2 Biographie d’Henri Storck Henri Storck a traversé toute l'histoire du septième art, passant du muet au parlant, de l'expérimental au film de commande. Il est reconnu comme l'un des pionniers du cinéma belge et un incontournable du documentaire, notamment avec Misère au Borinage – co- réalisé avec Joris Ivens en 1933 –, devenu un classique du cinéma du réel dans ce qu'il a de plus engagé et inspiré de nombreux cinéastes. A Cannes, les frères Dardenne lui ont d’ailleurs rendu hommage lors de la remise de la Palme d’Or pour leur film Rosetta. Il est aussi l'un des pionniers du film sur l'art, son travail innovant sur Rubens (1948), lui valut le Grand prix du documentaire au Festival de Venise en 1949. Henri Storck a également joué dans deux films-clés de l'histoire du cinéma (Zéro de conduite, 1933, de Jean Vigo et Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, 1975, de Chantal Akerman). Henri Storck perd son père à l’âge de seize ans et doit interrompre ses études secondaires pour aider sa mère dans le magasin de chaussures familial. Il découvre la littérature française moderne et se prend de passion pour Max Jacob. Il fréquente les peintres Ensor, Permeke et Spilliaert, dessine et a pour ambition de faire, grâce au cinéma, une œuvre plastique en mouvement. Bouleversé par une projection de Moana de Robert Flaherty en 1927, il crée l’année suivante un ciné-club à Ostende. Il réalise en 1929 son premier film, Images d'Ostende, « choc poétique et cinétique, sans fiction ni son, qui dégage le cinéma de son obligation narrative pour le rendre au monde des sensations que lui seul peut porter. » En 1930, il devient le « cinégraphiste » officiel de la ville d'Ostende, dont il relate les événements marquants. Il rencontre Joris Ivens et Jean Vigo à Bruxelles lors d'une programmation autour du cinéma expérimental. Les trois cinéastes avaient tourné dans trois villes différentes – Ostende, Rotterdam et Nice – le même genre de films : des essais documentaires sur une ville d'eau. En 1931, Henri Storck rentre à la Gaumont. Désavouant la politique mercantile du studio de production, il démissionne rapidement. Fort de cette expérience, il crée à son retour à Ostende une maison de production (Ankerfilm) et tourne son premier court métrage de fiction, Idylle à la plage. 3 Biographie d’Henri Storck Il innove en étant l'un des premiers cinéastes à utiliser la technique du found footage dans un film violemment antimilitariste, Histoire du soldat inconnu (1932, sonorisé en 1959), réalisé à partir d'images d’actualités. Henri Storck disait qu’il « était venu le temps des marchands de canons, grâce à la politique des grands pays. Mais le pauvre soldat inconnu, assassiné comme une bête (…), on l’enterrait en grande pompe…». Le film fut interdit par la censure française en 1932. Alerté de la misère des mineurs du Borinage depuis la grande grève de 1932 brutalement brisée par le gouvernement, André Thirifays propose à Henri Storck de témoigner de ce drame. Indigné, bouleversé, ce dernier décide d'associer au projet Joris Ivens. Ils coréa- lisent alors ensemble Misère au Borinage (1933, sonorisé en 1963) qui dénonce la mi- sère des mineurs et leur exploitation sauvage. Il fonde en 1938 la Cinémathèque royale de Belgique avec André Thirifays et Pierre Vermey- len. Durant la Seconde Guerre mondiale, pendant l'occupation allemande, Storck continue son travail de cinéaste et tourne en quatre saisons (avec un cinquième volet métaphorisant ce cycle) La Symphonie paysanne, un hymne à la terre et au travail. Après la guerre, Storck caresse le projet de revenir à la fiction pure avec un court sur la délinquance juvénile (Au carrefour de la vie, 1949) et un long métrage : Le Banquet des fraudeurs. À la fin de sa vie, Storck se consacre à la conservation du patrimoine artistique belge et soutient diverses structures de formations cinématographiques. Il projette la création d'un prix Henri Storck destiné à récompenser un film documentaire faisant « connaître ou découvrir un aspect de la réalité, d’une manière forte et originale ». Il s’éteint en 1999 à l'âge de 92 ans. Extraits de la biographie d’Henri Storck, Wikipédia. 