Les Fondateurs

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PAUL HYMANS 1830 LES FONDATEURS Conférence à rUniversité des Annales, à Bruxelles (27 Mars 1914) "Bruxelles Éditions de la Belgique Artistique et Littéraire 26, Hue des Minimes 1830 - LES FONDATEURS CONFÉRENCE DE M. PAUL HYMANS A L'UNIVERSITÉ DES ANNALES, A BRUXELLES (27 MARS 1914) Mesdames, Messieurs, Par une exception dont le Comité des Annales a fait une règle annuelle, cette dernière conférence de l'hiver est une conférence belge. Comment ne serais-je pas flatté de l'honneur qui m'est dévolu d'occuper aujourd'hui cette tribune? Comment aussi, succédant à tant d'orateurs experts en l'art de vous instrure avec agrément, ne sentigais-je pas ma fai• blesse? D'autant que je n'ai point la ressource. Mesdames, pour me concilier votre faveur, de débuter par ce com• pliment traditionnel, et d'un succès assuré, qui est de vous proclamer égales aux plus brillantes Parisiennes. Et puis il n'y aura ni récitations, ni chants, ni pro• jections. Et enfin ce conférencier belge aura la singulière audace d'entretenir ce public belge d'un sujet belge, de choses de ce pays, empruntées à son passé, à «on passé rela• tivement récent. 1830, quelques aspects de l'époque, un profil en rac• courci des événements, quelques figures qui y furent mê• lées, en somme un peu d'histoire avec des illustrations verbales, telle sera la substance de cette causerie que je voudrais familière, sans apprêts d'éloquence, et je l'espère sans pédantisme. 2 LES FONDATEURS I 1830, combien c'est à la fois près et loin de nous. Très près chronologiquement. Il n'y a pas un siècle écoulé depuis. Nos grand pères étaient de ce temps là. Et beaucoup ici — et j'en suis — se souviennent certes d'avoir dans leur jeunesse rencon• tré dans nos rues quelques-uns des grands acteurs de cet âge héroïque. Je me rappelle, adolescent, en 1880, lors de la célé• bration de l'anniversaire de l'indépendance nationale, avoir vu arriver à la grande fête patriotique, sur la plaine du Cinquantenaire — il n'y avait point de parc encore — Charles Rogier et le chanoine de Haerne, devant qui toutes les têtes se découvraient et tous les bras se levaient, dans un geste de fébrile émotion. Ce fut l'apothéose. Puis vint l'indifférence. Les derniers survivants de la grande épwjque disparurent. On se dé• tourna de leur mémoire. Une lassitude se fit autour de leur gloire. On avait trop parlé d'eux. Une Belgique nou• velle s'élaborait, évoluait, se cherchait, s'orientait vers des destinées élargies et modernisées ; il semblait qu'elle se sentît gênée et comme à l'étroit dans la défroque de 1830. Elle dédaignait, raillait la Belgique ancienne, la Belgique des commencements ; elle la repoussait avec une sorte d'agacement, comme on repousse une tradition bourgeoise usée et défraîchie, un genre poncif, et qu'a• vaient en effet banalisé l'emphase des cantates et l'abus des hommages officiels. Maintenant trente ans de plus ont fui. Et la période dangereuse, la période du « démodage », comme disait ingénieusement l'autre jour Maurice Donnay, à propos d'un grand f>oète qui fut un peu délaissé et auquel on revient, cette période critique est écoulée. 1830, c'est désormais et vraiment de l'histoire, du passé classé et classique. On n'a plus peur en s'en rapprochant de paraître soi-même d'un autre âge. On se retourne pour y PAUL HYMAXS 3 regarder, pour y rechercher ses origines. On se reprend de curiosité pour cette brève époque, fiévreuse et tour• mentée ; on puise à la source d'oii sont sorties nos insti• tutions, nos richesses, notre personnalité morale et poli• tique. On y va chercher des 'leçons, et l'on y découvre tant de contrastes avec aujourd'hui et de si frappants que de cette époque, encore voisine après tout, on se sent tout^-coup et prodigieusement éloigné ! On parlait alors, on écrivait dans un autre style. On s'habillait, on se coiffait autrement; on vivait différem• ment, avec modestie, avec simplicité et à meilleur marché ! Les journaux étalent peu nombreux et ne comptaient pas beaucoup de lecteurs. On ne connaissait ni repiortage, ni réclame. Mais dans le petit monde qui s'occupait de la cho• se publique, il y avait du zèle, des convictions, de la passion réfléchie et résolue. lia Belgique souffrait. Elle avait été jointe à la Hollande en 1815 et sans qu'on l'eut consultée, à titre « d'accrois• sement de territoire ». Et ce mot seul l'avait cruellement humiliée. Elle avat vécu pendant quinze ans sous un régime qui la froissait dans ses mœurs, son instinct de liberté, ses traditions religieuses, sa langue, sa culture. Bruxelles était une petite cité de province. Les pouvoirs publics sié• geaient ailleurs. Sans faubourgs, elle était enserrée dans la ceinture des boulevards, au