The Project Gutenberg EBook of Mes souvenirs, by Jules Massenet This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Mes souvenirs Author: Jules Massenet Release Date: July 14, 2011 [EBook #36729] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MES SOUVENIRS *** Produced by Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) MES SOUVENIRS IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 30 exemplaires sur papier de Hollande Van Gelder numérotés de un à trente. JULES MASSENET MES SOUVENIRS (1848-1912) A mes Petits-Enfants PIERRE LAFITTE & Cie 90, AVENUE DES CHAMPS-ÉLYSÉES PARIS Copyright 1912 by Pierre Lafitte et Cie. TABLE PRÉFACE ———— Il y a une cinquantaine d'années, les bateliers, qui de nuit descendaient la Seine, apercevaient, avant d'arriver à Croisset, un pavillon en bordure du fleuve, et dont les fenêtres étaient brillamment éclairées. «C'est la maison de M. Gustave», répondaient les gens du pays à leurs interrogations. En effet le grand Flaubert farouchement travaillait en fumant des pipettes, et n'interrompait son labeur que pour venir exposer à l'air frais de la nuit sa poitrine robuste de vieux Normand. Les rares passants qui se trouvaient, vers les quatre heures du matin, dans la rue de Vaugirard, étaient frappés de l'aspect insolite d'une fenêtre illuminée au milieu des façades noires. Ils se demandaient quelle fête tardive s'y donnait? C'était la fête des sons et des harmonies qu'un prestigieux maître menait en une ronde charmante. L'heure avait sonné où Massenet avait accoutumé de gagner sa table de travail. Alors commençait la merveilleuse incantation. La Muse se posait près de lui, lui soufflait à l'oreille et, sous la main blanche et nerveuse de l'artiste, naissaient les chants de Manon, de Charlotte, d'Esclarmonde... La lueur s'est éteinte. La fenêtre ne brillera plus sur le jardin. Celui qui a guidé toute une génération musicale vers le beau est mort. Le gardien du feu n'est plus. Malgré les hulullements sinistres des oiseaux nocturnes—musiciens envieux—qui battaient de l'aile contre la cage de verre dont il entretenait le feu central, son œuvre continuera de briller éternellement. Cet œuvre, en effet, est gigantesque. Si Massenet a connu le triomphe et la gloire, il les a bien mérités l'un et l'autre par son labeur fécond. D'aucuns furent les hommes d'une chose, d'une symphonie, d'un opéra; lui se lança dans toutes les manifestations de son art, et dans toutes il remporta la victoire. Des mélodies, mais c'est à elles qu'il dut ses premiers succès populaires! Que de pianos sur les pupitres desquels l'on feuillette les Poèmes d'Avril, et que de jeunes filles obtiennent l'admiration des auditeurs en faisant valoir les trois strophes mouvementées de la Chanson d'amour! Sa réputation parmi les musiciens naquit de son œuvre symphonique. La partition de scène des Erinnyes, les Scènes alsaciennes, les Scènes pittoresques abondent en trouvailles expressives... Le Massenet des oratorios ne peut être négligé; malgré sa réputation justifiée de musicien de la femme, il s'attaqua à des poèmes bibliques et peignit une Ève, une Vierge, et surtout une Marie- Magdeleine, d'un dessin très pur. Il y a quelques années, j'ai entendu la réalisation théâtrale de Marie-Magdeleine et je me suis complu dans ce spectacle de beauté dramatique. Devant des pages ardentes comme: O bien aimé, avez-vous entendu sa parole, l'on comprend que cet ouvrage fonda, il y a quarante ans, la notoriété de son auteur, notoriété qui se mua en renommée mondiale lorsqu'apparurent ses œuvres de théâtre dont chacune l'approcha davantage de la gloire. Passer en revue ces pièces, c'est citer en quelque sorte le répertoire du théâtre contemporain, car Massenet fut avant tout et par-dessus tout l'homme de théâtre. Écrire de la musique scénique, c'est, au moyen de sonorités, établir l'ambiance, l'atmosphère dans laquelle se meut une action, tracer le caractère des héros, brosser les larges fresques qui situent l'intrigue historiquement et psychologiquement. Ces qualités, l'auteur de Manon les réunit à un point auquel nul musicien n'a jamais atteint. Mais encore convient-il de distinguer nettement, chez Massenet, le compositeur d'opéras et le compositeur d'opéras-comiques. Celui qui conçut Le Mage, Le Roi de Lahore, Hérodiade, Le Cid, Ariane, Bacchus, Roma, exprime surtout sa personnalité dans Manon, Werther, Esclarmonde, Grisélidis, le Jongleur de Notre-Dame, Thérèse..., etc. Chantre de l'amour, il en a fixé—avec quel relief!