Études rurales 171-172 | 2004 Les « petites Russies » des campagnes françaises L’Étoffe d’un dirigeant : Waldeck Rochet Jean Vigreux Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/8104 DOI : 10.4000/etudesrurales.8104 ISSN : 1777-537X Éditeur Éditions de l’EHESS Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2004 Pagination : 201-213 Référence électronique Jean Vigreux, « L’Étoffe d’un dirigeant : Waldeck Rochet », Études rurales [En ligne], 171-172 | 2004, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ etudesrurales/8104 ; DOI : 10.4000/etudesrurales.8104 © Tous droits réservés Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http:/ / www.cairn.info/ article.php?ID_REVUE=ETRU&ID_ NUMPUBLIE=ETRU_171&ID_ARTICLE=ETRU_171_0201 L’Étoffe d’un dirigeant : Waldeck Rochet par Jean VIGREUX | Éditions de l’EHESS | Ét udes rurales 2004/3-4 - N° 171-172 ISSN 0014-2182 | ISBN 2-7132-2007-6 | pages 201 à 213 Pour citer cet article : — Vigreux J., L’Étoffe d’un dirigeant : Waldeck Rochet , Études rurales 2004/ 3-4, N° 171-172, p. 201-213. Distribution électronique Cairn pour les Éditions de l’EHESS. © Éditions de l’EHESS. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. L’ÉTOFFE Jean Vigreux D’UN DIRIGEANT : WALDECK ROCHET s’agit également de comprendre d’une part en quoi Waldeck Rochet fait exception à la règle qui veut que les paysans soient encadrés par des responsables ouvriers, d’autre part comment un paysan parvient à la fonction suprême de secré- taire général du parti. Du maraîcher bressan au permanent du parti L’héritage politique familial, l’école républicaine suivie de l’école régionale du parti et la condition d’ouvrier agricole vécue très jeune sont les prin- E PARCOURS DE WALDECK ROCHET s’ins- cipaux creusets qui ont permis à Waldeck Rochet crit dans un moment de l’histoire du com- de façonner son devenir de militant puis de per- Lmunisme français et, en retour, le parti manent du parti. communiste, ses cadres et ses militants, ainsi Le milieu familial et villageois constitue un que le monde rural conservent l’empreinte espace de sociabilité dont la politique n’est pas laissée par ce dirigeant. De nos jours encore, exclue. Né en 1865 à Ambérieu, le père de Waldeck Rochet est connu dans le monde pay- Waldeck Rochet, François, arrive à Sainte-Croix san : son nom reste attaché au journal La Terre à la fin du XIXe siècle. Considéré comme un même si, décédé en février 1983, il avait homme très avancé et ouvert sur le monde, il tra- disparu de la scène politique en 1969 pour des vaille chez un artisan sabotier, profession très raisons de santé1. Restituer des éléments de sa répandue « au début du siècle dans la Bresse biographie pour retracer une trajectoire de louhannaise » [Rabut 1970]. François Rochet prime abord atypique – celle d’un paysan épouse Marie Fort, une jeune fille du village, et promu à la direction d’un parti ouvriériste – tient un débit de boissons au hameau de Craffes. c’est simultanément mettre au jour les ressorts Le café Rochet est l’un des neuf commerces de qui ont permis à des hommes de s’élever ainsi ce genre à Sainte-Croix en 1905, année où naît au sein du PCF. Quelle est la part de conviction Waldeck Rochet2. C’est une de ces longues bâ- de l’homme et quelle est la part qui revient au tisses traditionnelles de la région, sorte de vieille parti dans la fabrication de ses dirigeants et ferme transformée en café, où la famille Rochet dans cette ascension inattendue de Waldeck exploite un jardin et élève quelques volailles. Ce Rochet [Vigreux 1999] ? café assez modeste est aussi le point de rencon- Notre propos est donc de présenter celui qui tre des paysans et des ouvriers au moment des sera à la tête de la section agraire du PCF pen- 1. Pour plus d’informations se reporter à J. Vigreux [2000a]. dant trente ans et de comprendre comment un paysan devenu communiste devient ensuite per- 2. Annuaire de Saône-et-Loire, Annuaire Fournier, manent, cadre, élu puis dirigeant du parti. Il Mâcon, 1905. Études rurales, juillet-décembre 2004, 171-172 : 201-214 Jean Vigreux ... 