Elle S'appelle Gisèle

Elle S'appelle Gisèle

écologIe & polItIque portrait la vieille Dame en vert Qui est cette femme âgée toujours assise au premier rang dans les congrès du parti écologiste ? Elle s’appelle Gisèle Chaleyat et elle a aujourd’hui 97 ans. Militante de base chez les Verts depuis près de trente ans, dans le ier arrondissement de Paris où elle tracte inlassablement, elle est devenue la mamie du parti et son égérie. par arthur nazaret portraits samuel guigues 89 Charles écologIe & polItIque GiSèle cHaleyat des verts, la daMe du trottoIr connaît tout : les bonnes a jupe grise tombe légèrement sous le genou. « Gisèle me disait toujours qu’il fallait des femmes au gouver- coMMe les MauvaIses passes. Sans vous connaître, elle vous invite à monter nement », se souvient Cécile Duflot. « Elle a la particularité de rené duMont qu’elle dans son appartement. Dans l’escalier, elle d’avoir été féministe et mère de famille, ce qui est très rare prend les devants et laisse découvrir des jambes pour sa génération. » Effectivement. Mariée à un ingénieur Fréquenta, à cécIle duFlot chétives mais élancées, avant de vous installer du génie maritime, Mme Chaleyat se destine à une petite qu’elle tutoIe, MMe chaleyat près d’un grand miroir au cadre doré. Ce n’est pas qu’elle vie tranquille dans la bonne société marseillaise quand traverse ou plutôt JouXte leur Sveuille tétaniser le jeune homme en face d’elle, mais d’un un drame vint tout bouleverser. « Mon mari faisait une grand rire, elle laisse éclater le secret de sa jouvence : « Je démonstration pour l’OTAN dans le Gard. Il était devant une hIstoIre. lors des tradItIonnelles suis la reine du trottoir. » Coquette, encore. Des boucles plaque de blindage, les ouvriers ont voulu essayer le courant réunIons du parleMent des verts, d’oreilles, un maquillage léger, et un pull fermé jusqu’au électrique, il a été criblé d’éclats. Il est mort trois ans après. dernier bouton. Une autre époque. À 97 ans, Gisèle a Quand il a eu son accident, j’accouchais de ma seconde fille.» elle truste le preMIer rang connu beaucoup d’hommes. Il y a eu René, Jacques-Yves, Il lui faut alors trouver un emploi. Elle devient professeur coMMe une apparatchIk, à côté Henri, Brice, Yves et puis tous les autres. Cette petite dans une école de commerce. Mais elle qui cherche à placer main rayonnait sur un royaume d’asphalte à deux pas de « ses filles » se heurte à son époque. « Même si nos jeunes des dIrIgeants la rue Saint-Denis, artère bien connue des parisiens pour filles sortaient dans les premiers, on leur offrait l’équivalent du partI. ses jeux de jambes tarifés. Là, sur le trottoir, pendant des d’un travail rémunéré comme un CAP. » Celle qui n’est pas années, rue Montorgueil, Gisèle Chaleyat a tracté pour les née féministe, l’est donc devenue. Jusqu’à demander un écolos, infatigablement. jour à son directeur: « Vous me payez comme mes collègues masculins. Mais qui me paiera mes humiliations ? » Des Verts, la dame du trottoir connaît tout : les bonnes La réponse n’étant jamais venue, Gisèle Chaleyat finit par comme les mauvaises passes. De René Dumont qu’elle se rembourser elle-même. La voilà qui milite dans une fréquenta, à Cécile Duflot qu’elle tutoie, Mme Chaleyat organisation féministe. Elle y croise Germaine Poinso- traverse ou plutôt jouxte leur histoire. Lors des tradi- Chapuis, qui deviendra la première femme ministre de tionnelles réunions du parlement des Verts, elle truste plein exercice, puis elle monte à Paris, suivre une de ses le premier rang comme une apparatchik, à côté des diri- enfants qui s’y marie. Elle est encore en train de militer, geants du parti. On pourrait y voir le signe d’une influence lorsqu’un jour, elle se dit : « Si nous voulons que nos idées politique aussi importante que souterraine, bien qu’elle arrivent au pouvoir, il faut que les femmes se présentent ! » n’apparaisse dans aucun organigramme. Toutefois, la Va pour les municipales. Avec quelques copines, elle vérité est ailleurs et Gisèle Chaleyat en sourit : « Je suis monte la liste du Parti féministe dans le Quartier latin. au premier rang parce que je n’entends pas très bien. » Elle Ce qui – sauf erreur – reste la première liste féministe à ajoute, comme une enfant fière de ses bêtises : « C’est là des élections hexagonales. « Rien à voir avec le MLF. Elles où je me répands et où Cécile (Duflot) dit : "on sait." » Par seraient plutôt du genre dames de bonnes œuvres », relate exemple, quand Cécile et Pascal Canfin sont partis du un article de l’époque. « Les suffragettes du vème arrondis- gouvernement, Gisèle