Revue de géographie historique 10-11 | 2017 Géographie historique et guerres La guerre « blanche » des Italiens durant la Grande Guerre ou les enjeux complexes d’une guerre en montagne : adaptation, exploitation, représentation Hubert Heyriès Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/geohist/955 DOI : 10.4000/geohist.955 ISSN : 2264-2617 Éditeur Association française de la Revue de géographie historique Référence électronique Hubert Heyriès, « La guerre « blanche » des Italiens durant la Grande Guerre ou les enjeux complexes d’une guerre en montagne : adaptation, exploitation, représentation », Revue de géographie historique [En ligne], 10-11 | 2017, mis en ligne le 20 mai 2017, consulté le 21 septembre 2021. URL : http:// journals.openedition.org/geohist/955 ; DOI : https://doi.org/10.4000/geohist.955 Ce document a été généré automatiquement le 21 septembre 2021. Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. La guerre « blanche » des Italiens durant la Grande Guerre ou les enjeux comp... 1 La guerre « blanche » des Italiens durant la Grande Guerre ou les enjeux complexes d’une guerre en montagne : adaptation, exploitation, représentation Hubert Heyriès 1 Au cours de la Grande Guerre, sur le front italien, une guerre montagneuse se déroula entre 2000 et 3000 mètres d’altitude, rapidement baptisée « guerre blanche », car la neige était abondante. La configuration italienne du théâtre des opérations courrait en effet sur 600 km, du Stelvio (à la frontière italo-austro-suisse) à la mer mais le relief de montagnes représentait les deux tiers de la ligne de front. Les Italiens connaissaient la guerre en montagne. Au cours des siècles, les forces du duc de Savoie puis celles du royaume de Piémont-Sardaigne s’étaient battues dans les Alpes, lors des guerres de Succession d’Espagne et d’Autriche et encore entre 1792 et 1796 contre les Français. Puis au XIXe siècle, au moment des guerres du Risorgimento, les Piémontais et les Chemises rouges garibaldiens avaient évolué en 1848 et en 1859 dans la région des lacs alpins en Lombardie. En 1866, un corps de volontaires de plus 30 000 hommes commandé par Giuseppe Garibaldi avait affronté les chasseurs tyroliens autrichiens dans le Trentin. Puis les troupes de montagnes, ou Alpini, créées par le décret royal du 15 octobre 1872 avaient connu leur baptême du feu en Afrique orientale entre 1885 et 1896, en menant des opérations en altitude mais dans des conditions bien différentes de celles des Alpes, leur zone de prédilection. Pour autant, jamais les combats n’avaient connu une grande intensité, et jamais ils ne s’étaient déroulés l’hiver. Or au cours de la Grande Guerre, le commandement italien dut adapter la tactique et les modes de combat à la géographie et aux contraintes du milieu1. En fut-il capable et comment s’y prit-il ? Les diari storici, les circulaires du haut commandement italien (le Comando supremo), les souvenirs, les journaux, la littérature et le cinéma ainsi que les marques mémorielles encore visibles aujourd’hui (ossuaires et sanctuaires) apportent quelques Revue de géographie historique, 10-11 | 2017 La guerre « blanche » des Italiens durant la Grande Guerre ou les enjeux comp... 2 éléments de réponse. Mais ces sources contribuent également à donner une représentation sacrificielle ou sacralisée du combat en montagne. Pourquoi et de quelle manière ? En d’autres termes, la guerre « blanche » nécessita une adaptation au milieu qui généra une exploitation polymorphe et une représentation fantasmée de la guerre. I. UNE ADAPTATION AU MILIEU NECESSAIRE Document 1 : Les régions du nord-est de l’Italie, du Trentin et de l’Istrie2 2 Le front montagnard suivait grossièrement un S articulé autour de deux saillants orientés en sens inverse l’un de l’autre : le Trentin et le Cadore-Frioul3. Le Trentin, dirigé vers le sud, amenait l’Autriche à quelques kilomètres de Vérone. Bloc montagneux, il s’organise de part et d’autre de la vallée de l’Adige. À l’ouest, un relief de haute montagne suit une ligne nord-sud allant du massif de l’Ortles au nord, tout ruisselant de glace et culminant à 3 905 mètres, aux crêtes neigeuses de la Presanella (3 561 mètres) et au vaste plateau glacé de l’Adamello (3 554 mètres) de 3000 ha environ plus au sud. À l’est du Trentin, un autre formidable rempart est formé des monts Lessini, dominant la plaine vénitienne ne dépassant pas les 2 300 mètre. Puis viennent les crêtes aériennes de la chaîne dolomitique de la Brenta (3 155 mètres) dominant du côté italien, le plateau d’Asiago et enfin les crêtes de la Marmolada culminant à 3 344 mètres. Tout autour de ces puissantes saillies, disposées en groupes isolés, des cimes de 1 500 à 2 000 mètres s’abaissent par gradins vers la plaine du Pô avec des montagnes molles, toutes couvertes d’alpages