Le défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats Pierre Lefébure, Claire Sécail To cite this version: Pierre Lefébure, Claire Sécail. Le défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats. Lemieux éditeur, 2016. hal-01273505 HAL Id: hal-01273505 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01273505 Submitted on 18 May 2021 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Le défi Charlie Couverture : New York, États-Unis – Une foule se recueille à Union Square le 7 janvier 2015 en mémoire des victimes de l’attaque des bureaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo à Paris. © AFP Photo / Don Emmert ISBN 978-2-37344-047-8 © Lemieux Éditeur, 2016 11 rue Saint-Joseph – 75002 Paris www.lemieux-editeur.fr Tous droits réservés pour tous pays LE DÉFI CHARLIE Les médias à l’épreuve des attentats Sous la direction de Pierre Lefébure et Claire Sécail Introduction Du 7 au 9 janvier 2015, la France a connu des journées parmi les plus tragiques de son histoire récente. Au lendemain des attentats meurtriers de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes qui ont fait 17 victimes, près de quatre millions de personnes se rassemblaient pour marcher dans la capitale et les principales villes du pays en scandant « Je suis Charlie », « Je suis policier », « Je suis juif »… Après la sidération, était venu un temps de communion perçu, sinon unani- mement, du moins largement comme un moment d’unité nationale. Cette « marche républicaine » du 11 janvier s’est imposée comme la plus forte mobilisation citoyenne de l’histoire contemporaine française. « Comment oublier l’état où nous fûmes, l’escorte des stupéfactions qui, d’un coup, plia nos âmes ? On se regardait incrédules, effrayés, immensément tristes. Ce sont des deuils ou des peines privés qui d’ordinaire font cela, ce pli, mais lorsqu’on est des millions à le ressentir ainsi, il n’y 8 • Le défi Charlie a pas à discuter, on sait d’instinct que c’est cela l’histoire1 ». Chercheur-es travaillant sur le rôle des médias dans l’espace public, nous nous sommes retrouvés soudain happés par nos objets de recherche, ces médias à l’égard desquels nous cultivons une distance critique et un usage compréhensif. Du 7 au 9 janvier, les alertes successives sur nos téléphones portables ont fait écho aux images diffusées en boucle sur les chaînes d’information continue, aux flux descommentaires lus sur les réseaux sociaux. L’espace médiatique s’est nourri jusqu’à la boursouflure de cette suspension du temps, de notre besoin naturel d’information. Toute la semaine, les médias ont bouleversé leurs maquettes et leurs grilles de programmes. Les chaînes de télévi- sion et les radios ont multiplié les éditions spéciales afin de pouvoir informer les publics en temps réel sur l’évolution de l’enquête, conservant l’antenne pen- dant plus de 70 heures depuis l’annonce des attentats le mercredi 7 jusqu’à la mort des trois auteurs des attaques le vendredi 9. Les questions relatives au bon traitement de l’information n’ont pas attendu la fin des opérations antiterroristes pour être posées. Dans ce contexte à risque, comment le droit du public à l’information doit-il s’articuler aux obligations de 1 P. Boucheron, M. Riboulet, Prendre dates. Paris 6 janvier – 14 janvier 2015, Lagrasse, Verdier, 2015, p. 7. Introduction • 9 respect des victimes et de garantie de la sécurité des personnes impliquées ? Quelles limites peut-on concevoir à l’information en continu ? Comment les médias traitent-ils les points de vue minoritaires ? Accusées d’avoir mis en danger la vie des otages, sept chaînes de télévision et six radios ont été sanctionnées par le CSA qui leur a adressé des mises en demeure un mois après les attentats. Au-delà du traitement factuel de l’événement, les attaques de janvier 2015 ont fait émerger et réactivé certaines problématiques dans l’espace public : liberté de la presse et droit au blasphème, place spécifique de l’Islam dans la société, modèle de la laïcité, rôle des intellectuels, sensibilité des adolescents aux théories du complot, etc. Après la sidération et la communion, les journalistes se sont saisis de ces questions et ont contribué à façonner le débat public en invitant des experts à s’exprimer et des responsables politiques à prendre des décisions. Les journalistes, touchés directement par des atten- tats qui visaient une liberté dont ils sont l’expression, se sont rapidement mobilisés pour engager et prendre part au débat public. Le 13 mars 2015, plus de 400 personnes sont venues assister à l’édition spé- ciale des Assises internationales du Journalisme et de l’Information pour suivre l’un des quatre ateliers organisés : « Liberté d’expression, devoir d’informer et 10 • Le défi Charlie responsabilité », « Éducation à l’information, éducation des médias », « Les leçons éditoriales de janvier 2015 » et « Territoires oubliés de la République, territoires mal traités par l’information ». Les écoles de jour- nalisme, après avoir défilé sous la même bannière le 11 janvier à Paris, ont multiplié les initiatives pour encourager leurs promotions à la réflexion et renforcer les bonnes pratiques. Le 12 janvier, les étudiants de l’école de journalisme de Nice (EDJ) ont proposé de faire du 11 janvier une « Journée Internationale de la Liberté d’Expression » (en plus de la « Journée mondiale de la Liberté de la Presse » célébrée chaque année le 3 mai). Le 11 février, l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ Paris-Dauphine) réunissait des professionnels des médias et des élus pour engager avec les étudiants une discussion autour du traitement médiatique des attentats1. Dans un numéro spécial du Quotidien de l’école de journalisme de Toulouse (14 janvier), les étudiants ont souhaité remettre en perspective les attentats, réalisant eux-mêmes les des- sins accompagnant les articles de fond. La création de blogs-écoles, comme celui des étudiants du CFJ intitulé « 3 millions 7 » en référence au nombre de « marcheurs » du 11 janvier2 ou celui de l’école de 1 www.ipj.eu/Charlie-Hebdo-Hyper-Cacher-reflexions-autour- du-traitement-mediatique_a131.html 2 http://3millions7.cfjlab.fr/ Introduction • 11 journalisme de Science Po interrogeant l’hypothèse d’une « Génération Charlie1 », a permis de fournir l’espace éditorial nécessaire pour prolonger la réflexion par la pratique à travers la mise en ligne de nombreux reportages et enquêtes sur l’après-Charlie. De leur côté, happés et mis au défi par les événe- ments, les chercheurs en sciences sociales n’ont pas manqué de réagir à leur tour. En quelques semaines, les initiatives destinées à donner sens aux attentats – et plus encore à ce qui les a causés – se sont multipliées dans le milieu académique. Dès le mois de mars 2015, le Laboratoire Triangle (UMR 5206) organisait par exemple à Lyon un cycle de conférences « Réfléchir après Charlie » pour mettre en perspective les ques- tions sociales complexes soulevées par les attentats en mobilisant les méthodes d’enquête traditionnelles en sciences sociales (historicisation, études de ter- rain, approches comparées, etc.). Au même moment, l’EHESS inaugurait quatre conférences-débats « Après janvier 2015 » réunissant des chercheurs et des acteurs de la société civile pour aborder les thématiques rete- nues (processus de radicalisation, relégation sociale, interdits religieux, sécurité nationale et libertés publiques). Partout, de nombreuses conférences ont été ponctuellement organisées par des laboratoires 1 www.journalisme.sciences-po.fr/index.php?option= com_ content&task=view&id=2676&Itemid=137 12 • Le défi Charlie de recherche et des universités en fonction de leurs domaines de recherches respectifs. Ces manifesta- tions cherchaient non seulement à s’adresser aux étudiants et aux chercheurs mais, au-delà, quelquefois au grand public. Signe de l’impact de l’événement au-delà des frontières hexagonales, la communauté scienti- fique internationalen’est pas en reste de cet élan. Ainsi, au congrès de l’International Association for Communication Research (IAMCR) en juillet 2015, des chercheurs britanniques, pakistanais, finlandais ou brésiliens ont proposé diverses analyses sur la médiatisation des événements. À l’automne 2015, l’Université de Harvard lançait le projet collaboratif « The Charlie Archive at the Harvard Library » afin de constituer un fond d’archives à partir de docu- ments variés (affiches, photographies, tweets, tracts, émissions de télévision, articles de presse, chansons, pancartes…) afin de « documenter un moment par- ticulier du début du xxie, où le mot Charlie prit soudain un sens tragique et devint lourd d’émotions et d’opinions ambivalentes1 ». Le présent ouvrage témoigne de cette volonté manifeste des chercheurs en sciences sociales de contribuer au débat public. Citoyens secoués nous aussi par les attentats, nous avons eu besoin de 1 http://cahl.webfactional. com/ Introduction • 13 reprendre de la distance comme l’exige notre métier, de mobiliser nos outils et nos méthodes afin de circonscrire et analyser l’événement et ses enjeux. Six mois après les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher, un groupe de chercheurs du laboratoire « Communication et politique » (LCP-IRISSO, UMR 7170) s’est ainsi constitué pour questionner la couverture médiatique de ces journées. Avec d’autres collègues invités, ils ont partagé les résultats de leurs travaux empi- riques lors d’une journée d’études organisée le 9 juin 2015.
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