La lutte des paysans pauvres d'Ouzioua au Maroc pour le droit aux biens publics Par Amal Lahoucine, Taroudant, novembre 2006 La marche rouge du 7 mai 2006 des paysans pauvres d’Ouzioua pour leurs droits à l’électrification,à l’eau potable, à l’eau d’irrigation et à l’exploitation des ressources naturelles autour du barrage Mokhtar Soussi a été suivie d’une répression judiciaire. Comme son habitude, le régime marocain poursuit les militants de la société civile d' Ouzioua devant le tribunal de première instance à Taroudant. La première audience du 28 septembre 2006 a été reportée une première fois au 2 novembre 2006 puis une deuxième fois au 7 décembre 2006. Les cinq militants poursuivis sont : Aakik Driss, secrétaire général du syndicat des paysans pauvres. Amal Lahoucine, président de l’association Ifghelen. Chkib Boubker, vice président de l’association Atlas. Bouichou Mohamed, membre du conseil de la commune d’Ouzioua. Id bouichou Mohamed, paysan pauvre membre de l’association Atlas. Les paysans pauvres continuent leur lutte. Voici l’arrière-fond de cette lutte. 1- Vue générale sur la vallée du Souss La rivière Souss constitue le cœur battant de la vallée située entre le Haut-Atlas et l’anti-Atlas au sud du Maroc. La rivière est d’une superficie de 3960 Km2. La province de Taroudant (Aoulouz, Ouled Berhil et Taroudant) occupe 740 000 hectares. Les ressources forestières occupent 580 000 ha, et 200 000 ha de la superficie générale disponible à l’agriculture dont 100 000 ha irrigués par pompage. La nappe phréatique est d’une valeur de 50 milliards de mètres cubes dont 8 milliards mètres cubes disponibles à l’exploitation par pompage. Une démographie très importante de 90 personnes par km2 et 60 personnes par km2 à la campagne (la province de Taroudant compte 800 000 habitants). Les ressources qu’offre l’environnement de la vallée du Souss donnent une idée pour le développement agricole de cette rivière. Mais le système d’irrigation par pompage d’une agriculture des agrumes basée sur l’exportation vers l’Europe depuis les années quarante du vingtième siècle et l’accélération de ce système vers un surpompage pendant les années soixante, provoquent les déséquilibres sociaux au niveau de l’exploitation des ressources naturelles de la vallée. Le tableau suivant montre l’évolution de la culture d’agrumes dans la vallée : Année 1940 1950 1955 1960 1976 Agrumes en hectare 100 2200 5300 10600 19000 Aujourd’hui, les agrumes occupent 12 000 hectares dans la région Ouled Behgil-Aoulouz seulement depuis l'an 2000. 2- Nécessité de la protection de la forêt d’arganiers L’arganier a de multiples utilisations qui sont autant de sources de revenu : l’alimentation du cheptel (bovins, caprins et camelins), le bois utilisé en menuiserie, en cuisine traditionnelle (fours) et en chauffages et l’huile, à double usage, alimentaire et cosmétique. La fabrication de l’huile est réalisée par les femmes, entièrement manuellement, depuis la collecte, le concassage des fruits, le grillage et le broyage des amandes jusqu’au malaxage de la pâte dans un moulin en pierre. La fabrication d’un litre d’huile par une femme demande au moins 16 heures, ce qui montre l’exploitation de la femme paysanne pour un revenu de 50 dirhams. Les forêts d’arganier couvrent 400 000 ha dans la région de Taroudant, soit 56 % de l’arganeraie nationale. Elles occupent 74 % de la superficie forestière totale de la province Taroudant produit 1830 tonnes d’huile d’argane par an, soit 53% de la production nationale. Le revenu brut procuré par l’arganier est de 1,8 milliards de dh/an, soit 430 dh/ha/an, correspondant à plus de 2,2 millions de journées de travail. Le classement de l’arganeraie en « réserve de la biosphère », la réorganisation de la recherche sur l’arganeraie et ses produits et l’utilisation des moyens modernes peuvent faire de l’arganeraie l’axe essentiel du développement à Taroudant. La destruction de la forêt d’arganiers dans la plaine du Souss par l’implantation des agrumes et le surpompage d’une part et la malproduction de ses ressources par les paysans dans la montagne d’autre part provoque la dégradation du développement de la vallée. (Lire à ce sujet • Arganier [Histoire d’une destruction] http://sd606.sivit.org/asays/article.php3?id_article=485 • L'arga neraie m arocaine se meurt : problématique et bio- indicati on par Michel R. Tarrier et Mohamed Benzyane http://www.secheresse.info/article.php3?id_article=228) 3- La situation des paysans pauvres à Ouzioua Les deux barrages Aoulouz (http://www.water.gov.ma/02patrimoine/fiches-barrages/020.htm) et Mokhtar Soussi (http://www.water.gov.ma/02patrimoine/fiches-barrages/068.htm) sont construits dans la région d’Aouzioua, dans l’ l’Est de la province de Taroudant Conséqeunces de la construction des barrages : Les paysans pauvres vivent dans des conditions catastrophiques, après avoir perdu leurs terres et leurs ressources naturelles contre des indemnisations très faibles (trois dirhams seulement le mètre carré de terre irriguée et deux dirhams le mètre de terre bour (uniquement arrosée par la pluie) non-irriguée). 