
Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 1 Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 2 Blogue-out Journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada Textes et photos: Jean-Hugues Roy (sauf attribution contraire) Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 3 Blogue-out. Journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada est mis à disposition par son auteur selon les termes de la licence Creative Commons suivante: Paternité - Pas d’utilisation commerciale - Pas de modification 2.5 (Canada). Toute distribution de l’œuvre, telle quelle, pour un usage non-commercial est encouragée. Toute citation de quelque taille que ce soit est également encouragée, à condition d’en mentionner la source. Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 4 Préface 10 ans après 2012 est certainement la pire année en 10 ans pour Radio-Canada. Un budget fédéral vient d’imposer aux deux antennes (services de langue anglaise et française) des com- pressions de 115 millions sur trois ans. Un mois plus tôt, un directeur de l’information apprécié, Alain Saulnier, était subitement renvoyé. Et depuis le début de cette annus hor- ribilis, plusieurs jeunes ont quitté la société d’État, des forces vives que le diffuseur pu- blic ne parvient pas à garder parce qu’il est incapable de leur offrir un emploi stable, un avenir sans précarité. Une décennie plus tôt, cette même précarité était au cœur d’un des conflits de travail marquants de l’histoire de Radio-Canada. Le lock-out (non, ce n’était pas une grève) du 22 mars au 23 mai 2002 a mis à la rue plusieurs centaines d’employés partout au Qué- bec, ainsi qu’à Moncton, au Nouveau-Brunswick (dans le reste du Canada, c’est la Guilde des médias qui est le syndicat des artisans de l’information de Radio-Canada). La précarité, je la connaissais assez bien. Après sept années comme pigiste, j’étais entré à Radio-Canada en 1996 comme journaliste, puis animateur, à l’émission Branché. Je vo- guais de saison en saison, de contrat en contrat. En tant que père, principal soutien de famille, l’incertitude du contrat suivant a longtemps pesé sur mes épaules. La précarité, j’ai voulu lui donner un visage, en 2002. C’était, en tous cas, l’idée initiale du blogue que j’ai mis sur pied quelques jours avant le déclenchement du conflit. Les blogues étaient encore marginaux, dans le Québec du début des années 2000. Mais la technologie était là. Il suffisait de s’en servir. Blogue-out est, au fil des jours, devenu en quelque sorte une chronique du conflit. Ce n’était pas l’organe du syndicat, ni un journal personnel. C’était surtout un réflexe de survie, une façon pour moi de continuer à exercer mon métier en faisant des portraits de collègues précaires, en informant sur l’évolution des négociations, en mettant en ligne des textes d’opinion avant qu’ils ne soient publiés dans les journaux. Le résultat n’est pas neutre, bien sûr. J’étais sur le trottoir, moi aussi. Mais il se veut un récit le plus fidèle possible de ce qu’ont été ces neuf semaines du printemps 2002. - Jean-Hugues Roy ([email protected]) Montréal, 30 mars 2012 Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 5 Jeudi, 21 mars 2002 Le dernier jour Ça y est. Les négociations sont au point mort. Il semble que le syndicat et Radio-Canada ne réussissent plus à s'entendre. Nous avions voté à 88% samedi pour mettre en œuvre des moyens de pression «pou- vant aller jusqu'à des grèves de 24 heures». Il me semble qu'hormis le port du macaron, nous n'avons pas déployé un grand éventail de moyens de pression. Mais bon, le syndi- cat a jugé que nous en étions rendus là. À minuit ce soir, nous sommes plus d'un millier d'artisans de l'information au Québec et à Moncton à être en grève pour 24 heures. C'est ce qui se passera après ce 24 heures qui m'inquiète pour l'heure... Samedi, 23 mars 2002 Blogue-out Hier à la la radio, le porte-parole de RC prétendait que puisque, dans le Code canadien du travail, le concept de «grève de 24 heures» n'est pas défini, la grève d'hier est en fait une grève générale illimitée. À l'article 3, pourtant, le concept de «grève générale illimi- tée» non plus n'est pas défini. Le concept de «lock-out», lui, est très clair: «(...) mesure -- fermeture du lieu de travail, (...)-- prise par l'employeur pour contraindre ses employés (...) à accepter des conditions d'emploi.» Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 6 J'ai donc voulu faire acte de présence aujourd'hui, me sentant mal d'avoir raté le jour 1 du conflit pour être allé skier sur les pentes du Massif (activité prévue de longue date). À 16h, Personne. Ça se passe de 9h à 13h seulement les weekends. Je repasserai demain. Le dispositif de sécurité mis en place par RC autour de la tour m'a fait sourire. Près des entrées, trois camionnettes arborant des autocollants «SÉCURITÉ» sur leurs portières montaient la garde. Les gardiens eux-mêmes ne portaient aucun uniforme. Seulement leurs manteaux avec une pièce marquée «SÉCURITÉ» cousue à la manche. Improvisa- tion mixte ayant pour titre: j'engage mon beau frère comme bouncer. C'est l'agence Kolossal qui a décrochée le contrat de sécurité (après appel d'offres?), la même qui veille aux «checkpoints» de l'aéroport de Dorval. Ce soir, ma blonde grimaçait en écoutant le téléjournal. La plupart des narrateurs, di- sait-elle, étaient statiques, monotones. D'autres avaient plus de métier dans la voix et rendaient l'expérience moins pénible. Son bilan: «Ils se débrouillent bien sans vous.» Mon bilan: Le public ne fait pas la différence... Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 7 Les salaires, je m'en fous J'apprends dans La Presse que nous réclamons plus de 10% d'augmentation salariale sur trois ans... Je n'ai aucun souvenir que ces demandes aient été discutées à l'assemblée générale de samedi dernier. Je pense qu'on devrait accepter le 4 ou 5% sur trois ans que la direction propose et clencher sur la précarité... Ce n'est pas en ces temps de vaches maigres qu'on va se gagner la sympathie du public si on insiste sur les salaires. Celui-ci va se faire un plaisir de nous rappeler que c'est dans ses poches à lui qu'on va puiser, et que le puits est maintenant épuisé. Dimanche, 24 mars 2002 Éric Barbeau Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 8 J'ai eu une idée la nuit dernière, celle qui porte conseil. Chaque jour que le lock-out se poursui- vra, je ferai le portrait d'un-e collègue qui travaille dans la précarité. Ça mettra un visage sur une abstraction. Voici donc le premier. Éric célèbre cette année ses 10 ans à Radio-Canada. Célébrer... façon de parler. Son parcours de carrière res- semble à une nouvelle disci- pline olympique issue du croi- sement entre le slalom géant, le steeple-chase et le ping-pong extrême. Il a commencé, comme bien des collègues, à faire des remplacements l'été. C'était en 1992 et il était heureux de pouvoir faire entendre ses reportages à des émissions comme Tout compte fait ou Dimanche magazine. Il a fait deux étés comme ça. L'hiver, il travaillait à Vancouver comme journaliste intervieweur à l'émission du matin de la radio. Il se sou- vient encore des premières félicitations qu'il a reçues de son patron, félicitations accom- pagnées d'une mise en garde: «By the way, nous pouvons te mettre à la porte à une se- maine d'avis... j'te dis ça de même.» En 1994, il décroche ce qu'il appelle «mon premier vrai contrat» pour l'émission Tout compte fait. Il est basé à Québec. Tout se passe bien pour lui. Il obtient plus de 80% dans ses évaluations. On fait appel à lui pour un deuxième contrat annuel. Sa première en- fant voit le jour à cette époque, en août 1995. Pendant son congé de paternité, il apprend que Radio-Canada ne lui fera pas signer de contrat pour une troisième année, ce qui lui aurait donné accès à la permanence. Son parcours se poursuit aussitôt puisqu'il se fait rapidement engager par La Facture à la télévision comme correspondant à Québec. Il fait deux contrats «annuels» de 39 semai- nes. Les 13 semaines restantes, il travaille dans la salle de nouvelles télé de Radio-Cana- da, à Montréal, «au lieu d'avoir des vacances, comme tout le monde». Blogue-out - Le journal du lock-out de 2002 à Radio-Canada! 9 Après deux ans, La Facture l'aime tellement qu'on veut le faire travailler à Montréal. Il accepte, mais il doit renoncer à ses deux années d'expérience à Québec. Le compteur d'Éric est remis à zéro. C'est au cours de cette troisième année à La Facture qu'il tombe malade et que son contrat ne sera pas renouvelé. Nous sommes en 1999. Il retourne à la radio où il «bouche les trous», selon sa propre expression, comme journaliste et comme lecteur de nou- velles depuis ce temps.
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