Samuel Boche 4ème année, SP Année universitaire 2003/2004 L’UNIVERS RENAUDIEN Fondements d’une identité de chanteur réaliste et engagé 1975-1982 Sous la direction de Gilles Richard Séminaire d’Histoire de France au XXe siècle : forces politiques, société et cultures, place dans la monde 1 SOMMAIRE Introduction………………………………………………………………………………page 3 Chapitre 1 : Une identité artistique particulière………………………………………….page 7 Chapitre 2 : Figures et lieux de l’univers renaudien……………………………………page 30 Chapitre 3 : Une virulente critique de la société………………………………………..page 55 Conclusion……………………………………………………………………………...page 79 Sources……………………………………………………………………………….....page 82 Index des chansons de Renaud citées…………………………………………………..page 84 Liste des annexes……………………………………………………………………….page 86 Table des matières………………………………………………………………………page 99 2 INTRODUCTION Renaud est un chanteur d’actualité. Après sept ans de silence, la sortie de son disque ‘Boucan d’enfer’ au printemps 2002 marqua son retour sur la scène médiatique. Son précédent album en tant qu’auteur-compositeur-interprète, ‘Á la Belle de mai’, datait de novembre 1994 et la dernière tournée d’envergure du chanteur, intitulée ‘Paris-Provinces’, s’était déroulée au long de l’année 1995. Affaibli par l’alcool et meurtri par la solitude, le chanteur avait été oublié, pour ne pas dire enterré, par la profession. En février 2001, ses pairs lui avaient décerné une Victoire de la musique d’honneur pour l’ensemble de son œuvre, une distinction d’habitude remise aux artistes en fin de carrière. Malgré les treize millions de disques vendus depuis ses débuts en 1975, avec pour corollaire une notoriété quasi-unique en France, Renaud avait pourtant été boudé à de nombreuses reprises par le monde du spectacle. Son retour en 2002 grâce à la qualité de son nouvel opus, salué par la critique et récompensé par trois Victoires de la musique, fut une réussite commerciale. Servi par une intense promotion, cela constitua, sans conteste, l’événement majeur du calendrier artistique de cette année. En 2003, la popularité du spectacle ‘Tournée d’enfer’ et la sortie de diverses biographies1 de l’artiste prolongèrent ce phénomène. Renaud est un vrai chanteur populaire. Son succès auprès du public fut relativement rapide et ne s’est jamais démenti depuis lors. Le chanteur aux onze albums2 et aux près de 130 chansons fait partie intégrante du cercle des chanteurs français à texte, accompagnant le quotidien d’une large partie des Français depuis plus de 25 ans. Parmi les temps qui courent, les chanteurs pouvant se targuer d’être sur le devant de la scène depuis près de trois décennies ne sont pas légion. Il serait pourtant abusif de parler d’une ‘génération Renaud’ cohérente et facile à appréhender tant la diversité générationnelle et sociale de son public est réelle et remarquable. J’ai eu la chance de vérifier cet état de fait en assistant, très récemment, à un concert du chanteur : parmi le public, des lycéens côtoyaient des quadragénaires venus en famille, la plupart reprenant en chœur les standards, tels Manu ou Hexagone et également les titres les plus récents, comme Manhattan-Kaboul. En effet, au-delà de cette expérience personnelle, il est intéressant de noter l’attirance particulière de ces admirateurs pour des chansons parmi les plus anciennes écrites par Renaud, dès 1975 pour Hexagone ou 1977 pour Laisse béton, sans même se douter de leur ancienneté ou du contexte de leur écriture. De plus, parmi ce public, la plupart des personnes ignorent certainement le patronyme du chanteur (Renaud Séchan) ou à tout le moins les circonstance de sa venue à la chanson. Renaud est un chanteur controversé. Constaté depuis 27 ans, l’artiste a aussi été contesté depuis autant de temps. Sa personnalité singulière au sein de la chanson française ne laisse pas indifférent. Tandis que certains louent sa poésie populaire, ses talents de parolier et ses chroniques engagées, d’autres, au contraire, mettent en avant son esprit de frondeur et ses messages politiques noirs, la démagogie et le manque de sincérité de ses textes tout en l’accusant de maltraiter la langue de Molière à grands renforts d’argot et de verlan. Force est toutefois de constater, chez ses thuriféraires mais aussi chez ses détracteurs, qu’au nom de Renaud est spontanément associé l’engagement et le réalisme de ses chansons. Imprégnés du de la réalité du quotidien, passés au crible de la sensibilité artistique et intellectuelle du chanteur, les textes de Renaud ont provoqué la réflexion, la débat mais aussi le rire ou l’émotion. Dans tous les cas, la question de leur réception par le public, la presse et la critique musicale a été primordiale. 1 Par exemple, on peut citer un ouvrage au titre évocateur de Régis Lefèvre, Renaud, deux vies :retour gagnant, Éditions Favre, 2003. 