicien dans la cité (1977), Boulez ne déconstruit par exemple que très sagement l’inspiration, insistant seulement sur la lenteur de sa maturation : « Je crois à l’inspiration musicale. Non pas qu’elle soit la brusque invasion d’un délire pythique. C’est plutôt un travail lent, insensible, qui se fait malgré nous. Cela nous hante, nous possède, comme une idée fixe, comme l’amour. » Dans l’esprit collectif, la genèse d’une œuvre serait d’ailleurs pure à la condition que son inspiration soit elle-même musicale. De ce point de vue, la commande trop utilitaire du Conservatoire constituerait une impulsion moins noble que l’influence exercée par une autre œuvre de musique, un musicien ou une expérience musicale. Deux autres œuvres données ce soir, parce que compo- sées sous l’influence du même virtuose du violon, Joseph Szigeti (1892–1973), remplissent quant à elles ce dernier critère. La cin- quième des six Sonates pour violon seul d’Eugène Ysaÿe (1858–1931) a ainsi été écrite, comme les autres, après l’audition de la Partita pour violon seul de Jean-Sébastien Bach (1685–1750), sous l’archet de ce virtuose. Et c’est le même Szigeti qui inspire à Béla Bartók (1881–1945) l’écriture des frénétiques Contrasts Sz 111 (1938), dont le nom souligne la coexistence de styles jazz et folklorique. 9 Malgré tout, depuis la rémunération promise à l’artiste jusqu’à l’influence exercée par le goût des mécènes, les paramètres pragmatiques ont toujours été aussi nombreux que décisifs pour l’impulsion créatrice.
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