REVUE ARCHÉOLOGIQUE DE NARBONNAISE COMITÉ DE LA REVUE F. SALVIAT, Président G. AUBIN, G. BARRUOL, Cl. DOMERGUE, R. ÉTIENNE, M. GAYRAUD, J. GUYON, A. HERMARY, J.P. JACOB, Y. LE BOHEC, R. LEQUÉMENT, Ph. LEVEAU, Chr. LLINAS, J.L. MASSY, J.P. MOREL, J.M. PAILLER, D. PAUNIER, M. PY, B. RÉMY, J.Cl. RICHARD, Y. ROMAN, F. SALVIAT, M. VIDAL. RÉDACTION : Chr. LLINAS, Directeur M. GAYRAUD, Rédacteur en chef F. LLINAS-GUYÉNOT, Rédacteur adjoint Pour tout ce qui concerne l'envoi des manuscrits, des documents et des épreuves et les échanges, s'adresser à la rédaction de la Revue: Université Paul-Valéry, B. P. 5043, 34032 MONTPELLIER Tél.: 67-14-23-77 Pour la partie commerciale, s'adresser: — pour les tomes I (1968) à XIV (1981) à Diffusion de Boccard, 11, rue de Médicis, 75006 PARIS; — pour les tomes XV (1982) et suivants à: CNRS ÉDITIONS, 20-22, rue Saint-Amand, 75015 PARIS. LES FOUILLES DE TARADEAU LE FORT, L'ORMEAU et TOUT-EGAU sous la direction de Jean-Pierre BRUN, Gaétan CONGÈS et Michel PASQUALINI SUPPLÉMENT 28 Couverture : Vue aérienne verticale du terroir de Taradeau (photo I.G.N., ©.I.G.N., Paris 1993, n° 80-3126). REVUE ARCHÉOLOGIQUE DE NARBONNAISE Supplément 28 LES FOUILLES DE TARADEAU LE FORT, L'ORMEAU et TOUT-EGAU sous la direction de Jean-Pierre BRUN, Gaétan CONGÈS et Michel PASQUALINI avec la contribution de Armand-Henri AMANN, Jacques BÉRATO, Nicole BÉRATO, Isabelle BÉRAUD, Brigitte BONAVITA, Marc BORRÉANI, Marie-Brigitte CARRE, Philippe COLUMEAU, Franck DUGAS, Gilbert GALLIANO, Chérine GÉBARA, Raymond HUYNH, Antoinette HESNARD, Louis IMBERT, Pascal LECACHEUR, Manuel MOLINER, Henri RIBOT, Georges ROGERS, Anne ROTH CONGÈS et Pierre SALICETI CNRS ÉDITIONS 20-22, rue Saint-Amand, F-75015 Paris 1993 © CNRS ÉDITIONS, PARIS, 1993 ISSN 0153-9124 - ISBN 2-271-05022-7 AVANT-PROPOS par Christian GOUDINEAU Ce livre est né de la conjonction de plusieurs hasards. Le premier : la commune de Taradeau a eu, depuis l'après-guerre jusqu'à une époque encore récente, un maire dénommé Jean Reynier, maître puis directeur de l'école, grand chasseur, et pisteur devant l'Eternel, qui s'est passionné pour les vestiges qu'il découvrait au fil de ses marches - des tessons, des silex, des monnaies, des pointes de flèches... Cette passion, il la communiqua à nombre de ses élèves qui, à leur tour, apportèrent leurs trouvailles, souvent faites derrière la charrue de leur père ou de leur oncle, et qui, surtout, lorsqu'ils reprirent l'ex- ploitation agricole familiale (ou même dans l'exercice d'autres métiers) n'oublièrent pas les leçons ap- prises sur l'importance du patrimoine et sur le respect que chacun doit lui porter. Deuxième hasard: les incendies sont-ils fortuits? La question est controversée, surtout s'agissant de terrains provençaux : combien n'en avons-nous pas vus qui, après avoir brûlé, se couvraient de lo- tissements? Toujours est-il que les bois qui recelaient l' oppidum du Fort brûlèrent en 1969. Des fouilles clandestines ayant été signalées par le maire au Directeur des Antiquités historiques de Côte d'Azur que j'étais alors, j'y fis entreprendre aussitôt des recherches «officielles» que mena un jeune protohis- torien : Armand Amann. Au lieu de pavillons, quelques cases protohistoriques surgirent du sol. Troisième hasard : en 1971, l'Union Internationale des Sciences Préhistoriques et Protohistoriques, l'UISPP, décida de tenir son prochain congrès à Nice, en septembre 1976. Traditionnellement, ces congrès, dont la localisation est connue cinq années à l'avance, donnent lieu, de la part des pays de la région d'accueil, à des opérations et à des publications «exceptionnelles». La vénérable institution m'ayant confié le secrétariat de la section consacrée à l'Age du Fer, je me sentis tenu de lancer une fouille d'oppidum qui montrât aux collègues venus de tous les coins du monde l'un de ces habitats groupés caractéristiques de l'Age du Fer méridional. Je souhaitais aussi offrir aux étudiants d'Aix un chantier- école. Je rappellerai qu'à cette époque, vers 1970, la protohistoire n'avait pas bonne presse en Provence, et les protohistoriens moins encore. La mort de Fernand Benoit, en 1969, avait pratiquement stoppé les fouilles d'Entremont, Saint-Blaise périclitait; surnageaient vaguement de loin en loin, quelques sondages ou même des «fouilles» en titre mais dépourvues de moyens financiers. Paradoxe : ces années-là, s'était lancé en Languedoc le grand mouvement qui devait produire les fruits que l'on sait. En terme de pré- sentation, «d'ostentation» aux yeux des plus éminents spécialistes mondiaux, le parti évident consistait à lancer une grande opération sur Entremont, à la fois pour en préciser les données et pour mettre en valeur le site. Cela ne fut pas possible pour des raisons qui tenaient aux