Diderot, la raison, la croyance. Une visite philosophique de la Maison des Lumières Denis Diderot Charlotte Martinot, professeur relais, MLDD-2016 Page 1 Une visite philosophique de la Maison des Lumières : Diderot, la raison, la croyance « Qu’est-ce que Dieu ? Question qu’on fait aux enfants, et à laquelle les philosophes ont bien de la peine à répondre.» Denis Diderot, Pensées philosophiques, 1746 Denis Diderot voit le jour le 5 octobre 1713 à Langres. C’est donc dans la ville même où il grandit et reçut ses premières années de formation que fut inaugurée en 2013, année du tricentenaire de sa naissance, la Maison des Lumières Denis Diderot. Ce musée consacré à la vie et à l’œuvre du philosophe a aussi pour mission d’évoquer le mouvement des Lumières, les débats et les avancées de la pensée qui le caractérisent. En lien avec les autres philosophes de son temps, les intellectuels et les savants, Diderot participe pleinement à l’émancipation de la pensée. Il est aussi le grand artisan de la diffusion des idées des Lumières grâce à l’immense travail qu’il fournit pour l’Encyclopédie. Ouvert à tout, auteur de nombreux ouvrages tant philosophiques que romanesques, sensible aux arts, traducteur d’auteurs anglais, passionné de sciences, Diderot définit son rôle de philosophe dans l’article « éclectisme » de l’Encyclopédie : « L’éclectique est un philosophe qui, foulant aux pieds le préjugé, la tradition, l’ancienneté, le consentement universel, l’autorité, en un mot tout ce qui subjugue la foule des esprits, ose penser de lui-même, remonter aux principes généraux les plus clairs, les examiner, les discuter, n’admettre rien que sur le témoignage de son expérience et de sa raison.» On comprend alors combien pour Diderot la croyance, et notamment la croyance en dieu, peut-être contradictoire avec l’exercice de la raison. Diderot pose la question du fondé de cette croyance et cherche des preuves de l’existence de Dieu. Il veut trouver des preuves données par la raison. Cette visite au sein de la Maison des Lumières Denis Diderot s’appuie sur les travaux publiés par Jean-Paul Jouary dans Diderot, la vie sans Dieu (2013). Elle permet de suivre le cheminement personnel de Diderot sur cette question de la croyance, mais aussi sur les rapports, les échanges et les contradictions qu’elle entretient avec la raison. Charlotte Martinot, professeur relais, MLDD-2016 Page 2 Diderot et Langres : les jeunes années (salle 2) Langres au XVIIIè siècle est une ville épiscopale émaillée de nombreuses congrégations religieuses. Religion et religieux sont omniprésents à l’intérieur des remparts. Fervents catholiques, les parents de Diderot fréquentent assidûment la paroisse de Saint-Martin. Les enfants du couple sont tout naturellement élevés dans la tradition chrétienne. Ce n’est pourtant pas par piété que l’on destine le jeune Denis, fils aîné, à la prêtrise. La famille espère le voir succéder à son oncle, le chanoine Didier Vigneron. Mais, avant de devenir chanoine, Denis doit se former et faire ses classes au collège des Jésuites. A douze ans, il reçoit la tonsure de l’évêque de Langres. A 15 ans, Diderot quitte Langres pour Paris afin de préparer un diplôme de théologie lui permettant d’accéder à de hautes fonctions cléricales. La vie parisienne et les 1ers écrits personnels de Diderot (salle4) Panneau mural : La vie parisienne Après cinq ans de formation à Langres, Diderot quitte sa famille et arrive à Paris, en compagnie de son père, en 1729. Le lieu où il étudie reste sujet à discussion. Il aurait entamé des études au collège des jésuites Louis-le-Grand. Parallèlement, il s’inscrit au collège d’Harcourt, aux méthodes plus modernes. Au fil des ans, Diderot forge les fondements de sa pensée philosophique grâce à des professeurs qui l’encouragent à penser par lui-même et à ne rien admettre sans réfléchir. Il apprend la rhétorique, la philosophie (logique, métaphysique, physique et morale) et les mathématiques auprès de Dominique-François Rivard (1697-1778). L’influence de Rivard sur le jeune Diderot est prépondérante. Entre 1731 et 1732, Diderot suit les cours de Pierre Le Monnier (1675-1757) qui initie ses élèves à la méthode scientifique. En septembre 1732, il obtient une Maitrise es arts délivrée par l’Université. Il peut alors poursuivre ses études de théologie à la Sorbonne. Il obtient son diplôme en août 1735. Toujours convaincu que son fils suivra une voie religieuse, Didier Diderot demande à l’évêque de Langres un bénéfice qui accorderait une rente à vie au jeune diplômé. Placé sur la liste des « gradués nommés », Diderot abandonne cependant la recherche d’un bénéfice. Sa candidature n’est pas retenue ; dès lors, il se détourne définitivement de la vocation religieuse. Charlotte