202 travaux agricoles et de la chasse. Lieu de socia- souligner qu’il sortait peu et préférait passer des bilité villageoise, on se retrouve chez Rochet nuits entières avec des livres ou Le Progrès de pour jouer aux quilles, discuter des travaux Lyon, journal radical auquel son père était des champs ou des exploits des chasseurs, mais abonné5. Trop jeune pour connaître physiquement également de politique car, comme le souligne l’horreur de la Grande Guerre, il est séduit par la Balzac, le café et l’auberge sont des « salles de révolution d’Octobre mais n’oublie pas le désar- conseil du peuple ». C’est ce petit peuple et son roi causé par le premier conflit mondial. Un jour, père que Waldeck Rochet évoque : le facteur de la commune laisse chez son père un exemplaire de La Vie ouvrière, organe des syndi- Mon père était considéré dans la commune comme un homme de gauche et un fervent calistes révolutionnaires de la CGT. C’est pour laïque. Il était même le seul homme de la Waldeck Rochet le début d’une lecture suivie qui commune à appartenir à La libre pensée. Il le conduit vers d’autres brochures : a beaucoup contribué à m’intéresser aux choses politiques3. À partir du contenu de cet organe il s’est intéressé aux ouvrages philosophiques et À l’école élémentaire le jeune élève acquiert politiques, en dépit d’une instruction les bases de l’éducation : « Waldeck était un sommaire qu’il va parfaire au fur et à me- enfant sérieux et un excellent élève », rapporte sure qu’il prend de l’âge6. sa fille4. Il approfondit sa réflexion grâce à La Vie Sa fréquentation de l’école primaire aura duré ouvrière, qui lui fait découvrir aussi quelques à peine trois ans et dès 1913, à l’âge de huit ans, revues anarchistes adaptées à sa curiosité le jeune Rochet entre dans la vie active comme débordante : garçon vacher chez Auguste Boully qui lui donne «30 francs pour sept mois et une paire de sabots », Pour ma jeune cervelle qui rêvait déjà mais « c’était une bouche de moins à nourrir » d’une autre société, tout apparaissait nou- veau [Rochet 1956]. [ibid.] pour ses parents. Ensuite, après un appren- tissage chez un maraîcher, il devient ouvrier agri- Rochet a lu Lénine, et ce assez tôt semble-t-il7. cole à l’âge de dix-sept ans et travaille chez différents exploitants des environs de Louhans. 3. « Souvenirs de militants », L’Humanité, 30 mars 1956. Parallèlement, en 1917, Waldeck Rochet réussit brillamment un examen important pour l’époque: 4. Témoignage recueilli auprès d’elle le 17 avril 1992. le certificat d’études primaires. En effet, il est reçu 5. ADSL, série T 426 et témoignage d’A. Moninot, élève premier du canton de Monpont. De son passage à Sainte-Croix en même temps que Rochet, rapporté par à l’école il garde une soif de lire. Il dévore les F. Basset (10 octobre 1996). romans réalistes tels La Curée, Le Ventre de Paris et La Terre ; il devient un jeune révolté par l’in- 6. Archives J. Maitron, fiche Batal. justice sociale. C’est un itinéraire classique chez 7. Même si les premières traductions en français datent de de nombreux jeunes militants [Thorez 1937]. 1919-1920, puis de 1924, l’effort le plus important porte sur Ainsi, les conscrits de Waldeck Rochet aiment à le témoignage de W. Rochet en 1928. Voir L. Sève [1971]. L’étoffe d’un dirigeant : Waldeck Rochet ... Le jeune homme, devenu ouvrier maraîcher ses preuves et atteindre les objectifs proposés, 203 chez Émile Mathy8 à Branges, non loin de son telle la vente d’un certain nombre d’exemplaires village natal, lit aussi L’Humanité, qu’il achète du journal de l’organisation. Les premières an- régulièrement à Louhans. Dès le début des an- nées de militantisme de Waldeck Rochet ont lieu nées vingt, il assimile le discours socialiste et dans son Louhannais natal. Ses convictions poli- communiste et suit régulièrement la « campa- tiques sont renforcées lorsqu’il est mis aux arrêts gne conduite par Marcel Cachin pour l’adhé- à la suite d’une permission pendant laquelle il sion à la IIIe Internationale » [ibid.]. Toutefois, avait activement milité en Saône-et-Loire. Après malgré la lecture régulière du quotidien com- son service militaire il reste ouvrier agricole et muniste et des sentiments favorables à la cause, ouvrier maraîcher. En 1930, il achète même un Waldeck Rochet n’adhère aux Jeunesses com- lopin de terre ; il n’a guère le temps d’en profiter munistes qu’en 1923, et au parti en 1924. De car il est remarqué dans une école régionale son passage aux Jeunesses communistes, il ne du parti et, en 1931, envoyé à l’École léniniste reste aucune trace ; mais cet engagement, qui internationale.
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