Le Petit Roi S'est Évadé. Les Chevaliers De Blanchefleur

Le Petit Roi S'est Évadé. Les Chevaliers De Blanchefleur

RENÉE TESNIÈRE Préface d'André Castelot I LE PETIT ROI S'EST ÉVADÉ (Les Chevaliers de Blanchefleur) LES PRESSES DE LA CITÉ - DÉPARTEMENT G.P. 80, RUE SAINT-LAZARE, PARIS-9 © 1967 - Les Presses de la Cité - Département G.P., Paris PRINTED IN FRANCE PRÉFACE En lisant ce livre, vous allez revivre la plus passionnante énigme de tous les temps : le mystère Louis XVII. Le fils de Marie- Antoinette et de Louis XVI, ses parents montés à l'échafaud, est-il mort dans la vieille tour des Templiers qui se dressait à l'emplace- ment de l'actuel square du Temple à Paris, ou bien un autre prisonnier a-t-il été mis à sa place? Pourquoi douter ? Parce que l'enfant mort sous le nom de Louis-Charles Capet ressemblait fort peu au vrai Louis XVII. Plus grand que le petit roi, il paraissait âgé d'une quinzaine d'années, alors que le vrai dauphin comptait seulement dix ans et deux mois. Celui que l'on peut appeler l'Inconnu refusait de parler et ce mutisme semblait inexplicable. Enfin, l'état de santé du malade s'était si brusquement aggravé que certains, cherchant une explication à tant de mystères, parleront même d'empoisonnement. Transportons-nous donc par la pensée dans le sinistre donjon, au lendemain de la mort de l'enfant. Le commissaire civil Damont, de service ce jour-là à la Tour — et pâtissier de son état — regarde le docteur Pelletan achever l'autopsie du petit corps. Soudain, il se penche vers le médecin et, à voix basse, lui demande de lui donner une mèche de cheveux du « roi ». Pelletan accepte et le commissaire, rentré chez lui, enveloppe la relique dans un morceau de journal. Puis les années passent. Bien des années... Napoléon parti pour Sainte-Hélène et Louis XVIII — l'oncle de Louis XVII — rentré aux Tuileries, Damont fait exécuter un magnifique coffret de maroquin rouge. Il y place religieusement la boucle de cheveux et prend le chemin des Tuileries avec l'intention d'offrir la relique à Madame Royale, sœur de l'enfant-martyr. Mais, à la stupéfaction de l'ancien commissaire, celle qui porte maintenant le titre de duchesse d'Angoulême refuse de le recevoir. Sur son ordre, le duc de Gramont, capitaine des gardes du corps, se charge d'expédier le bonhomme. A peine a-t-il jeté les yeux sur la mèche qu'il s'exclame : — On vous a trompé, mon ami, ce ne sont point là les cheveux de Monseigneur le Dauphin! Et comme Damont commence à raconter « qu'il les a vu lui-même couper sur la tête du petit roi », le duc de Gramont précise : — Le dauphin était d'un blond plus clair. J'ai eu l'occasion de le bien connaître à Versailles. Et notre pâtissier tout déconfit — on le serait à moins! — s'en retourna chez lui, sa boîte sous le bras. Or, cette « boîte » contenait le secret de l'énigme. J'avais, en effet, pensé que s'il était possible de retrouver cette « mèche Damont » et de la comparer avec une boucle de cheveux du Dauphin coupée sur la tête de l'enfant par Marie-Antoinette avant leur séparation — le 3 juillet 1793 — le célèbre mystère du Temple serait en partie dissipé. J'ai pu, non sans mal, découvrir le coffret confectionné par l'ex-commissaire Damont et contenant encore la mèche de cheveux, toujours enveloppée dans un fragment de gazette révolutionnaire. J'ai pu également mettre la main sur la boucle des cheveux de son fils que la reine avait sur elle avant de mourir. Les deux « témoins » — le premier roux, le second blond — furent envoyés par mes soins au professeur Locard, l'éminent criminalogiste. Les résultats de son expertise furent formels : les deux mèches de cheveux n'avaient pu appartenir au même crâne. LE PETIT ROI S'EST ÉVADÉ Le Dauphin n'est par conséquent point mort dans la tour du Temple, un enfant a été mis à sa place et c'est ce malheureux « substitué » qui mourut dans les bras de ses gardiens, le 8 juin 1795. Le décor dans lequel se déroule cette histoire, si joliment racontée par Renée Tesnière, est rigoureusement conforme à la vérité et le récit qui fera battre votre cœur a parfaitement pu se dérouler ainsi que l'auteur l'a imaginé. Le livre terminé, vous vous demanderez peut-être ce qu'a pu devenir le petit roi ? Il y eut trente-deux prétendants au titre de Louis XVII, qui surgirent durant des années et empoisonnèrent l'existence de Madame Royale. Aucun ne sera reconnu. L'un d'eux fut peut-être le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. La vérité surgira-t-elle de quelque dossier poussiéreux de nos archives? Ou sortira-t-elle de quelque malle oubliée au fond d'un vieux grenier ? Ou bien ne connaîtrons-nous jamais quel fut le sort du petit prisonnier? En attendant, laissez-vous emporter par cette merveilleuse histoire et je vous envie puisque, à la suite de Delphine et de