Document generated on 10/01/2021 11:36 p.m. Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout Michel Serrault (1928-2007) Le beau malentendu Nicolas Gendron Volume 26, Number 1, Winter 2008 URI: https://id.erudit.org/iderudit/33488ac See table of contents Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital) Explore this journal Cite this article Gendron, N. (2008). Michel Serrault (1928-2007) : le beau malentendu. Ciné-Bulles, 26(1), 34–37. Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2008 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ PORTRAIT Michel Serrault (1928-2007) Le beau malentendu NICOLAS GENDRON D'un rire franc et jovial, mais d'une grande pudeur, tiste circassien pointant son cœur : « Ça vient de là. Michel Serrault serait le premier à s'amuser que sa Ça ne vient que de là1. » Parallèlement, il ne peut carrière soit désormais citée en exemple, qu'on puisse s'empêcher de tenir en haute estime les dévoués gar­ vouloir tirer un portrait de lui qui soit sérieux. Parce diens de la foi catholique. C'est ainsi que sa raison que, sur les 135 films auxquels il a contribué, des est partagée entre une carrière de pitre ou de prêtre. dizaines d'entre eux, en début de carrière, ont été Comme la première option n'a pas la cote, il fré­ étiquetés navets sans autre forme de procès. À quente le séminaire, mais a vite fait de recouvrer le l'instar d'un Philippe Noiret, avec un goût toutefois À l'instar d'un grand air, convaincu de préférer le rire à la prière. plus prononcé pour la composition, Serrault prou­ Philippe Noiret, vait à tout coup qu'il était doué — peu importe la Inscrit au Centre du spectacle, il y rencontre Jean valeur des films qu'il défendait — pour marquer avec un goût Le Goff, son maître, qui lui apprend l'écoute, qua­ l'écran d'une présence singulière et assurée. Pour toutefois plus lité première d'un bon acteur. En dehors de quoi le faire se côtoyer deux spectres du jeu qu'on sépare comédien qui ignore ce qui l'entoure ne peut pas à tort et à travers, autant au théâtre qu'au cinéma, à prononcé pour réinventer le texte, alors que cette magie de l'ins­ savoir rires et larmes, l'envie nous prit de saluer bien la composition, tant présent est le cœur même de l'art dramatique. Il faut d'abord recevoir, donc écouter, pour être bas ce comédien caméléon, dont l'immense talent Serrault de transformiste ne fut reconnu que sur le tard. Au­ généreux, autant envers le public qu'envers ses cune ambition de biographe. Qu'un regard attentif prouvait partenaires. Mais Serrault devra apprendre ses sur un parcours atypique, qui force le respect. à tout coup leçons au gré des rencontres et des expériences de scène, puisque le Conservatoire le refuse sous pré­ qu'il était doué De la roulotte aux cabarets texte que sa gueule de « Français moyen » n'a rien — peu importe du valet ou du jeune premier. Le voilà quitte pour le service militaire, où il s'ennuie et fonde une troupe Né en 1928 à Brunoy, à 20 km de Paris, Michel la valeur Serrault grandit dans la roulotte d'une famille ano­ par envie d'interpréter Molière. nyme, au père pourvoyeur et à la mère cheftaine de des films qu'il À son retour de l'armée, il est attendu par Robert nature. Le premier affichait un bagout guilleret et défendait — Dhéry, le maître d'œuvre du spectacle fantaisiste la seconde en imposait sans forcer le trait. L'enfant pour marquer Les Branquignols, qui lui avait promis de l'engager. ne tient donc pas du voisin! S'il ne s'est pas encore C'est ainsi qu'il tient l'affiche du succès théâtral découvert une vocation théâtrale, le gamin, joueur l'écran Dugudu, où il met entre autres à profit son talent de de tours inépuisable, terrorisant la crémière avec des d'une présence trompettiste, aux côtés du bouffon Guy Pierrault, hold-up patentés, a d'ores et déjà compris qu'il peut singulière et voix française de Bugs Bunny. Mais ce n'est que apprendre dans la position du spectateur. Dans les deux ans après, lors des auditions du théâtre Sarah- gradins du cirque Médrano, il s'extasie devant les assurée. Bernhardt, qu'a lieu une rencontre déterminante. prouesses des frères Fratellini, des clowns dont il C'est l'esquisse frappante d'une amitié qui durera admire, du haut de ses huit ans, toute la cocasserie 40 ans, avec Jean Poiret, le complice inconditionnel et la poésie. Plus tard, à l'aube de l'âge adulte, visi­ d'élans créateurs frôlant l'absurdité. Tout à fait indé­ tant la loge de ses idoles, il attrape au vol une leçon pendants en même temps qu'indissociables, les deux d'Albert Fratellini qui ne le quittera jamais plus : « Les gens croient que c'est mon nez rouge et ma per­ 1. SERRAULT, Michel. ... Vous avez dit Serrault?, Paris, Édi­ ruque qui font rire... Ils se trompent! » Puis l'ar- tions Florent Massot. 