4 Le Banquet des Fraudeurs Le Banquet des fraudeurs tient une place importante dans l’histoire du cinéma belge et dans la filmographie d’Henri Storck : premier long métrage de fiction tourné en Belgique après la guerre, première coproduction internationale d’après-guerre, premier film d’esprit européen. C’est l'Histoire avec un grand H : la création du Benelux, les projets d'Union européenne, le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, les questions économiques et sociales, la survie des entreprises et les luttes ouvrières qui s'incarnent dans des histoires de cœur, du suspense, un humour à la Clochemerle, un conflit social. Très largement basé sur une étude et un regard documentaire, le film a obtenu en 1952 à New-York le Golden Laurel Medal, un prix créé par le producteur américain David O. Selznick, destiné à ré- compenser un film de haute qualité cinématographique qui contribue à la compréhension et au respect mutuel des peuples et des cultures dans le monde. Au niveau de la réalisation, Henri Storck et Charles Spaak abandonnèrent l’idée du documentaire trop lourd et indigeste pour un film de fiction. Un jeu de gendarmes et de voleurs agrémenté d’un conflit amoureux : cinq actions parallèles. Charles Spaak tisse entre tous ces points une intrigue qui les rassemble, imagine des personnages et des si- tuations qui permettent d'aborder les problèmes et de transmettre un message. Texte écrit à l’occasion d’un ciné-débat animé par Vincent Geens, historien et directeur du centre culturel d'Ottignies-Louvain-La-Neuve au cinéma Vendôme le 21 novembre 2016 suite à la réédition du film en Belgique. 5 Le projet “Le banquet des fraudeurs est né d’une situation politique. En 1949, la section cinéma- tographique du plan Marshall m’a confié la réalisation d’un documentaire sur le phéno- mène Benelux qui devait servir de banc d’essai aux projets d’unification européenne. Un peu inquiet des implications psychologiques et sociales du sujet, j’ai fait appel au concours de mon vieil ami et compagnon d’école Charles Spaak, le célèbre scénariste. L’idée de cette enquête l’a vivement intéressé, cela l’amusait de changer d’interlocuteurs, de rencontrer des industriels, des syndicalistes, des économistes, des hommes politiques, lui qui ne fréquentait que les milieux du cinéma. Le projet était excitant, les frontières al- laient enfin s’ouvrir en Europe. Ces perspectives auraient dû provoquer un enthousiasme général mais nous nous sommes aperçus qu’elles entraînaient plus de méfiance que d’adhésion, que les gens avaient peur de perdre une once de leurs privilèges. Et il n’était pas question de faire la moindre concession au pays voisin. Un exemple, les ouvriers hol- landais avaient des salaires moins élevés que les ouvriers belges. Dans un souci d’har- monisation, on a proposé aux Hollandais d’augmenter les salaires mais leurs syndicats ont refusé, voulant garder aux entreprises hollandaises leur capacité de concurrence. Au- cune solidarité de branche à branche, les ouvriers de la métallurgie se foutaient du sort des charbonnages, les ouvriers épousaient les thèses des patrons. Chacun pour soi. Et business first. Un documentaire nous parut indigeste et nous convînmes d’une autre approche, celle d’un film de fiction, mi-comédie, mi-aventure, un jeu de gendarmes et voleurs agrémenté d’un conflit amoureux. Charles Spaak avait imaginé de mener de front cinq actions parallèles, ce qui était un risque pour moi qui tournais mon premier film de fiction. Mais l’idée était nouvelle et exigeait une grande science de la composition dramatique, ce en quoi Spaak excellait. Il avait été le scénariste de Jean Renoir pour La Grande illusion, de Jacques Fey- der pour Les Nouveaux Messieurs, Le Grand jeu et La Kermesse héroïque. Le film fut présenté au Festival de Cannes, salué par le public peu par la critique ; il a déplu aux Hollandais qui n’en appréciaient pas l’humour, peu compris par les Allemands qui étaient en train de reconstruire leur pays et ne pensaient pas à l’Europe. Les Anglais n’ont vu que du feu dans ces histoires de frontières car ils n’en ont jamais connues. A New York, le film a obtenu le Selznick Laurel Award pour son idéal de rapprochement entre les peuples.” Extraits de l’interview d’Henri Storck réalisée par Andrée Tournès et parue dans la revue Jeune Cinéma, Paris, n°188 et 189, mai-juin et juillet-août 1988. 6 Henri Storck revient sur la genèse du film Ce sont les responsables cinématographiques du plan Marshall, Stuart Schulberg et Lothar Wolff qui me proposèrent en 1949-1950 de tourner un film documentaire sur la naissance du Benelux. Devant l’ampleur de ce projet je songeais à faire appel aux talents d’un grand scénariste et j’eus la chance de convaincre le plus talentueux d’entre eux, à l’époque, Charles Spaak, de participer à cette aventure… Nous nous mîmes aussitôt en rapport avec les comités Benelux en Belgique dont le pré- sident monsieur Van Dorpe accepta d’assurer la production du film, avec le Centre euro- péen de la culture à Genève, dirigé par Denis de Rougemont (…) qui nous mit en rapport avec le président de l’Union européenne des fédéralistes, le docteur Eugène Kogon de Francfort. En vue de produire le film, le docteur Kogon créa à Francfort une société de production cinématographique sous le nom d’Europa Film, qui assuma le rôle de co-pro- ducteur avec la Belgique où des efforts héroïques furent déployés pour assurer le finan- cement d’un film de fiction.
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