Plantes alimentaires spontanées de la région du Fromager 61 Sciences & Nature Vol. 5 N°1 : 61 - 70 (2008) Article original Plantes alimentaires spontanées de la région du Fromager (Centre- Ouest de la Côte d’Ivoire) : flore, habitats et organes consommés. N’Dri M.T. KOUAMÉ1*, Guy M. GNAHOUA2, Konan E. KOUASSI1 & Dossahoua TRAORÉ1 1Laboratoire de Botanique, UFR Biosciences, Université de Cocody, 22 BP. 582 Abidjan 22, Côte d’Ivoire 2Centre National de Recherche Agronomique, Station de Recherche de Gagnoa, BP 602 Gagnoa, Côte d’Ivoire. *Auteur pour les correspondances (E-mail : [email protected]) Reçu le 14-12-2006, accepté le 08-04-2008. Résumé Une enquête ethnobotanique, visant à inventorier les plantes spontanées alimentaires encore présentes dans la région du Fromager (Centre-Ouest) de la Côte d’Ivoire, a été menée auprès des populations rurales. Les espèces recensées sont au nombre de 72, réparties entre 61 genres et 42 familles. Les familles les plus représentées sont les Sterculiaceae, les Arecaceae et les Solanaceae. L’habitat de ces plantes spontanées a été déterminé; il s’agit des forêts, des jachères et des vergers de cacaoyers et de caféiers. Les organes les plus consommés sont les fruits (38 %), les feuilles (33 %) et les graines (19 %). Ces enquêtes ont montré qu’il existe encore un nombre élevé d’espèces spontanées alimentaires dans la Région du Fromager. Mots clés: Plantes alimentaires spontanées, habitats, organes consommés, Côte d’Ivoire Abstract Spontaneous food plants of the “Fromager” Region (Western Center of Côte.d’Ivoire): flora, habitats and consumed organs A ethnobotanic survey, aimed at the inventory of the food spontaneous plants present in the “fromager” region (Western Center) of Côte d’Ivoire, was carried out with the collaboration of the rural populations. The number of species inventoried is 72, belonging to 61 generas and 42 families. The most represented families are Sterculiaceae, Arecaceae and Solanaceae. The habitats of these spontaneous plants species were forests, fallows and the cocoa and coffee plantations. The most consumed organs were fruits (38 %), leaves (33 %) and seeds (19 %). These investigations showed a high number of food spontaneous species in the “fromager” region. Key words: Spontaneous food plants, habitats, consumed organs, Côte d’Ivoire 1. Introduction majoritairement composé de forêts classées et de parcs nationaux (Osseni & Silué, 1998). Dans En Côte d’Ivoire, environ 12 millions d’hectares le milieu rural, cette déforestation est ressentie à de forêt ont disparu, en moins de 40 ans, sous la fois par la diminution des terres cultivables et l’effet de l’exploitation forestière anarchique et de la raréfaction des plantes alimentaires l’agriculture itinérante. La couverture forestière, spontanées. La dégradation intense de la forêt estimée à 15 millions d’hectares en 1960 (Aké pose le problème de la survie des plantes Assi & Boni, 1990), est passée à 2,5 millions spontanées alimentaires, véritables sources de d’hectares à la fin des années 1990 et est compléments nutritionnels et de devises en Sci. Nat. Vol. 5 N° 1 : 61 - 70 (2008) 62 N’dri M.T. KOUAMÉ et al. milieu rural. Ces espèces ont joué, par le passé, les plantes alimentaires spontanées de la zone un rôle important dans la survie des populations, forestière de la Région du Fromager. Dans ce surtout en période de guerre, de sécheresse et recensement, nous avons pris soin de noter les d’invasion des cultures par les criquets (Gautier- organes consommés et les biotopes qui abritent Beguin, 1992). les plantes Pour freiner le phénomène de la déforestation, de Site d’étude nombreux efforts ont été consentis pour la sauvegarde des espèces. Malgré ces efforts, l’exploitation La présente étude a été conduite dans la Région forestière se poursuit et écrème les reliques, de du Fromager, précisément dans le Département toutes les espèces pouvant servir dans le domaine de Gagnoa, au Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. alimentaire. La gestion durable de nombreuses La Région du Fromager comprend deux espèces alimentaires spontanées est de plus en Départements : Gagnoa (Chef lieu de Région) et plus incertaine. Dans un tel contexte, il est important Oumé. Le Département de Gagnoa est localisé d’initier des études ethnobotaniques, en vue d’aboutir dans le bassin versant du fleuve Sassandra, avec à la connaissance, à la conservation et à la valorisation une superficie de 2500 km² (Anonyme, 2001). Il de ces espèces. est compris entre 5°40 et 6°10 de latitude Nord et En ethnobotanique, plusieurs travaux sur les plantes entre 5°50 et 6°20 de la longitude Ouest (Andriesse alimentaires spontanées ont fait l’objet de et al., 1994). Le Département de Gagnoa nombreuses études en Afrique (Falconer, 1990 ; comprend cinq sous-préfectures : Gagnoa, Bayota, Malaise, 1997). En Côte d’Ivoire, les recherches de Ouragahio, Guibéroua et Gnagbodougnoa (Figure N’Dri (1986), Gautier-Beguin (1992), N’guessan 1). Entre 1994 et 2004, la température moyenne (1995), Kouamé et Ambé (2001) (2000) ont été annuelle a été de 27°C avec une pluviométrie moyenne annuelle de 1402 mm (Koné, 2004). Les réalisés chez les Dida, les Baoulé, les Krobou, les formations pédologiques du Département de Senoufo et chez les Gagou et les Gouro. Gagnoa sont dominées par des sols ferrallitiques Chez les Bété, aucune étude de ce genre n’a encore fortement désaturés (Monnier, 1983). La végétation été menée et c’est ce qui justifie le choix de la originelle était une forêt dense humide semi- Région du Fromager (Centre-Ouest) en Côte décidue (Guillaumet & Adjanohoun, 1971). A la d’Ivoire, pour cette étude. place de cette végétation, se dresse aujourd’hui Le présent travail, réalisé dans le Département de une mosaïque de lambeaux forestiers, des Gagnoa, est une contribution aux précédentes jachères à Chromolaena odorata, et des études ethnobotaniques. Ce travail vise à recenser plantations (Gnahoua, 2004). Figure 1 : Carte de la situation géographique et administrative de la zone d’étude (Source : BNETD/OCT) A : Situation de la région du Fromager par rapport à la Côte d’Ivoire B : Situation du Département de Gagnoa dans la Région du Fromager Sci. Nat. Vol. 5 N° 1 : 61 - 70 (2008) Plantes alimentaires spontanées de la région du Fromager 63 2. Matériels et méthodes 2.3. Méthode d’analyse 2.3.1. Espèces inventoriées 2.1. Matériel biologique Nous avons dressé une flore des plantes Le matériel biologique est constitué de plantes alimentaires spontanées du Département de alimentaires spontanées (arbres, arbustes, Gagnoa, en prenant en compte toutes les lianes et herbes) dont les organes sont espèces inventoriées sur le terrain. Pour nommer consommés. Ces organes sont : les feuilles ou les taxons, la flore de Hutchinson et Dalziel (1954- les bourgeons, les fruits, les graines ou les 1972) a été utilisée. Les ouvrages de Lebrun et amandes, les écorces, les pédoncules, les Stock (1991, 1992, 1995, 1997) et ceux de Aké tubercules, les tiges, etc. Assi (2001, 2002) ont servi à actualiser les taxons. 2.2. Méthode d’étude 2.3.1. Niveau de connaissance et d’exploitation des espèces alimentaires spontanées Avant les enquêtes ethnobotaniques proprement Afin de mieux présenter les résultats obtenus, nous dites, des prospections ont été effectuées dans avons combiné les critères de connaissance et le Département en vue du choix des sous- de consommation effective selon Ambé (2001). préfectures et des villages. Trois sous- Le niveau de la connaissance villageoise relative préfectures ont été choisies en fonction de leurs (Cr. %) pour chaque espèce a été estimé par le positions géographiques par rapport à la ville rapport entre le nombre de personnes de Gagnoa. Ce sont Gnagbodougnoa (Sud-est), connaissant l’espèce (n) et le nombre total de Ouragahio (Nord) et Guibéroua (Ouest). Dans personnes interrogées (N). Elle est traduite par la chaque sous-préfecture, trois villages ont été formule suivante : retenus par rapport à la distance les séparant Cr = (n / N) x 100 (10 à 30 Km). L’enquête s’est basée sur l’interview de 12 personnes par village, choisies La méthode de Dajoz (1982) a permis de répartir au hasard, soit 108 personnes au total. Nous les espèces en trois groupes : le premier groupe, avons soumis une liste de questionnaires aux de 50 à 100 %, comprend les espèces les plus personnes interrogées. Ces questionnaires connues; le deuxième groupe, de 25 à 50 %, devaient nous permettrent de savoir quelles sont renferme les espèces moyennement connues, les espèces consommées qui sont récoltées et le troisième groupe, de 0 à 25 %, compte les en brousse ? Quelles sont les parties espèces peu connues. consommées ? Où pouvons-nous les trouvées ; dans les jachères, dans les forêts ou dans les 3. Résultats plantations ? Il était aussi nécessaire de savoir si ces espèces étaient disponibles en quantité. 3.1. Espèces inventoriées Sur le terrain, il est courant qu’un même nom Les plantes spontanées alimentaires inventoriées soit attribué à plusieurs espèces ou l’inverse. sont au nombre de 72 espèces (Annexe 2). Elles Ainsi, le recensement des plantes alimentaires se répartissent entre 61 genres et 42 familles. La spontanées à partir des noms locaux seulement sous-préfecture de Gnagbodougnoa totalise 59 comporte des risques d’erreurs. Ces risques espèces, celle de Guibéroua 48 et 44 pour celle sont minimisés, par la récolte d’échantillon de Ouragahio. Les familles les plus représentées sont les Sterculiceae (5 espèces), les Arecaceae d’organes consommés et de parties aériennes et les Solanaceae (4 espèces chacune). pour la confection d’un herbier. Lorsque cela était possible, des photographies ont été faites sur Les espèces inventoriées sont représentées par les sites de récoltes ou sur les marchés locaux 39 % d’arbres, les arbustes comptent 17 %, les pour une meilleure identification de ces espèces. herbes 19 % et les lianes ne représentent que 24 Les espèces inventoriées ont été reparties en %.
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