—le contour sentimental. Sa phrase originale, caressante et souple, captive par son eurythmie langoureuse, elle ondule comme une vague et, comme une vague aussi, renaît et se meurt en légère écume: elle se particularise sans qu'on puisse la confondre avec aucune autre. Une parfaite et sobre technique la place en valeur et la sobriété du style n'exclut pas la joliesse minutieuse et la puissance de l'expression. L'originalité de Massenet, du reste, a marqué son empreinte sur les musiciens français et étrangers. Quand la patine grise du temps aura recouvert le trophée immense que le grand disparu a élevé; quand cette cendre charmante que versent les ans, aura effacé les imprécisions, quand le départ aura été fait entre ce qui fut un ouvrage hâtivement réalisé et une œuvre durable et lumineuse comme une Manon et un Werther, Massenet prendra sa place parmi «les grands»; c'est de ses mains que la jeune école française recueillera le flambeau, et toute la postérité lui sera reconnaissante de l'œuvre magnifique et de la belle vie dont il raconte les phases dans les pages qui suivent. XAVIER LEROUX. ———— AVANT-PROPOS ———— On m'a souvent demandé si j'avais réuni les souvenirs de ma vie, d'après des notes prises au jour le jour? Eh bien! oui. C'est vrai. Voici comment j'en pris l'habitude régulière. Ma mère qui était le modèle des femmes et des mères, et qui me faisait mon éducation morale, m'avait dit, le jour anniversaire de ma naissance, lors de mes dix ans: «Voici un agenda (c'était un de ces agendas, format allongé, tel qu'on les trouvait alors dans le petit magasin du Bon Marché, devenu la colossale entreprise que l'on sait), et chaque soir, avait-elle ajouté, avant de te mettre au lit, tu annoteras sur les pages de ce memento, ce que tu auras fait, dit ou vu pendant la journée. Si tu as commis une action ou prononcé une parole que tu puisses te reprocher, tu auras le devoir d'en écrire l'aveu sur ces pages. Cela te fera, peut-être, hésiter à te rendre coupable d'un acte répréhensible durant la journée.» N'était-ce pas là la pensée d'une femme supérieure, à l'esprit comme au cœur droit et honnête, qui mettant au premier rang des devoirs de son fils, le cas de conscience, plaçait la conscience à la base même de sa méthode éducative? Un jour que j'étais seul et que je m'amusais, en manière de distraction, à fureter dans les armoires, j'y découvris des tablettes de chocolat. J'en détachai une et la croquai. J'ai dit quelque part que j'étais... gourmand. Je ne le nie pas. En voilà une nouvelle preuve. Lorsqu'arriva le soir et qu'il me fallut écrire le compte rendu de ma journée, j'avoue que j'hésitai un instant à parler de la succulente tablette de chocolat. Ma conscience, cependant mise à l'épreuve, l'emporta et je consignai bravement le délit sur l'agenda. L'idée que ma mère lirait mon crime me rendait un peu penaud. A ce moment, ma mère entra, elle vit ma confusion, mais aussitôt qu'elle en connut la cause, elle m'embrassa et me dit: «Tu as agi en honnête homme, je te pardonne, mais ce n'est pas une raison, toutefois, pour recommencer à manger ainsi, clandestinement, du chocolat!» Quand, plus tard, j'en ai croqué et du meilleur, c'est que, toujours, j'en avais obtenu la permission. C'est ainsi que mes souvenirs, bons ou mauvais, gais ou tristes, heureux ou non, je les ai toujours notés au jour le jour, et conservés pour les avoir constamment à la pensée. ———— Mes Souvenirs (1848-1912) CHAPITRE PREMIER L'ADMISSION AU CONSERVATOIRE Vivrais-je mille ans—ce qui n'est pas dans les choses probables—que cette date fatidique du 24 février 1848 (j'allais avoir six ans) ne pourrait sortir de ma mémoire, non pas tant parce qu'elle coïncide avec la chute de la monarchie de Juillet, que parce qu'elle marque mes tout premiers pas dans la carrière musicale, cette carrière pour laquelle je doute encore avoir été destiné, tant j'ai gardé l'amour des sciences exactes!... J'habitais alors avec mes parents, rue de Beaune, un appartement donnant sur de grands jardins. La journée s'était annoncée très belle; elle fut, surtout, particulièrement froide. Nous étions à l'heure du déjeuner, lorsque la domestique qui nous servait entra en énergumène dans la pièce où nous nous trouvions réunis. Aux armes citoyens!... hurla-t-elle, en jetant—bien plus qu'elle ne les rangea—les plats sur la table!..
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