François, vous allez pénétrer dans la vieille tour du Temple... André CASTELOT. PROLOGUE 10 mai 1794. Six heures du soir. C'est une radieuse fin de journée printanière. Le ciel d'un bleu pur, semé de quelques petits nuages blancs qui s'effilochent, est encore rayonnant. Dans les vastes jardins des Tuileries, dans ceux des Champs-Élysées, les oiseaux font leur vacarme quotidien, pour se disputer les meilleures places au profond des grands marronniers. Pourtant, malgré la douceur de la soirée, on voit peu de prome- neurs sous les frondaisons, et les petits marchands ambulants, ceux qui vendent des recueils de chansons, ceux qui crient : « Pleurez, petits enfants, vous aurez des moulins à vent!... » ou « Régalez-vous, voilà l'plaisir ! » ont déserté les jardins. Pour retrouver l'animation, il faut gagner la ci-devant rue Saint-Honoré, devenue la très républi- caine rue Honoré. Là, au contraire, il y a foule : on se bouscule, on rit, on s'interpelle à grands cris. C'est une mêlée confuse d'hommes portant carmagnole et pantalon rayé, nu-tête ou coiffés du bonnet phrygien rouge sang; de femmes « en cheveux » ou en charlotte blanche, jupes à fronces et fichus croisés. Le tricolore domine. La cocarde est partout, la gentille cocarde bleu, blanc, rouge, en soie, en basin ou — dernière trouvaille du chapelier Beau, de la rue Denis — en cuir verni. Peu de tenues bourgeoises, chapeaux ronds et redingotes à l'anglaise, mais, pour tenter d'endiguer la foule, des gardes nationaux, en habit bleu, doublure blanche et revers écarlates, tout fiers de leurs épaulettes jaunes et des mots Constitution et Liberté brodés sur leurs parements. Et toute cette cohue attend, comme au théâtre avant le lever du rideau. Un sourd grondement de roues annonce soudain l'approche, encore lointaine, d'un cortège : chaque jour, ou presque, les charrettes qui mènent les condamnés de la prison de la Conciergerie à la place de la Révolution — que l'Ancien Régime nommait place Louis-XV — empruntent ainsi, sur toute sa longueur, la rue Honoré. Elles sont, le plus souvent, saluées de quolibets, d'injures, d'impré- cations féroces : c'est comme une vague de hurlements, qui s'enfle et déferle de proche en proche. Le peuple, ivre de liberté, après un trop long esclavage, a oublié tout sentiment humain. Aujourd'hui, cependant, rien de semblable : à mesure qu'avance, cahotant sur les pavés inégaux, la première charrette, le tumulte s'apaise, les cris s'éteignent; un silence à peu près total tombe sur la foule, dont l'habituelle fureur semble faire place à une sorte de respect contraint. Les charrettes suivantes passent dans le même silence. Et, derrière elles, on se disperse, par petits groupes qui échangent à peine un commentaire. Seule, une petite fille blonde se faufile dans la cohue, suivant à distance l'attelage de tête. Dans cette première charrette, trois femmes, debout, dos au cheval, les mains liées, vont à la mort; toutes trois fières et dignes, le regard absent. L'une a passé soixante-dix ans : c'est la vieille Mme de Sénozan; la seconde, plus jeune, est Mme de Crussol d'Amboise. Mais ce n'est pas sur leurs deux visages que s'attardent les regards de la foule. Entre elles se tient une jeune femme d'une trentaine d'années. Le mouchoir qui lui couvrait la tête a glissé, découvrant les cheveux blonds que le bourreau a maladroitement tailladés sur la nuque. Les yeux bleus ne voient que le ciel, les lèvres tendres ont un angélique sourire; la robe blanche, le fichu de mousseline ajoutent encore à cette allure d'apparition céleste. Dans la foule, un murmure frissonne : — Sainte Geneviève des Tuileries! Et la plus enragée des tricoteuses, le plus sanguinaire des sans- culottes, sans même relever ce que ce « sainte Geneviève » a de contre-révolutionnaire, sentent frémir au fond d'eux-mêmes une sorte de regret attendri... Sainte Geneviève des Tuileries... Le peuple de Paris, gagné, presque malgré lui, par un respect affectueux, avait donné ce surnom, aux premières heures de la Révolution, à Madame Élisabeth, sœur cadette de Louis XVI. Au plus fort de la tourmente, alors que le seul nom de Capet était craché avec dégoût par la plupart, alors que des cris de haine saluaient celui de l' « Autrichienne » Marie-Antoinette, il n'y avait que les plus vils pour injurier la jeune femme. Chacun, chez les petites gens, connaissait sa réputation de bonté, de charité, de géné- rosité, la simplicité de sa vie et de ses manières. Et ceux qui, en 1792, avaient envahi les appartements royaux des Tuileries se souvenaient encore avec admiration de son sang-froid, de son courage quand, prise pour la Reine, elle avait pendant de longs moments d'angoisse affronté sans sourciller, auprès du roi, la meute hurlante et déchaînée.

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