Journ@L Electronique D'histoire Des Probabilités Et De La Statistique

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Journ@l Electronique d’Histoire des Probabilités et de la Statistique Electronic Journ@l for History of Probability and Statistics Vol 5, n°2; Décembre/December 2009 ������������� LES SONDAGES D'OPINION CLANDESTINS DANS LA FRANCE OCCUPÉE Jean-Paul GRÉMY1 Résumé Au premier semestre 1944, le Service de Sondages et Statistiques (S.S.S.) a réalisé, pour le compte de la Résistance, une série de sondages d'opinion clandestins dans la France sous occupation allemande. Dans cette contribution à l'histoire des enquêtes extensives, nous présentons une vue d'ensemble de ces sondages. Abstract In the closing days of World War II, the Service de Sondages et Statistiques (S.S.S.), operating on behalf of the French Resistance, has undertaken a series of clandestine opinion surveys in France, under the German occupation. This is a contribution to the history of opinion polls in France ; it describes the main features of these surveys from March to August 1944. I. LA CRÉATION DU S.S.S. Dans son premier numéro non clandestin (1er janvier 1945), l'organe du Service de Sondages et Statistiques, Sondages de l’opinion publique française 2, présente ainsi le S.S.S. : 1 Centre Maurice Halbwachs (UMR 8097 du CNRS), <[email protected]>. Cet article reprend et développe un exposé fait au séminaire d'histoire du calcul des probabilités et de la statistique du Centre d'Analyse et de Mathématique Sociales (CAMS) le 3 avril 2009. Cette présentation est basée sur Barioux et al. 1944, dont un exemplaire se trouve à la Bibliothèque Nationale, sous la cote : RES-G-1470(355), texte qui a été généralement ignoré des chercheurs. Il faut signaler que l'intégralité du texte correspondant à douze questions, sur les seize qui ont été posées dans la clandestinité, avaient déjà été publiées par Charles-Louis Foulon, dans sa thèse de doctorat (1973, 338-377) ; seules en sont absentes les questions relatives à la "guerre des ondes" (2E, 3A, 3B et 4A). Enfin, l'auteur remercie tout particulièrement Monsieur Jean-Louis Crémieux-Brilhac qui, non seulement a eu l'amabilité de relire ce texte et de signaler quelques erreurs de date, mais qui surtout a apporté à l'auteur son témoignage personnel de secrétaire du Comité exécutif de la France Libre, fonction dans laquelle il a pu avoir connaissance de la quasi totalité des messages adressés à Londres par la Résistance métropolitaine. 2 Ce bulletin bi-mensuel ne doit pas être confondu avec la revue éditée par l'Institut Français d'Opinion Publique (IFOP). Le titre du bulletin du S.S.S. a été adopté dès sa création dans la clandestinité, et conservé après la Libération, lorsque le S.S.S. a poursuivi ses activités au grand jour. Le bulletin de l'IFOP s'est d'abord appelé Sondages. Bulletin d'Études et de Recherches sur l'Opinion Publique ; son premier numéro a été publié en juin 1939. À la Libération, il a pris le nom de Bulletin d'informations de l'Institut Français d'Opinion Publique ; son Journ@l électronique d’Histoire des Probabilités et de la Statistique/ Electronic Journal for History of Probability and Statistics . Vol.5, n°2. Décembre/December 2009 "LE SERVICE DE SONDAGES ET STATISTIQUES est un organisme destiné à découvrir et faire connaître l’opinion publique française au moyen d’enquêtes effectuées suivant une technique analogue à celle imaginée par M. Gallup aux États Unis. Cet organisme a été créé par M. Barioux – "Richard" - pendant la clandestinité, pour renseigner les cercles dirigeants d’Alger et de Londres, ainsi que les chefs de la Résistance métropolitaine, sur les mouvements de l’opinion française en territoire occupé. Il fut rattaché, à cet effet, à la Délégation du Gouvernement provisoire (service de Morandat – "Pierlot" -) sous l’indicatif S.S.S."3. Dans un texte intitulé "La France républicaine et l'opinion publique", publié dans le numéro 14 (mai 1945) du même périodique, Pascal Copeau 4 relate en ces termes la naissance du S.S.S. : "Lorsque en juin 1940 la nation française, sans presque s’en apercevoir, fut trahie, un sondage impartial de l’opinion publique aurait sans doute révélé cruellement l’abandon dans lequel semblait sombrer, pour toujours, un vieux pays chargé de gloire. A cette époque, seule une infime minorité, soit à l’intérieur, soir à l’extérieur, eut le courage et, disaient certains, la folie de rechercher, avec un entêtement téméraire, les moyens de continuer la lutte contre l’ennemi. […] Ainsi la Résistance française n’a pas été une conjuration limitée de "terroristes" et d’initiés. Dépositaire de la volonté momentanément chancelante d’un pays, étourdie par la violence d’un choc inattendu, cette minorité agissante s’est fixé comme objectif la mobilisation de l’ensemble de la Nation pour la lutte contre