et de forêts. Le Cadore-Frioul constitue le saillant italien. Pointant vers le nord, il étend l’Italie jusqu’à la crête des Alpes Cadorique, Carniques et Juliennes, dominant les vallées autrichiennes de la Drave et de la Save. Il s’étend à l’est des Dolomites, autour des sources de la Piave (Cadore) et du bassin du Tagliamento (Frioul). Aucune cime des Alpes Carniques et Juliennes n’arrive à 3000 mètres. Le Terglou, point culminant des Alpes Juliennes, est la dernière saillie des Alpes à l’extrême est de la zone montagneuse. Il domine la Save mais ne dépasse pas 2 864 mètres. Au-delà, les formes de terrain s’émoussent débouchant sur une architecture tabulaire formée de plateaux monotones où les rivières se perdent sous terre : le fameux Karst ou Carso, à l’est de l’Isonzo, mais il s’agit d’un autre front. Revue de géographie historique, 10-11 | 2017 La guerre « blanche » des Italiens durant la Grande Guerre ou les enjeux comp... 3 3 Ce massif montagneux n’est franchissable qu’en de rares endroits particulièrement bien fortifiés par un réseau de forts construits entre 1871 et 1914 aussi bien du côté autrichien que du côté italien4. Dans le Trentin, les routes du Stelvio (empruntant la Valteline), du Tonale et de la Giudicaria (haute vallée de l’Oglio), ainsi que du val Sugana (haute vallée de la Brenta) permettent de pénétrer dans la vallée de l’Adige par l’ouest et par l’est. Dans le Cadore, une route latérale suit la haute vallée de la Piave par Auronzo. Plus à l’est, aucun col carrossable ne franchissait les Alpes Carniques. Pour autant, relief montagneux et fortifications déterminèrent la tactique italienne fondamentalement défensive jusqu’à la Grande Guerre. 4 Jusqu’en 1914 en effet, la doctrine d’emploi des forces des troupes alpines ne fut jamais très développée. Le « Règlement d’instruction et de service interne pour l’Infanterie »5, datant de 1892, laissait aux Alpini toute latitude pour s’adapter aux conditions du terrain en montagne sans précision. Puis l’importance des Alpes devint telle que la doctrine d’emploi des forces de montagne fut remodelée dans les années 19006. En 1914, les huit régiments Alpini (52 bataillons, 192 compagnies), réunis en 1910 en trois brigades, normalement armées de mitrailleuses, constituèrent les avant-gardes mobiles (avec des détachements de skieurs créés officiellement en 1902) occupant les fortifications qui verrouillaient les voies de passage. L’artillerie de montagne (trois régiments) et l’artillerie des forteresses les soutiendraient pour mener des opérations défensives ou retardataires permettant de concentrer des troupes dans la plaine padane. Par ailleurs, les Alpini avaient l’habitude de passer l’hiver dans leurs villages et les brigades n’avaient ainsi aucune expérience de la guerre en montagne l’hiver. Et l’on ne pensa à camoufler les hommes qui portaient un uniforme gris, un sac tyrolien et un chapeau mou en pain de sucre avec une plume que pendant la guerre lorsque des surtouts blancs furent distribués pour les dissimuler sur la neige. 5 À partir de 1914, les choses changèrent. Le général Luigi Cadorna, chef d’État-major général (le futur Comando supremo) adopta en effet, dans un mémoire daté du 21 août 1914, une tactique dans les Alpes, à la fois défensive et offensive7. La guerre devait désormais se faire été comme hiver et l’objectif fut de contrôler les sommets comme le précisa encore la circulaire n° 2324 du Comando supremo en date du 29 avril 1917 : « L’art des fortifications se soumet au terrain, et non le terrain à l’art. […] Pour obtenir un front le moins développé avec la plus grande économie de forces, la défense doit être portée sur les hauteurs » avec des flanquements, occupées par des mitrailleuses installés dans des cavernes creusées dans la roche et des « raccordements » (allacciamenti) ou cortine passant par les vallées, sous la forme de tranchées8. Encore fallait-il s’emparer de ces hauteurs au moyen de l’offensive frontale. 6 Cette tactique, à la fois défensive et offensive, généra une guerre polymorphe adaptée et inadaptée au milieu. II. UNE EXPLOITATION POLYMORPHE 7 Les ordres d’occuper les cols et les sommets donnèrent naissance à une guerre de coups de main et d’exploits menées par de petites unités (escouade ou compagnie). Dans cette façon de faire la guerre, les alpini devinrent les troupes d’élite. Le plus célèbre des coups de main exploitant au mieux le milieu physique fut sans nul doute la prise du Monte Nero le 16 juin 1915, à 2 245 mètres, dans les Alpes juliennes, objectif militaire pour s’assurer une meilleure position dans la cuvette de Caporetto et pour Revue de géographie historique, 10-11 | 2017 La guerre « blanche » des Italiens durant la Grande Guerre ou les enjeux comp..
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