Land and Freedom Le Passé Imparfait Par Gérald Collas *

Land and Freedom Le Passé Imparfait Par Gérald Collas *

« Land and Freedom le passé imparfait par Gérald Collas * Comment parler d'un film comme Land and freedom aujourd'hui ? D'abord écouter son réalisateur, Ken Loach, lorsqu'il énonce les raisons qui l'ont conduit à faire ce film : « J'ai voulu raconter l'histoire d'une révolution trahie. Expliquer comment, à chaque tentative de changement, la gauche gâchait tout espoir. Témoigner d'une lutte de pouvoir - ici entre anarchistes, trotskistes et commu­ nistes. Montrer que la révolution populaire a échoué par la faute du P.C. et de la politique de Staline (...) Mon message est simple : le socialisme n'a pas échoué, il reste à faire. Aujourd'hui que le bloc communiste s'est ef­ fondré, cette leçon est précieuse » il. Intentions du réalisateur et réactions de la critique dé­ limitent l'espace dans lequel va s'inscrire le film - ad­ hésion ou rejet espace qui va largement surdéterminer les lectures qu'en feront à chaque fois ses spectateurs. Cet espace - d'emblée - est un espace trop plein, un es­ pace dans lequel il n'y a plus de jeu possible en ce sens qu'il invite le spectateur à une lecture programmée, à une lecture qui est décodage d'un message dont la sim­ plicité est le meilleur garant de sa fluidité. A lire l'abondante critique suscitée par le film lors de sa sortie en salles ou à l'occasion de sa présentation dans le cadre du Festival de Cannes, une première réflexion s'impose : une fois encore, ce qui prend le dessus c'est le débat autour de la question historique qui sert de ré- 55 férence et non la critique du film lui-même, du récit au­ tour duquel il s'ordonne et du sens que celui-ci produit pour le spectateur. Autant que le film lui-même ce sont les réactions qu'il a suscitées qui obligent à revenir sur la question des rapports cinéma et politique ou plus exactement sur ce qu'il se passe avec/dans un film auquel la politique four­ nit sa matière. Sans chercher à faire un historique complet de la ques­ tion et sans remonter trop loin dans le temps, une re­ lecture de ce qui s'est écrit dans les années 70 autour de quelques films marquants par la médiatisation dont ils bénéficièrent, l'accueil que le public leur réserva et la place qu'ils occupaient sur le terrain des luttes idéo­ logiques et politiques de l'époque - serait aujourd'hui profitable. Un des mérites incontestables de Ken Loach est de n'avoir jamais déserté ce terrain, de s'être toujours confronté à la question de la représentation de la mise en spectacle - du politique. Plus exactement d'avoir tou­ jours cherché à restituer une dimension politique à des histoires quotidiennes. AvecLandandFreedom il fran­ chit cependant un pas par rapport à ses films précé­ dents. Le politique n'est plus seulement ce qui éclaire le récit mais devient son sujet, sa matière. De Family Life h Riff-Raff en passant par Looks and Smiles, Ken Loach brosse le portrait d'un pays en crise : l'Angleterre. Ses personnages ne se préoccupent pratiquement ja­ mais de questions politiques, ils essaient comme tout un chacun de vivre (le mieux possible mais sans ambi­ tions démesurées), de travailler ; c'est toujours la so­ ciété, la façon dont elle est organisée, qui vient pertur­ ber leur vie, y introduire du désordre. Land and Freedom est clairement en rupture avec les scénarios des films précédents : les personnages sont des militants saisis à un moment où les luttes politiques sont portées à un point d'incandescence - la guerre civile, la révolution au sein de la guerre. Ken Loach a son public. Il a aussi ses détracteurs : ceux qui l'accusent de faire un cinéma militant, par trop «po- 56 litique» dans lequel les personnages ne seraient que des fantoches, des pantins présents pour tenir un discours plaqué. Tout au contraire, il y a me semble-t-il, presque une timidité de sa part à faire de ses personnages des individus politiques. Ce sont toujours de braves gens, gé­ néreux, embarqués à leur corps défendant dans des his­ toires qui les dépassent et dont ils ne prennent jamais la mesure. Plus des personnages sympathiques que des héros. Son dernier film Carla's Song en donne un exemple particulièrement probant. Si cela fonctionnait assez bien jusqu'ici dans son ci­ néma, ce n'est pas sans poser problème dans ses deux derniers films et en particulier dansLandandFreedom. Dans un film - qu'il relève du documentaire ou de la fiction - la présence des personnages, la façon dont ils sont filmés renvoie toujours à la question de l'identifi­ cation. Cette «déshéroisation» des personnages n'est-elle pas un sous-produit de la frilosité de notre époque, de la réticence supposée du spectateur à s'identifier à des fi­ gures trop lumineuses comme si le costume du héros, désormais trop grand mettait plus de distance qu'il ne créait de proximité ? Ken Loach n'a pas inventé le « héros antihéros ». Mais pour ne prendre qu'un exemple dans les films de Capra, l'innocence finit toujours par triompher de la mal­ veillance, elle est l'élément sain qui régénère une so­ ciété malade. Le héros naïf de Capra provoque la jubilation du spec­ tateur parce que sa force provient justement de sa naï­ veté, de sa différence avec le monde dans lequel il est plongé 2,. David, le héros de Land and Freedom est à beaucoup d'égards un personnage naïf, impliqué dans des conflits qui le dépassent. Ken Loach n'a sans doute pas voulu le peindre comme tel, plutôt comme un homme honnête, fidèle à ses principes, aux raisons qui l'on amené à ve­ nir se battre en Espagne. C'est aussi un homme qui n'a pas d'à priori, militant du PC anglais il s'engage, au ha­ sard d'une rencontre, dans une milice du Poum, décide 57 de passer dans les rangs des brigades internationales - sans doute sous l'influence de militants communistes rencontrés lors d'un séjour à l'hôpital à Barcelone, puis finit par rejoindre ses camarades du Poum un peu comme on revient vers sa famille au plus profond d'une crise. La question que pose un tel scénario n'est pas seule­ ment (et pas d'abord) celle de son caractère plausible historiquement. La fiction - qu'elle soit cinématogra­ phique ou romanesque prend justement son sens dans ces écarts qu'elle s'autorise. Plus fondamentalement c'est sur le pourquoi de ce choix qu'il convient de s'in­ terroger, sur ce qu'il est censé produire comme sens pour les spectateurs. Tout le travail scénaristique de Land and Freedom sur ce point est guidé par le regard supposé du public d'aujourd'hui, celui auquel le réali­ sateur destine son film. Le point de départ de ce travail est d'abord un refus : celui de proposer un héros, un personnage qui choisit son destin, qui l'assume fut- ce au travers de crises. Plus que l'adhésion du specta­ teur, le personnage de David recherche sa sympathie, sa compassion. Sa victoire est montrée non dans sa mort mais dans ses obsèques filmées comme une réhabilita­ tion. Ce que le stalinisme lui a volé - un amour et une expérience dont il n'a pu témoigner - lui est restitué par le geste même de sa petite fille qui jette sur son cer­ cueil la poignée de terre prélevée sur celle qui recou­ vrit le corps de Blanca - sa compagne tuée lors du désar­ mement de la milice par l'armée républicaine. Par ce geste, la petite fille de David renoue les fils qui se sont cassés en Espagne. S'il n'est pas question pour le spectateur de s'identifier à elle sa présence étant trop fugace par contre la pro­ position peut être renversée : c'est elle qui tient la place du spectateur. Cette histoire, elle la découvre en même temps que nous et son geste final est symbolique de l'état d'esprit que le film vise à provoquer chez le spec­ tateur. En ce sens Land and Freedom est bien un film inscrit dans le champ idéologique actuel : la chute du bloc soviétique, l'accès aux archives, l'effondrement des 58 certitudes ouvriraient un espace de liberté, mettraient à jour des vérités tues jusqu'ici au nom de l'efficacité d'un combat, et de solidarités partisanes. C'est ce que ré­ sume assez bien Marc Lazar interrogé par Daniel Lindeuberg à propos du débat qui s'est ouvert autour du livre de Karel Bartosek [Les Aveux des archives) 3/ : «Il va falloir en effet, reprendre tout ce qui tourne autour du problème clé de l'antifascisme. Sur ce point il me semble que se mettent en place deux grandes lectures de l'an­ tifascisme. D'un côté existe la lecture mythologique de l'antifascisme qui veut y voir une cause bonne ce qu'il est évidemment - mais en n'en retenant le plus souvent que sa dimension héroïque et parfois tragique, symbo­ lisée par la guerre d'Espagne. Cette lecture préfère alors ignorer les règlements de compte internes à l'antifas­ cisme, et notamment ceux qui furent le fait de l'anti­ fascisme communiste contre les trotskistes et les anar­ chistes (...) La seconde interprétation est celle de François Furet avec laquelle j'ai un désaccord profond. Deux chapitres fondamentaux du Passé d'une illusion nous expliquent que l'antifascisme a servi de caution­ nement démocratique au communisme et qu'il n'a été que cela».

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