a râlé et Cécile « a su ». « Ils se sont sement » en profitent pour écrire une lettre au Premier en allés parce que la tête de Valls ne leur revenait pas. Mais ministre de l’époque, Jacques Chirac. « Vous êtes candidat à si on ne devait travailler qu’avec des gens sympathiques...» la mairie de Paris. Le Parti féministe constate que les femmes Gisèle Chaleyat a l’air songeur, son œil se fait interroga- ne représentent que des bulletins de vote. » Nous sommes tif : « Il est un peu de droite Valls, paraît-il ? » Entre nous, la en 1978, les femmes n’ont le droit d’ouvrir librement un question restera en suspens. compte en banque que depuis dix ans et des suite p.93 91 Charles poussières. « Nous nous sommes bien amusées même si on a « BrIce lalonde est un hoMMe fait très peu de voix. C’est comme ça que j’ai commencé à faire très brIllant MaIs Il a raté sa vIe. le trottoir. Là aussi où je me suis vraiment fait insulter par un passant qui m’a dit: “Va donc repriser les chaussettes Il auraIt dû FaIre une carrIère de ton mari”. » polItIque très IMportante MaIs « Il paraît que ce sont les moins machos ». Lorsqu’une de Il a été aveuglé par son MIllIon ses amies lui glisse cette confidence à propos des écolos, de voIX, ça ne luI a pas FaIt Gisèle Chaleyat décide d’y passer une tête. « Pour elle, la beaucoup de bIen » politique, c’était un peu crade. Elle y a mis les doigts comme ça, mais après, elle a pris le tout », note Dominique Voynet. Les combats écolos deviennent les siens. OGM, nucléaire, Palestine... Tout lui va, sauf un point. Lorsqu’elle assiste aux débats des siens, elle ne peut retenir une moue devant un brouhaha érigé en dogme. « Quel foutoir! Ils devraient avoir honte. Mon directeur d’école de commerce aurait dit : “Voilà des gens qui ne sont pas passés par notre école”. » Tout de même : « Je suis restée chez les écolos parce qu’ils sont sympas mais qu’est-ce qu’ils sont bavards... », lance-t- « Elle était toujours assise dans un petit coin, à sourire. Mais elle, toujours dans son fauteuil après bientôt deux heures je ne sais pas ce qu’elle faisait. Ce n’est pas vraiment une de discussion. Voynet, qui lui a remis la Légion d’honneur, politique mais une brave dame », juge aujourd’hui Lalonde se souvient : « Face à l’énergie des jeunes chiens fous et des un brin condescendant. « Brice est un homme très brillant ados mal finis qu’on était, elle faisait partie des vieux sages, mais il a raté sa vie. Il aurait dû faire une carrière politique avec son air de mamie bienveillante disant : “Les enfants, je très importante mais il a été aveuglé par son million de voix, vous aime tous, mais arrêtez vos bêtises”. » ça ne lui a pas fait beaucoup de bien », rétorque Gisèle à Modeste, Gisèle Chaleyat ne s’est jamais dit que sa vie distance. Et l’homme? « Pas extrêmement sympathique pourrait intéresser quelqu’un. L’archéologue des Vertes mais il avait beaucoup de courage... Cela dit, la vieille qui n’a jamais pris de note. C’est à peine si elle conserve était sur le trottoir ne l’a jamais intéressé. » quelques photos dans une armoire. Quand est-elle arrivée chez les écologistes ? Du haut de ses 97 ans, Chaleyat Mais Mamie Trottoir en verra d’autres. Elle s’enracine. ne s’en souvient pas exactement. Lorsqu’elle débute son « Quand je suis arrivé, c’est elle qui m’a accueilli. Elle tenait la compagnonnage, le parti en tant que tel n’existait pas maison. C’était une cheville ouvrière du parti », souligne le encore. Dumont est candidat en 1974 mais l’écologie n’est sénateur de Paris Jean Desessard. À la fin des années 80, alors qu’un fatras de militants éparpillés. La lutte contre quand Desessard prend sa carte, le parti n’a que cinq ans. le nucléaire ou l’extension du camp militaire du Larzac les Il est né un week-end de janvier 1984 dans la banlieue fédère ponctuellement. C’est l’époque où Brice Lalonde, parisienne quand deux groupuscules fusionnent après qui passe alors pour un brillant dandy télégénique, se d’âpres débats. À l’époque, les adhérents se gagnent un présente à la présidentielle de 1981. Ancien dirigeant de par un. En témoigne ce souvenir amusé de Jean-Luc Ben- gues pour charles I u g l’UNEF Sorbonne, pilote de la campagne de René Dumont nahmias : « Lorsque le parti se crée, ils ne sont pas plus de en 1974 et animateur des Amis de la Terre, Lalonde 500 et tout le monde se déteste. Quand j’adhère, je vais au uel M a obtiendra 3,87 % des voix. « J’ai fait la campagne de Brice et local des Verts et je dis : “je veux rencontrer les militants”.

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