La Cassette-testament de Jean-Claude Méry DU MÊME AUTEUR La Mémoire retrouvée, le génocide arménien, Le Mercure de France, 1983 Que sont-ils devenus? Éditions N°l, 1991 Arnaud Hamelin PRÉSENTE La Cassette-testament de Jean-Claude Méry Version intégrale DENOËL IMPACTS Ouvrage publié sous la direction de Guy Birenbaum Par souci de protection de la vie privée de certaines personnes, l'éditeur a décidé d'occulter quelques brefs passages du témoignage. Ces passages sont signalés par des points de suspension entre crochets. Ce texte n'a fait l'objet d'aucune réécriture. Son style oral (répétitions, hésitations, etc.) a été intégralement respecté. © 2000 by Éditions Denoël 9, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris ISBN 2.207.25191.8 B 25191.2 À François Desplats, journaliste. Nous partagions les mêmes valeurs Le 22 mai 1996, lorsque le téléphone sonne sur mon bureau, j'ignore que ce coup de fil bouleversera totalement ma vie... quatre ans et quatre mois plus tard. Je dirige alors l'agence Sunset Presse, que j'ai fondée en 1989, agence spécialisée dans les reportages et documents d'investigation. Sunset en a réalisé plus de 500, diffusés par la plupart des grandes chaînes de télévision. Pourtant mon nom, comme celui de l'agence, reste totalement inconnu du grand public et c'est tant mieux. Je décroche le combiné. Au bout du fil, Me Alain Guilloux, avocat. Je le connais bien. Il m'a défendu pour des problèmes fiscaux por- tant sur les années 1987,1988 et 1989, et nous sommes devenus amis. Nous dînons ensemble cinq à six fois par an. Cette fois, il m'appelle pour me demander de passer à son bureau. Il aimerait me présenter quelqu'un. Mes locaux sont à cinq minutes du cabinet, je décide d'y faire un saut. Guilloux me reçoit en compagnie de deux hommes. Le premier n'est autre que son asso- cié dans le cabinet d'avocats, Me Alain Belot. Le second est un client de Belot. Il s'appelle Jean-Claude Méry, ancien financier occulte du RPR à la mairie de Paris. L'homme a déjà passé six mois en détention préventive et reste sous le coup de plusieurs mises en examen. Quelque temps auparavant, Méry a demandé à son avocat de l'aider. Il cherche comment faire un témoignage enregistré auprès d'un journaliste indépendant et de confiance. Belot, qui ne connaît personne correspondant à ce profil, en parle à son confrère et associé. Et Guilloux a pensé à moi, d'où ce rendez-vous. La rencontre dure une quarantaine de minutes. Jean-Claude Méry me fait part de son intention d'enregistrer un témoignage sur ses activités qui courent à peu près sur une dizaine d'années, de 1985 à 1994. Il n'y met qu'une seule condition : rien de ce qui sera enregistré ne pourra être divulgué avant sa mort, sauf ins- truction contraire, ou bien entendu s'il lui arri- vait quelque chose de suspect. J'accepte. Méry est pressé, et fixe lui-même le rendez- vous pour le surlendemain, le 24 mai. La veille, j'appelle le cabinet d'avocats pour confirmer le rendez-vous, car j'ai retenu un cameraman et un preneur de son et je ne tiens pas à ce qu'ils se déplacent pour rien. C'est Me Belot qui me répond, et qui me précise que Méry ne veut voir personne d'autre que moi. Je fais décom- mander l'équipe, et je prends un caméscope pour pouvoir tourner moi-même l'interview. Revenons brièvement sur l'itinéraire de mon interlocuteur du jour. Le 29 septembre 1994, Jean-Claude Méry, après 48 heures de garde à vue, est mis en exa- men par le juge Eric Halphen et incarcéré. « Le gros n'a rien dit ! » Voilà le message que les « amis » de Jean-Claude Méry ont fait pas- ser dans les heures qui ont suivi sa garde à vue, puis sa mise en examen par le juge. Ils n'ont pas réussi à rassurer tout le monde. Sans ses ennuis fiscaux et son appétit d'affaires, le scandale des fausses factures des HLM de Paris n'aurait jamais éclaté. Jean Tiberi, maire de Paris et président de l'OPAC, n'aurait pas été mis en examen, l'ancien ministre de la Coopération Michel Roussin n'aurait pas démissionné en 1995 et l'actuel président de la République n'aurait pas tous ces tracas. Jean-Claude Méry restera cinq mois derrière les barreaux. Sa secrétaire et son chauffeur sont entendus durant son incarcération. Le juge a entre les mains un agenda sur lequel on peut lire «M.R. 260000». La secrétaire traduit «Michel Roussin». Elle aurait préparé l'enve- loppe. Le