UNIVERSITE RENE DESCARTES - PARIS V Centre Universitaire des Saints-Pères UFR BIOMEDICALE Thèse présentée en vue de l'obtention du grade de Docteur de l'Université RENE DESCARTES - PARIS V Discipline : Sciences de la Vie et de la Matière Spécialité : Histoire des Mathématiques Par Madame Anne-Marie DECAILLOT-LAULAGNET Sujet de la thèse : Edouard Lucas (1842-1891) : le parcours original d'un scientifique français dans la deuxième moitié du XIXe siècle Soutenue le 17 décembre 1999 Sommaire Introduction 1-Édouard Lucas élève des lycées impériaux : Amiens et Douai 2-L'Ecole Normale Supérieure dans les années 1860 3-Quelques aspects du contexte scientifique français dans la deuxième moitié du XIXe siècle 4-La situation à l'Observatoire de Paris de 1864 à 1870 5-De l'armée de la Loire au séjour à Moulins 6-La passion des nombres 7-Géométrie des tissus et réciprocité quadratique. La coupe des habits de Tchebychev, un inédit en français 8-La contribution d’Édouard Lucas à l'étude des nombres premiers 9-Calcul symbolique et nombres de Bernoulli et d'Euler 10-Géométrie de situation 11-Péripéties autour de la réédition des oeuvres de Fermat 12-Édouard Lucas, les machines et instruments arithmétiques 13-Les liens d’Édouard Lucas en France et à l'étranger 14-La République de Venise Quelques pistes en guise de conclusion Œuvres de Lucas. Bibliographie générale Notices biographiques NB. Les biographies des personnalités dont le nom est suivi d'une astérisque * sont regroupées dans le chapitre "Notices biographiques". Édouard Lucas (1842-1891) : le parcours original d'un scientifique français dans la deuxième moitié du XIXe siècle On a considéré longtemps qu'entre 1860 et 1880 les mathématiciens français constituaient une génération moins féconde que les précédentes. Cette appréciation mérite d'être réexaminée à la lumière de recherches historiques nouvelles. Des scientifiques de grande qualité sont alors en activité : si Joseph Bertrand ne produit guère, les noms de Joseph Liouville ou Charles Hermite font autorité. La réputation hors de France de ces chercheurs ne fait aucun doute. Il serait utile d'analyser de plus près la qualité de leur environnement en France. Ces savants constituent-ils une élite isolée ou sont-ils entourés de personnalités scientifiques dont l'importance doit faire l'objet d'une attention renouvelée ? Ainsi les travaux de Charles Briot, Jean-Claude Bouquet, Edmond Laguerre ou Émile Mathieu méritent-ils sans doute mieux que l'oubli. L’École Polytechnique vit alors repliée sur elle-même mais des mathématiciens talentueux comme Camille Jordan ou Georges Halphen sortent de ses rangs. Les travaux de Jordan vont inspirer à Henri Poincaré l'Analysis situs et ses recherches sur la théorie des groupes font autorité à partir des années 1870, époque où Sophus Lie et Felix Klein viennent étudier à Paris. Cependant l'Allemagne connaît dès avant les années 1860 une vie scientifique riche, décentralisée. Les divers pôles régionaux, les grandes écoles, les universités attirent nombre d'étudiants et suscitent un mouvement d'échange scientifique, fondé sur des critères de recherche, que le système français ignore. Vers 1860 des réformes paraissent indispensables à certains intellectuels français, parmi lesquels le chimiste Adolphe Wurtz et Louis Pasteur. Leurs préoccupations rejoignent un mouvement venant des profondeurs de la société civile. Les révolutions industrielles successives s'appuient sur des applications scientifiques innovantes, et le rôle nouveau de la science est commenté, magnifié par le mouvement pour l'avancement des sciences, où l'Angleterre devance largement la France. Le Second Empire engage quelques réformes timides ; le ministre Victor Duruy crée en 1868 l’École Pratique des Hautes Études, sur le modèle d'un centre de recherche allemand. Mais les universités françaises, hormis la Sorbonne, demeurent désespérément vides d'étudiants. Cependant la science attire en France nombre d’amateurs, qui manifestent un goût réel pour les activités scientifiques et une envie de s'y investir. Louis Pasteur tente de constituer, autour d'un noyau d'élèves de l’École Normale Supérieure, un corps renouvelé de savants. C'est le début d'une politique de la science où les critères de recherche deviendront décisifs et où les universités seront appelées à jouer un rôle. Dans la constitution de cette nouvelle élite, Gaston Darboux joue un rôle spécifique. Il est l'élève "distingué" de l’École Normale, distinction naturelle à coup sûr, mais distinction aussi par le choix de Pasteur et de Bertrand, qui assurent sa carrière. A l'Observatoire de Paris, Urbain Le Verrier est un facteur d'avancement pendant une période, puis de frein à la recherche astronomique. Il devient alors nécessaire de le "dégommer", selon le joli mot de Darboux, sa fin précédant de peu celle de l'Empire. Après la défaite française de 1870, considérations nationalistes et arguments scientifiques s'appuyent mutuellement pour préconiser des réformes. Le mouvement pour l'avancement des sciences