Martinot, professeur relais, MLDD-2016 Page 3 Diderot connait alors une vie de bohème où il fréquente les intellectuels marginaux. Il aime se promener et les rencontrer dans les jardins du Palais-Royal, du Luxembourg, au jardin des Plantes et sur le Cours la Reine. C’est dans ce cadre qu’il rencontre Rousseau en 1742, puis Condillac en 1745. Il vit de petits travaux dont des traductions d’auteurs anglais et rencontre les libraires qui lui confieront un projet d’Encyclopédie. Vitrine centrale : Les précurseurs des Lumières : Newton, Locke, Bacon Diderot se forme à la pensée empiriste qui lui offre une nouvelle approche de la connaissance. Si l’empirisme s’est défini au XVIè siècle en Angleterre, il s’épanouit aux XVIIè et XVIIIè siècles dans l’Europe des Lumières. Cette nouvelle approche de la connaissance est portée entre autres par Francis Bacon (1561-1626), Thomas Hobbes (1588-1679), John Locke (1632-1704) dont les écrits nourrissent les cercles intellectuels parisiens. L’empirisme fonde la connaissance sur l’expérimentation, sur l’interprétation raisonnée et sur la lutte contre les préjugés scientifiques. L'apport de Newton à la science s'inscrit dans ce contexte intellectuel empiriste. « L'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, telle l'araignée ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L'abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs, puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. (...) Notre plus grande ressource, celle dont nous devons tout espérer, c'est l'étroite alliance de ces deux facultés : l'expérimentale et la rationnelle, union qui n’à point encore été formée. » Francis Bacon, Novum Organum (1620), I, 95 Nous savons que Bacon a influencé la pensée de Diderot. Ce dernier s’est d’ailleurs directement inspiré de lui pour construire le Système figuré des connaissances humaines placé en introduction de l’Encyclopédie (voir p.8). Charlotte Martinot, professeur relais, MLDD-2016 Page 4 Vitrine : Les 1ers écrits de Diderot. Diderot déiste et violemment anticlérical. Les Pensées philosophiques sont le point de départ de la pensée de Diderot, puisqu’elles sont sa 1ère œuvre en tant qu’auteur et non en tant que traducteur. Dans ce texte, il apparaît comme un philosophe déiste et rationaliste. Il est en effet convaincu qu’on ne peut expliquer l’apparition de la vie sans une intervention de Dieu. Pour cela, Diderot s’appuie sur des expériences scientifiques de Francesco Redi (1668). Ces expériences ont consisté à placer de la matière organique dans 2 fioles et de la laisser se putréfier. Le temps de l’expérience, l’une des fioles est fermée et l’autre est laissée ouverte. Dans cette dernière, de petits vers se développent… à cause des mouches. Cette expérience fait tomber aux yeux de Diderot tous les principes admis jusqu’alors sur la génération spontanée, puisqu’elle montre que la vie n’est apparue que par l’action des germes apportés par d’autres êtres vivants, les mouches. La génération spontanée étant impossible, il faut alors admettre que la naissance des 1ers germes et des 1ers êtres est due à l’intervention de Dieu. « […] C’est à la connaissance de la nature qu’il était réservé de faire de vrais déistes. La seule découverte des germes a dissipé une des plus puissantes objections de l’athéisme » D. Diderot, Pensées philosophiques, paragraphes 18,19 et 20. Ainsi, Diderot est déiste grâce à la science et à l’exercice de la raison. Il est aussi convaincu que seule la raison peut construire une foi solide. « Qu’est-ce que Dieu ? Question qu’on fait aux enfants, et à laquelle les philosophes ont bien de la peine à répondre. On sait à quel âge un enfant doit apprendre à lire, à chanter, à danser, le latin, la géométrie. Ce n’est qu’en matière de religion qu’on ne consulte point sa portée ; à peine entend-il, qu’on lui demande : Qu’est-ce que Dieu ? C’est dans le même instant, c’est de la même bouche qu’il apprend qu’il y a des esprits follets, des revenants, des loups-garous, et un Dieu. On lui inculque une des plus importantes vérités d’une manière capable de la décrier un jour au tribunal de sa raison. En effet, qu’y aura-t-il de surprenant, si, trouvant à l’âge de vingt ans l’existence de Dieu confondue dans sa tête avec une foule de préjugés ridicules, il vient à la méconnaître et à la traiter ainsi que nos juges traitent un honnête homme qui se trouve engagé par accident dans une troupe de coquins. » Diderot, Pensées philosophiques. Œuvres complètes, éd. Assézat « Comment la raison pourrait-elle conduire à croire, elle qui ordonne que l’on démontre et que l’on expérimente ? C’est une contradiction qui est un moteur de la pensée de Diderot.
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