hommes et aux conjonctures. Aujourd'hui, je ne le regrette plus : je crois que nous aurions fait des bêtises, ou plutôt que nous n'aurions pas été à la hauteur. Enfin, c'est ce que je me dis. Nouveau rappel. Ces années-là, la fouille extensive était honnie par la «nouvelle génération» : elle évoquait le «gallo-romain», des villes et des villae dégagées sur des hectares sans que l'on sût si les niveaux présentés étaient cohérents. Les chronologies de l'Age du Fer n'étaient pas établies avec fermeté, nombre de céramiques se «baladaient» sur deux siècles; les dates d'occupation et de destruction des sites majeurs étaient remises en question; le mot d'ordre était «se méfier des textes anciens». Bien sûr, je me moque un peu (y compris de moi), car je suis convaincu que cette phase était nécessaire, qu'elle constituait le préliminaire obligé d'une autre phase qui permettrait d'en venir à une organisation de la fouille donnant priorité à l'espace. Les grands efforts dépensés sur l' oppidum de Taradeau, qui n'en méritait peut-être pas tant, vu la pauvreté de sa stratigraphie et la rareté de son matériel, se comprendraient mal si on ne les replaçait dans le contexte de l'époque. Non que nous n'ayons cherché à faire de l'extensif - mais raisonné ! Dès la première campagne, j'avais fait appel à mon ami Albert Hesse qui expérimentait alors en France pour l'archéologie les techniques de prospection électro-magnétique qu'il avait mises au point pour des recherches d'une tout autre nature. Le terrain rocailleux ne lui autorisa qu'une expertise générale : les anomalies attestant des murs écroulés se trouvaient uniquement le long du périmètre interne du rempart, ce que la fouille confirma. A l'intérieur de l'oppidum, on ne distinguait que des anomalies atypiques, probablement dues à la remontée du socle rocheux. D'autre part, ce qui n'était pas si fréquent, nous avons, en deux ans, dégagé avec des engins mécaniques l'extérieur du rempart et mis en évidence, sur la face nord, un fossé et un avant-mur. Aux observations scientifiques qui en découlèrent, j'ajouterai une remarque que je crois importante : on put constater que ce rempart, qui avait perdu au moins les deux tiers de sa hauteur, se distinguait fort bien - pour qui cherchait à le voir - depuis l'autoroute empruntant la dépression permienne. Aujourd'hui, faute d'entretien, la végétation ayant regagné, seul un œil exercé l'aperçoit. Sans parler pour Taradeau d'exceptionnelle monumentalité ou d'œuvre de pres- tige, il reste le fait : ce rempart était conçu pour être vu ou du moins ne se dissimulait pas aux regards. Certains collègues affirment ressentir (au moins à terme) une complicité profonde entre le site qu'ils explorent et leur propre personnalité. Personnellement je n'ai jamais vécu cette expérience. Aimer l'environnement de Vaison ou de Fréjus, ce n'est pas difficile. S'attacher particulièrement à un chantier, c'est une autre affaire. L'oppidum du Fort n'avait rien pour séduire. Une colline rasée, sans un mètre carré d'ombre, parfois balayée par le mistral ou traversée, les jours d'orage, par une multitude de petits torrents ravinant la pente et déversant des flots de boue caillouteuse contre le rempart occidental : voilà ce que n'auront pas oublié tous ceux qui participèrent à cette fouille. L'éloignement des sources complé- tait l'impression que nous nourrissions : quelle motivation avait pu être assez forte pour amener une population à s'établir dans un tel lieu? Etait-il même imaginable qu'une population ait pu y vivre? Que le lecteur n'attribue pas à la naïveté ou à l'inculture ce genre de réaction. Nous supposions bien que, dans l'Antiquité, avec ses murs debout, ses toitures, des pentes organisées conduisant à des drains, l'op- pidum, sans représenter la douceur de vivre, pouvait être habitable, du moins selon les critères de l'époque. Beaucoup d'entre nous avions lu «Le château de ma mère» de Marcel Pagnol et les longues marches vers le cabanon. Mais pourquoi trouvions-nous si peu de matériel ? Je me rappelle la première semaine de la première campagne : c'était le règne de l'abstraction. Nous faisions quasiment de la géo- logie; la découverte d'un tesson provoquait des rassemblements enthousiastes, et une étudiante sombra dans l'hystérie en voyant apparaître les fragments écrasés d'un dolium (enfin d'un fond de dolium!). Oui, ce fut une drôle de fouille, mais elle a, je crois, laissé d'impérissables souvenirs à ceux qui, loin de se décourager, participèrent à deux, voire trois campagnes. Ce n'est pas le lieu d'évoquer le climat «humain» présent à bien des mémoires. Surtout, chacun se sentait motivé par la farouche volonté d'extirper à cet oppidum le peu qu'il avait dans le ventre.
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