50% habitent dans la zone près du barrage, 10 douars de la commune Tisrass au barrage Aoulouz et sept douars de la commune Ouzioua au barrage Mokhtar Soussi, ils vivent dans les conditions très difficiles. 15% habitent dans la commune d’Aoulouz. 35% ont quitté la région vers Ouled Berhil et Taroudant. 4- Conséquences de cette situation La construction de ces deux barrages a eu des effets néfastes sur le développement de la région en général, et en particulier sur la vie des paysans pauvres. La politique agricole de l’État marocain dans la vallée du Souss depuis les années quarante du vingtième siècle qui tend vers l’accélération de l’exploitation de la nappe phréatique par le surpompage a créé dans certaines régions (El Guerdain dans la région de Ouled Teima) une situation catastrophique, ce qui explique la décision de l’État d’implanter plus de 12 000 ha d’agrumes dans la région d’Aoulouz et Ouled Berhil. Les études faites par des spécialistes de PNUD et de la FAO pendant les années 1970 envisageaient le drame que vit la région d’Aoulouz aujourd’hui et le rôle des deux barrages pour améliorer l’irrigation dans la vallée. La vie des paysans dans la vallée du Souss et dans les deux barrages en particulier est en dégradation. L’exploitation qu’ils subissent dans les fermes d’agrumes après la perte de leurs terres et leur transformation en ouvriers agricoles dans des conditions juridiques dignes du Moyen âge. La double exploitation de la femme au travail (bas prix, sexe) et au sein de sa famille (travail sans salaire). La couverture sanitaire reste faible, 15% couvre par mode fixe, 43% couvre par l’itinérance, 42% par équipe mobile. La dégradation de la santé de la population et donc l’augmentation de la morbidité et mortalité materno-infantile. En effet la prévention reste l’arme la plus efficace pour améliorer l’état de la santé de la population rurale. De jour en jour les paysans pauvres perdent la terre, l’eau, et l’arganier, et leur culture amazight (berbère) va vers une marginalisation absolue. 5- Problème de l’électrification et de l’eau potable Malgré les ressources naturelles très importantes de la région d'Ouzioua et les dons de l’Agence française du développement, 35 douars de la commune d'Ouzioua sont dépourvus d’électricité et d’eau potable. L’État marocain oblige trois douars qui ont perdu leurs terres à cause du barrage Mokhtar Soussi de payer 4900 dirhams par maison pour être branchés au réseau électrique national, sachant que la commune rurale avait payé un montant très important en coopération avec le bureau national de l’électricité depuis 2001, et que le ministère de l’Équipement avait déjà financé le branchement électrique au barrage Mokhtar Soussi. Les habitants de sept douars qui ont perdu leurs maisons après la construction du barrage sont dépourvus d’électricité et d’eau potable depuis 2001, cela malgré le financement du projet de réhabilitation des paysans pauvres par l’État, qui a alloué un fond de 215 millions de centimes à l'électrification et à l’approvisionnement en eau potable. L’Agence de l'eau de Souss Massat n'hésite pas à piétiner le droit naturel des paysans pauvres à l’eau d'irrigation provenant du barrage en faisant stopper l'écoulement naturel de l'eau, pour réserver l'eau aux fermes des grands propriétaires. En 2003 les paysans pauvres ont perdu plus de 1200 oliviers à cause de l'arrêt total de l'eau du barrage. L'Agence de l'eau de Souss Massat est intervenue pour mettre en place des « associations de l'eau » contrôlées par le président de la commune, pour accepter un débit de 100 litres par seconde, ce qui va encore multiplier les dégâts dans les champs des paysans pauvres. 6 - Intervention des paysans pauvres Pour défendre leurs droits, les paysans pauvres ont constitué des associations de développement. Ils ont contacté tous les responsables locaux, régionaux et nationaux sans recevoir aucune réponse positive à leurs problèmes. Le 7 mai 2006, la société civile à Ouzioua avait organisé une marche pacifique du barrage au siège de la commune rurale. Le régime marocain, pour sa part, au lieu d’ouvrir des négociations avec les responsables des associations et de sanctionner les vrais responsables de ces problèmes, décide de poursuivre 5 responsables de ces associations devant le tribunal de première instance de Taroudant. Les paysans pauvres ont contacté les responsables nationaux des partis politiques de la gauche, la CDT, l'UMT et l'AMDH ; une commission a déposé le dossier sur les problèmes des paysans pauvres d'Ouzioua auprès de ces organisations.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages5 Page
-
File Size-