2 Il s’agit plus précisément des disques enregistrés en studio, auxquels il faudrait ajouter six albums enregistrés lors de concerts. 3 Ces trois premiers développements permettent de situer le contexte très général dans lequel s’insère le travail que j’ai effectué. Pourtant, au-delà de l’actualité de Renaud, de son statut de chanteur populaire et des controverses liées à sa personnalité, c’est une attirance personnelle et ancienne pour cet artiste qui m’a conduit à choisir de réaliser un mémoire sur ce thème. En effet, amateur de chanson populaire à texte et engagée, je connais le répertoire de Renaud depuis plusieurs années et j’apprécie particulièrement le ton gouailleur et la justesse des chroniques mises en musiques par l’artiste. Les tous premiers disques, surprenants au premier abord du fait de la virulence des textes et de la relative pauvreté des arrangements musicaux, m’ont attiré plus récemment. Au départ, j’avais des doutes quant à la possibilité de réaliser un tel travail dans un séminaire d’histoire mais Gilles Richard m’a aidé à lui donner un angle d’attaque pertinent. La période d’études choisie court du printemps 1975 au début de l’année 1982. Il s’agit de justifier ce découpage chronologique. Dans le premier trimestre 1975, Renaud, ayant réalisé ses premiers tours de chant dans les cafés-théâtres parisiens quelques mois auparavant, commercialisa son premier album, ‘Amoureux de Paname’. En janvier 1982, il se produisait en vedette pendant trois semaines sur une grande scène parisienne, l’Olympia. Entre temps, avec la sortie de quatre albums et de deux enregistrements publics de concerts, il avait acquis une réelle notoriété dans le domaine de la chanson. Le passage à l’Olympia, rêve de beaucoup d’artistes, marqua une césure dans la carrière de Renaud, c’est-à-dire la fin de la première partie de l’aventure vers le succès. De plus, il y a une réelle cohérence à faire l’étude des premiers albums de Renaud. En effet, pour Laurent Berthet, universitaire et auteur d’un ouvrage sur la pensée politique du chanteur, les cinq premiers disques de Renaud constituent son œuvre de jeunesse3. Pour Régis Lefèvre, l’un des rares biographes, au sens strict, de Renaud, ce dernier « planta le décor 4» durant ces premières années. On verra que, durant cette période, Renaud se forgea une identité et un style propres, une place particulière dans le paysage musical français. Enfin, l’intérêt du choix de la période 1975-1982 est aussi de faire coïncider ce temps artistique avec un temps politique, celui du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, commencé en mai 1974, tout en y incluant les élections présidentielles d’avril et de mai 1981 et les débuts du premier mandat présidentiel de François Mitterrand. Considérer l’œuvre de Renaud au sein de ces contextes, un gouvernement de droite libérale puis une alternance en faveur de la gauche, semble intéressant. J’ai étudié diverses sources primaires pour mener à bien ce mémoire. On peut en distinguer trois grands types. Le premier d’entre eux est l’ensemble des textes de Renaud écrits pour ses cinq premiers albums (‘Amoureux de Paname’, ‘Laisse béton’, Ma gonzesse’, ‘Marche à l’ombre’, ‘Le retour de Gérard Lambert’). Au total, il s’agit de 56 textes, dont deux n’avaient pas été écrits par le chanteur. Le premier des deux, datant de 1977, est La chanson du loubard, écrite par Muriel Huster. Le second, Soleil immonde, a été imaginé en 1981 par Michel Colucci, dit Coluche, ami personnel de Renaud. Ses deux textes ont donc connu un traitement à part, même si il convient de supposer que Renaud, pour accepter de les mettre en musique et les chanter, avait une proximité particulière avec leur contenu. D’autre part, pour le public ou la presse, l’identification de l’auteur réel de la chanson n’était pas aisée. Par ailleurs, j’ai aussi fait l’analyse de deux textes non enregistrés : Crève salope datant de 1968 et Ravachol écrit peu de temps après. Pour l’étude de ces archives primaires, il m’a fallu mettre sur pied une grille d’analyse composées de différentes entrées : styles linguistiques, temps du récit, champs lexicaux, registres de langue, occurrences de la première personne, présence de noms propres, références à l’actualité ou à l’histoire, ton général de la chanson, etc. L’important a été de 3 Laurent Berthet, Renaud, Le Spartacus de la chanson, Christian Pirot éditeur, 2002, p.197 4 Régis Lefèvre, Dès que le vent soufflera, Lausanne, Éditions P.M Favre, 1985, p.15 4 mener ce travail dans une perspective comparative entre les textes et les albums successifs, c’est-à-dire analyser au plus près chaque texte mais sans perdre la référence à l’ensemble de l’oeuvre de Renaud sur la période. Le risque était aussi de ne pas déstructurer chaque texte à l’extrême mais de veiller à garder sa logique propre.
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