ministre de la Coopération démis- sionne quelques semaines plus tard (N.d.A. : Il bénéficiera d'un non-lieu en décembre 1995). Le chauffeur parle, lui, des « mallettes en cro- codile remplies de billets de 500 francs» que son patron apportait à la mairie de Paris. Mais ces témoins vont se rétracter. L'activité poli- tique de Méry revient à la surface : il a fait par- tie du comité central du RPR de 1986 à 1989; présidé, dès 1982, la section professionnelle des agents immobiliers gaullistes. Et créé, en 1985, la Conférence permanente de l'habitat RPR. Mais en mars 1995, le tonitruant Méry est essoré. «Sa femme a demandé le divorce, et il est venu signer la séparation menotté », se sou- vient un de ses avocats. Le jeudi 9 mars 1995, il est remis en liberté par le juge Halphen mais reste sous le coup de plusieurs mises en exa- men. Seul. Brisé. Il est ruiné, lâché par ses anciens « employeurs » du RPR. Le 24 mai 1996 au matin, Méry et Belot débar- quent dans mon bureau vers 9 h 30. Belot s'as- sied dans un coin, Méry, qui veut sans doute être à l'aise, retire sa veste et s'installe dans le canapé noir qui est en face de moi. Il tient des feuillets à la main. «J'ai préparé», me dit-il. Moi aussi. N'étant pas spécialiste du financement occulte des partis politiques, je me suis documenté comme j'ai pu, pour ne pas jouer les «pots de fleurs » et être en mesure de le relancer. Je me place en face de lui après avoir posé le caméscope sur un siège. Et c'est parti dans des conditions tout à fait artisanales. À la demande expresse de Méry, je com- mence l'entretien en disant : « Nous sommes le 15 mai 1995. » La cassette est donc sciemment vieillie de plus d'une année, antidatée, et cela pour une raison simple. Méry est sorti de pri- son en mars 1995. Il a attendu un geste. Et il a bien vu qu'il ne se passait rien, et que personne ne lui tendait la main. C'est là qu'il a sans doute commencé à dire ici ou là qu'il avait un enre- gistrement de son témoignage. Mais il ne l'avait alors pas encore fait. Et lorsqu'il se décide, un an plus tard, il veut peut-être effacer, par ce mensonge sur la date d'enregistrement, le temps écoulé. Durant les dix premières minutes, Méry regarde ses notes, puis s'en détache de plus en plus. Visiblement, cet homme connaît son dos- sier par cœur. J'interviens assez peu. Méry n'a pas demandé une interview dans laquelle il serait poussé dans ses retranchements par des salves de questions. Il veut juste raconter son histoire. En fait, il ne vient pas pour accuser les uns ou les autres. Il vient pour expliquer ce qu'il a fait et qu'il estime d'ailleurs avoir très bien fait. Il pense donc qu'il mérite de la recon- naissance pour la tâche accomplie, alors qu'il ne voit rien venir. C'est ce qu'il appelle les «promesses non tenues». Il semble très déboussolé. C'est un homme qui a peur. Au point d'avoir demandé d'abord que l'interview se fasse dans une chambre d'hôtel. C'est moi qui ai insisté pour que l'on utilise mon bureau, solution beaucoup plus simple. À la fin de l'enregistrement, environ une heure et demie plus tard, je remets la cassette originale, le «master», à Me Belot qui en devient le dépositaire. Je le fais pour trois raisons. D'abord, parce que Méry n'a aucune raison, d'un seul coup, de me faire une confiance aveugle : il ne me connaît que par le truchement de son avocat. D'autant qu'à cette époque, Méry n'a plus confiance en personne. Quand je remets, sous ses yeux, la cassette à son avocat, il est donc rassuré. Et puis, au moment où je fais ce geste, je n'ai aucune raison de me méfier. Me Belot est associé à Me Guilloux, qui est un ami. Enfin, comme Jean-Claude Méry me le redit, il y a entre nous cette interdiction de diffuser l'enre- gistrement de son vivant. L'homme a la cin- quantaine, il me semble en pleine forme, avec son imposante stature. Pour moi, sa mort, c'est dans vingt ou trente ans. Et dans trente ans, qui s'intéressera encore aux turpitudes qu'il vient de décrire? En plus, je me demande vraiment si ce n'est pas moi qui y passerai avant lui. Ce qui aurait bien pu se produire puisque j'ai eu un infarctus en avril 1999 soit... deux mois avant sa propre mort. Je peux donc alors confier la cassette à Alain Belot, persuadé de ne pouvoir probablement jamais l'utiliser — car j'ai donné ma parole.
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