fourbit ses arguments positifs (et positivistes). Le discours scientifique fait référence de plus belle à la notion de "retard" à rattraper, de revanche à prendre sur l'Allemagne. Retard objectif, cela demeure un sujet d'étude ; retard, eu égard à la poussée qui s'exerce en faveur de l'avancement des sciences dont il est le reflet négatif, c'est certain ; retard, argument de longue portée politique enfin, puisqu'il vient étayer bien des réformes entreprises sous la Troisième République. L'après-guerre est propice à la promotion de la science. L'Association Française pour l'Avancement des Sciences, lancée avec éclat en 1872 par un groupe de scientifiques de renom (parmi lesquels Claude Bernard, Marcelin Berthelot, Louis Pasteur, Bréau de Quatrefages et Adolphe Wurtz), se développe pendant la phase ascendante de la Troisième République et s'essoufflera avec elle. La volonté politique de développer la science est manifeste sous le gouvernement républicain. La création à Sèvres de l’École Normale de jeunes filles par Jules Ferry, la rénovation de la Sorbonne par le doyen Darboux, l'autonomie accordée aux universités provinciales constitutive de leur développement, l'accroissement du nombre des étudiants et l'élévation de la qualité des études portent leurs fruits dans le domaine des mathématiques en particulier. Une nouvelle génération de mathématiciens au rayonnement international apparaîtra vers la fin du siècle. Dans cette période de mutation et de poussée militante en faveur des sciences, nous avons choisi d'examiner la vie et l'oeuvre d'un mathématicien original, longtemps considéré comme de second plan, Édouard Lucas, qui est partie prenante de ce mouvement. Édouard Lucas est un élément représentatif de la génération issue de la fin du Second Empire. Son origine provinciale est modeste et son parcours exemplaire : École Normale Supérieure, Observatoire de Paris, professeur de classes préparatoires. Lors de son parcours, Lucas côtoie les grands noms de la science mathématique et astronomique de l'époque, sans être véritablement "distingué" par l'un d'eux, sinon au cours du conflit qui l'oppose longuement à Le Verrier. A la fois produit du système et hors de ce système, entre les "hautes mathématiques" et le mouvement pour l'avancement des sciences auquel il adhère, Lucas fait ce qui est à sa portée, dans le domaine qu'il aime. Lucas est exemplaire à ce titre : faisant ce qu'il peut, avec les moyens dont il dispose et par des voies qui diffèrent de la science "académique", il parvient à trouver une issue. L'arithmétique de Lucas est le produit de cette quête résistante, produit curieux, fait de méthodes algébriques, d'algorithmes rapides, de calcul symbolique, et de refus de l'analyse et du passage à l'infini (pas même 2 proclame fièrement son auteur !). Où trouve-t-il son inspiration ? pour une part dans l'observation des lois du tissage. Il invente des équations symboliques pour les nombres de Bernoulli et retrouve le résultat de Clausen et Staudt, qui fascine Hermite. Ernesto Cesàro, moins timide devant l'infini des séries, osera aborder par ces méthodes la question de la divergence. La géométrie de situation attire Lucas ; il s'agit d'une science amusante, encore peu structurée, au contenu mouvant depuis les "petits dessins" d'Euler. Il y aborde de grands problèmes, s'y fourvoie parfois, en tire les Récréations , au carrefour de l'algèbre combinatoire et de la théorie des graphes. Et pas d'analyse, jamais d'analyse! Le mouvement en faveur des machines à calculer qui se développe en France entre 1860 et 1880 présente, à son début, une forme unique en Europe. Il naît, comme ailleurs, des besoins en calcul des administrations, bureaux, sociétés de chemins de fer, de ceux que fait surgir l'électrification, mais se trouve porté en France par de petits inventeurs, membres de sociétés d'émulation, de sociétés savantes ou pour l'avancement des sciences. Lucas n'est pas le seul à "mettre le doigt dans l'engrenage", à rêver de mécanismes effectuant automatiquement les opérations arithmétiques, même si ce mouvement d'innovation n'aboutit pas (les inventions importantes vont venir pour l'essentiel de l'étranger). Edouard Lucas apparaît ainsi de son temps. Bien qu'il ne joue pas dans la cour des grands mathématiciens, il s'intéresse à des problèmes qui attirent ses contemporains, et les aborde différemment, par des voies inattendues. Son inventivité prodigieuse explose dans sa Théorie des nombres, oeuvre foisonnante, baroque et logique à la fois. Ses méthodes sont curieuses, hétéroclites, intégrant les satins réguliers et le calcul symbolique, les machines arithmétiques et les jeux, dans une sorte d'"arithmétique sauvage", où l'on perçoit néanmoins au coin d'une démonstration la trace d'un grand Allemand, Peter-Gustav Lejeune-Dirichlet. C'est là une science vraie, abstraite, riche, mais décalée par rapport à la science des gens civilisés, où l'on aime les théories en ordre de marche.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages228 Page
-
File Size-