l’ennemi qui était, en même temps, le combat pour la liberté. […] Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les organisations de résistance qui avaient assumé la responsabilité de diriger cette action salvatrice aient eu la préoccupation de contrôler, par des méthodes appropriées, dans quelle mesure elles étaient suivies par l’ensemble de la population. C’est à cette préoccupation qu’a répondu la création dans la clandestinité d’un "Service de Sondages et Statistiques" (S.S.S.), dont les enquêtes ont eu un rôle déterminant pour la fixation d’une tactique destinée à entraîner l’ensemble du peuple français vers l’insurrection nationale. Les conditions mêmes de pareilles enquêtes étaient, dans la période clandestine, radicalement contraires aux règles élémentaires de sécurité d’une organisation secrète ; mais, dans ce domaine comme dans tant d’autres , il s’est trouvé des patriotes, comprenant l’intérêt de leur mission, qui ont su allier à la fois l’intelligence, la prudence, et la témérité au courage nécessaire" 5. Lors de sa création au début de l'année 1944, les activités du S.S.S. en territoire occupé se sont heurtées à deux difficultés : la première (et la moindre) était le peu de familiarité des Français avec cette technique de mesure de l'opinion publique, ce qui avait pour conséquence une forte réticence des personnes interrogées à répondre aux questions des enquêteurs ; la premier numéro sous cette appellation est paru le 1er octobre 1944. À partir du 1er septembre 1945, il a repris son nom initial de Sondages ; pour bien marquer la continuité avec la publication de 1939, le premier numéro de ce nouveau Sondages porte la mention : "septième année". Afin d'éviter toute confusion, nous nous référerons au bulletin du S.S.S. sous le nom de Cahiers du S.S.S., abréviation qu'ont souvent utilisée ceux qui en étaient les destinataires (on trouve aussi "Cahiers bleus"). 3 Nous reviendrons sur ce rattachement au § I.3.2. (page 15, note 44). 4 Le journaliste Pascal Copeau (1908-1982) a été secrétaire général des Mouvements Unis de Résistance (MUR), membre du Comité National de la Résistance (CNR) dès sa fondation le 27 mai 1943, puis membre du Mouvement de Libération Nationale en 1944. Après la Libération, il a été membre de l'assemblée consultative provisoire, puis de l'assemblée nationale constituante (Charles-Louis Foulon, dans Cointet 2000, 203). C'est en en tant que membre du Comité directeur du S.S.S. après la Libération (aux côtés de Paul Hervé, Yvon Morandat, et Max Barioux) qu'il a rédigé ce texte. 5 Nous reviendrons au § IV.3. (pages 37-38) sur le "rôle déterminant" de ces enquêtes dans la lutte contre l'occupant. 2 Journ@l électronique d’Histoire des Probabilités et de la Statistique/ Electronic Journal for History of Probability and Statistics . Vol.5, n°2. Décembre/December 2009 seconde (la plus importante) résultait de la situation de "pré-guerre civile" dans laquelle se trouvait la France à la veille du débarquement allié en Normandie, situation qui ne pouvait qu'aggraver la méfiance des Français envers tout interlocuteur qui les interrogerait sur leurs choix politiques. 1. Le peu de familiarité des Français avec les sondages d'opinion. On sait que les enquêtes par sondage sont nées aux États Unis peu après 1910, sous la forme d'études de marché (Antoine 2005, 38-39) ; elles ont ensuite étendu leur champ d'application à l'étude de l'opinion, et ont connu un essor important à partir des élections présidentielles de 1936 (où Alfred Landon a été battu par Franklin Delano Roosevelt), qui ont montré l'intérêt et la fiabilité de ce type d'enquêtes (Blondiaux 1998, 250-264 ; Antoine 2005, 17-22). En France, les premiers sondages d'opinion, réalisés par l'Institut Français d'Opinion Publique (IFOP) sous la direction de Jean Stoetzel, datent de l'été 1938 6. Mais on considère généralement que, contrairement à ce qui s'était passé aux États Unis, les sondages politiques y ont précédé les études de marché, ces dernières ne s'étant développées en France qu'autour des années 1950 (Antoine 2005, 49-50) 7. 1.1. Les enquêtes par sondage en France avant 1940. Avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale (3 septembre 1939), les deux principaux moyens utilisés en France pour l'étude de l'opinion étaient les rapports des préfets ou des services de police, et les "référendums" organisés par les journaux auprès de leurs lecteurs 8, la technique des sondages d'opinion restant donc pratiquement inconnue de la majorité des Français (Blondiaux 1998, 325-334). Une petite brochure de présentation de l'IFOP, publiée en 1947, retrace ainsi (page 3) la naissance des sondages d'opinion en France : "Les premières recherches françaises sur l'étude par sondages des opinions remontent aux mois de Juillet-Décembre 1938.

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