2001. p. 68. 34. VOLUME 26 NUMÉRO 1 CINF3Ltf.Z.ES Quelques films de la carrière de Michel Serrault : La Cage aux toiles. Garde à vue, Mortelle Randonnée, Docteur Petiot, Nelly et M. Arnaud et Une hirondelle a fait le printemps jeunes comédiens s'entendent vite comme larrons Clouzot, Les Diaboliques lui offre son seul rôle dra­ en foire et décident de créer leur propre emploi. matique avant longtemps, un pion au regard péné­ Écriture, improvisation, et les voilà avec quelques trant. Le duo Poiret-Serrault ayant rejoint la sphère sketches sous le bras; nous sommes en 1953, et leur Le duo télévisuelle, celle-là même qu'il tournait en bourri­ parodie délicieuse des entrevues télé pompeuses Poiret-Serrault que, les réalisateurs ne tarderont pas à le récupérer comme il en pleut encore, un premier numéro bap­ ayant rejoint pour leurs farces de seconde zone, dans l'espoir qu'ils tisé Jerry Scott, vedette internationale, les fait con­ fassent lever la sauce de scénarios incomplets ou naître du tout-Paris du jour au lendemain. Durant la la sphère boiteux. Les inséparables joueront ensemble dans dizaine d'années qu'a duré leur tournée des caba­ télévisuelle, une trentaine de films, pour lesquels ils formeront rets, une certaine saynète, Les Deux Hortense, où celle-là même régulièrement une paire de flics (Cette sacrée ga­ l'on croise deux antiquaires homosexuels, préfigure mine, avec Bardot, Oh! Que Mambo!). Leur plus des personnages autrement plus marquants, auxquels qu 'il tournait grande fierté de débutant demeure Assassins et on reviendra. L'apprentissage du cabaret nourrit la en bourrique, Voleurs de Sacha Guitry, pour lequel l'homme de quête de vérité de Serrault : « Au cabaret, vous êtes théâtre, vieillissant, les avait engagés pour leur folie. avec [le public], totalement. La nécessité de con­ les réalisateurs Toujours est-il que Serrault commence également à vaincre les spectateurs est beaucoup plus pressante, ne tarderont pas faire cavalier seul. Robert Dhéry pense à lui pour plus dramatique. Personne ne se lève au théâtre en à le récupérer camper un clochard dans La Belle Américaine : hurlant : " Sortez-les, ils sont trop mauvais! " Au une occasion pour le comédien de marcher à la fron­ cabaret, si. [...] On ne peut pas tricher. Le public pour leurs farces tière du rire et des larmes. Avec une vulnérabilité n'est jamais une abstraction2. » de seconde zone, émouvante, son clochard réussit tout de même à dans l'espoir conserver un ton comique. Encore plus fructueuses Premier tour de manivelle seront les collaborations avec Michel Audiard, dia­ qu'ils fassent loguiste (Des pissenlits par la racine, Carambo­ Entre-temps, le cinéma s'approprie Serrault. De nou­ lever la sauce lages) puis réalisateur (Le Cri du cormoran, le soir, au-dessus des jonques), et Jean-Pierre Mocky veau affublé de sa trompette, il tourne son premier de scénarios film. Ah les belles bacchantes!, avec la joyeuse (Les Compagnons de la Marguerite, L'Ibis rouge. bande des Branquignols, parmi lesquels un certain incomplets Le Roi des bricoleurs). Grand seigneur, Serrault Louis de Funès. Son deuxième long métrage fera ou boiteux. ne renie aucun de ses films, même s'il avoue sans plus de bruit; réalisé par le fameux Henri-Georges gêne ne pas les avoir tous vus, de même qu'il ne cache pas s'être servi du cinéma pour des besoins 2. Ibid., p. 90-91. parfois alimentaires. On le lui a souvent reproché à CmttULLES VOLUME 26 NUMÉRO 1 .35 PORTRAIT Michel Serrault (1928-2007) demi-mot, jusqu'à ce qu'il s'indigne : « Moi, je sais La Cage aux folles. La pièce est un succès sans pré­ que j'ai joué dans des films pas terribles alors que cédent, tient l'affiche durant 5 ans, pour plus de certains acteurs sont persuadés de n'avoir fait que 1 700 représentations. Comme le veut la dynami­ des chefs-d'œuvre inconnus. Mais c'est des navets que de leur duo, c'est à Serrault que revient le rôle pires que les miens, des pensums, des histoires flamboyant : Zaza, travesti aux crises incroyables d'amour à la con.
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