delà desquels s'ouvrait la cam• pagne. Elle avait ses beautés : au cœur de la vieille ville, les fiers édifices municipaux et la massive collégiale, et, dans la ville haute, sur le plateau, le quartier élégant et symétri• que dessiné par Guimard, où se dressaient les bâtiments officiels, les palais royaux, les hôtels des nouveaux riches, et où le parc mettait la grâce de ses feuillages. On y menait une existence aisée et paisible, malgré tant d'orages traversés, la Révolution Brabançonne, et l'invasion française et le retour des Autrichiens, l'an• nexion à l'Empire, enfin Waterloo ! Il n'y avait ni luxe, ni apparat, mais une certaine élégance tout de même, et le 4 LES FONDATEURS lustre que donnaient une antique noblesse et une bour• geoisie patricienne vieillie dans les offices publics. Et voici qu'une tempête militaire et politique, une petite guerre de rues suivie d'une campagne courte et meurtrière entreprise sans préparation, presque sans armée, bouleverse cette atmosphère quiète, et va transformer ce petit chef-lieu de province en capitale, et ce petit p)euple qui ne s'est jamais complètement appartenu en nation, et va faire surgir en Europe une question belge, d'où sortira peut-être une guerre générale. Et voici que finale• ment, au bout d'un an de négociations et de labeurs, sou• tenus avec une admirable fermeté et continuité de profMjs, cette question belge, débattue à Londres par les représen• tants des puissances, réunis en Conférence, se résout par l'admission dans la société politique continentale d'un Etat indépendant et neutre, qui vivra, et se développera, et qui, après trois quarts de siècle, sera devenu l'un des organes, l'un des facteurs de l'économie et de la culture européennes. Voyons comment les événements s'enchaînent. C'est un tableau chronologique que je vais mettre sous vos yeux, et qui par la succession et la rapidité des faits, résume avec une sobre éloquence l'œuvre accomplie. Le 24 septembre 1830 un petit groupe d'hommes jeu• nes et entreprenants imagine de discipliner, d'organiser la Révolution, et crée à l'Hôtel de Ville une commission ad• ministrative. Ils n'ont qu'une installation de fortune : une table de bois blanc empruntée au corps de garde, deux bouteilles où sont plantées des chandelles, et un capital de dix florins 35 cents trouvés dans la caisse municipale. Le 28 septembre la commission administrative se trans• forme en gouvernement provisoire. Et celui-ci exerce le pouvoir jusqu'au 2é février 1831, jusqu'à ce que la Belgi• que, à la recherche d'un Roi, se donne un régent. Le Gouvernement provisoire aussitôt insititue des comités, des collèges ministériels, entre lesquels il répartit les affaires. Il arrête que les provinces belges constitueront un Etat PAUL HYMANS 5 iruiépendant. Il convoque une assemblée qui représentera leurs intérêts. Il charge une commission de préparer un projet de constitution qu'examinera cette assemblée. Il donne aux Belges, par décrets, les droits essentiels qu'ils réclament. Tout cela se fait en moins d'un mois. L'ordre i-ègne et c'est dans le calme que se déroule la campagne électorale. Le 3 novembre, une poignée de citoyens, 46.000 bel• ges, élisent, au nom d'une nation de 4 millions d'âmes, 200 députés, et le 10 novembre, tandis que sonnent toutes les cloches des églises et que des salves d'artillerie reten• tissent, le Congrès National se réunit dans le grand hémi• cycle du Palais où siègent encore nos Chambres législa• tives. II C'est l'assemblée des Fondateurs. C'est notre premier, notre plus grand Parlement. Il fera la Belgique, obtien• dra pour elle droit de cité en Europe, organisera la vie intérieure, et scellera dans le sol des institutions qui n'ont ni bougé, ni fléchi, — si solides qu'elles suffisent encore aujourd'hui à porter le poids d'une société où tout a changé, à l'exception des principes, des idées essentielles qu'il a dès sa naissance injectées dans ses veines et incor• porées à sa substance. De quels éléments cette assemblée se compose-t-elle ? Plusieurs générations s'y rencontrent. Des anciens d'a• bord, des vieillards, des hommes du XVIIF siècle. Et d'abord le doyen du Congrès, le vieux Gendebien, père d'Alexandre dont la médiocre statue se dresse sur la Place du Palais de Justice. Cet ancêtre avait été mêlé en 1790 à la Révolution Brabançonne, première tentative avortée d'émancipation nationale. A côté de lui, le lîaron Beyts qui avait servi le Consu• lat et l'Empire, qui avait siégé à Paris au Conseil des Cinq cents et avait été préfet de Napoléon dans le dé• partement de Loir et Cher. 6 LES FONDATEURS Puis la génération moyenne des hommes mûrs déjà, et dont plusieurs ont fait leur apprentissage sous le régi• me hollandais.

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