UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE III Laboratoire de recherche CELLF T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Littérature et civilisation française Présentée et soutenue par : Jie CHEN le 2 septembre 2015 Le théâtre et le pouvoir au XVIIe siècle Le patronage en question Sous la direction de : M. Georges FORESTIER – Professeur, Université Paris-Sorbonne Membres du jury : M. Claude BOURQUI – Professeur, Université de Fribourg (Suisse) Mme Bénédicte LOUVAT-MOLOZAY – MCF HDR, Université de Montpellier III M. Emmanuel BURY – Professeur, Université de Versailles St-Quentin-En-Yvelines À l’approche de la fin, non seulement de mon doctorat, mais aussi de mes neuf ans de vie étudiante à Paris, je voudrais d’abord remercier Monsieur Georges Forestier qui a dirigé mes études et recherches depuis l’année de Master 1. Pour un étudiant chinois qui n’a vraiment découvert le théâtre français du XVIIe siècle qu’après son arrivée en France, ses cours passionnants, ses sages conseils et ses encouragements ont été extrêmement précieux. Mes camarades, Céline Fournial, Sylvain Garnier, Aurélia Pouch et Frédéric Sprogis, ont relu attentivement ce travail. Leurs remarques et conseils, sur le fond comme sur la forme, ont été importants pour l’achèvement de ce travail. Qu’ils soient tous remerciés. Enfin, cette thèse n’aurait pu s’achever sans le soutien et le sacrifice de mon épouse, notamment après la naissance de notre fille l’année dernière. Qu’elle trouve ici l’expression de ma reconnaissance, dans une langue que nous admirons tous les deux. Introduction Ce qu’on appelle aujourd’hui mécénat est une pratique presque aussi ancienne que la vie artistique ou littéraire. Cette réalité semble a priori évidente, d’où le fait que les chercheurs se sont généralement moins questionnés sur la pratique en elle-même que sur des cas de figure particuliers. Et, lorsqu’on parcourt ces travaux, on peut constater que, curieusement, pour le Moyen-Âge comme pour l’époque moderne, les historiens accordent peu d’attention au mécénat théâtral. Certes, jusqu’à la Renaissance, le théâtre n’était pas encore une composante majeure des fêtes de cour, mais il apparaît que même pour le XVIIe siècle – époque où cet art s’impose pourtant comme le divertissement aristocratique par excellence – les recherches s'orientent toujours plus vers d’autres formes artistiques, telles que la danse (notamment le ballet de cour), la peinture, la musique et l’architecture, dont les rapports avec la pratique du mécénat se traduisent avant tout par cet échange entre artiste et mécène formalisé à travers la voie de la commande. Il est en effet plus commode d’aborder le sujet sous cet angle, la commande constituant le geste mécénique par excellence. Qui plus est, les œuvres ainsi produites, qu’il s'agisse de ballets, de tableaux, de statues, ou d'édifices, peuvent être interprétées comme autant de représentations artistiques d’une certaine volonté du commanditaire. Autrement dit, le mécénat n'est plus un simple échange marchand : il est désormais doté d’un sens symbolique. Cependant, en ce qui concerne le théâtre, il nous semble que cette pratique de la commande restait moins fréquente au XVIIe siècle, et cela à cause du principe de diffusion de masse auquel le théâtre était déjà associé par la représentation publique et la publication mais qui était étranger aux autres formes artistiques. En ce sens, le théâtre avait donc la possibilité de s'épanouir indépendamment du mécénat. Quelques périodes se distinguent néanmoins par un développement important de la pratique du mécénat au théâtre. Il s’agit tout d’abord de la deuxième moitié des années 1630, période au cours de laquelle le cardinal de Richelieu commandait des pièces de théâtre ainsi que des poétiques dramatiques aux poètes de son entourage. Sans surprise, les historiens du théâtre ont fait couler beaucoup d’encre à propos de cette forme de mécénat. L’étude la plus représentative sur cette question demeure celle de 1 Georges Couton qui a pour titre Richelieu et le théâtre1. L'auteur y définit l'apport du cardinal au théâtre français, apport qui consiste, pour lui, en deux points asymétriques : une « petite œuvre », c’est-à-dire les pièces issues de la collaboration entre le ministre- prélat et ses écrivains, et une « grande impulsion », c’est-à-dire la réhabilitation de la profession de comédien et la réglementation du théâtre réalisée sous son égide. Malheureusement, Couton a traité le sujet qui nous intéresse de manière extrêmement disproportionnée. Une dizaine de pages seulement ont été consacrées à ce qu’il appelait les « projets d’organisation théâtrale » réalisés sous Richelieu. De surcroît, il s’est souvent contenté d’exposer les faits sans apporter de véritable réflexion sur la signification de cette implication du ministre-prélat dans les affaires théâtrales. Ainsi, pour un événement aussi important qu’était l’intervention de l’Académie française dans la querelle du Cid, Couton s'est contenté de résumer le récit de Pellisson. En revanche, la partie consacrée à l’œuvre théâtrale inspirée par Richelieu occupe les deux tiers de son livre, comme si l’ensemble de cette commande cardinalice constituait la clé pour comprendre l'ensemble des rapports entre Richelieu et le théâtre. Une telle approche présente d’emblée un double inconvénient : si l’on s’adonne à l’analyse purement littéraire des œuvres, on s’éloigne du sujet ; mais, inversement, si l’on cherche à forger un lien entre l’œuvre commandée et le commanditaire, on risque de s’enliser dans la surinterprétation, travers dans lequel Couton a pu tomber à l’occasion de certaines de ses analyses sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. Les deux premières décennies du règne personnel de Louis XIV constituent une seconde période d’exception durant laquelle les commandes théâtrales sont relativement abondantes. N’oublions pas, en effet, que toutes les comédies-ballets de Molière, à part Le Malade imaginaire, sont le fruit de commandes royales. Cette étroite relation entre le comédien-poète et le Roi-Soleil justifie en quelque sorte le choix de C.E.J. Caldicott d’écrire sur la carrière de Molière un livre dont la moitié est consacrée à la fortune du dramaturge auprès de ses protecteurs, notamment Louis XIV2. Nous reviendrons sur ce sujet dans les pages qui suivent. De son côté, Jean-Marie Apostolidès a mené des recherches sur cette période afin d'éclairer la question de la représentation de Louis XIV à travers les arts. Deux de 1 Georges Couton, Richelieu et le théâtre, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1986. 2 C.E.J. Caldicott, La carrière de Molière entre protecteurs et éditeurs, Amsterdam, Atlanta, Rodopi, 1998. 2 ses ouvrages sont ainsi complémentaires : Le Roi-Machine3 étudie le processus sous l’angle de l’organisation et du déroulement des spectacles à la cour royale ; Le Prince sacrifié 4 , quant à lui, se concentre sur le genre théâtral. Après avoir proposé une interprétation des œuvres de Corneille, Racine et Molière à l’aune de l’évolution de la société de leur temps et de ses valeurs, Apostolidès conclut que « le théâtre classique se présente comme un rituel qui permet à la collectivité d’accomplir le ‘travail de deuil’ de ses valeurs anciennes, absolues, féodales 5 . » Selon lui, le fameux trio du « Grand siècle » aurait travaillé à imposer les valeurs modernes en les confrontant aux anciennes dans leurs pièces de théâtre. Voilà comment il explique ce processus : Notre hypothèse est que la scène classique, en les redonnant sous formes de symptôme, en permettant leur récitation tragique, a partiellement assuré l’évacuation de ces valeurs absolues, ou du moins leur a offert une autre place, à l’intérieur de la conscience individuelle, parce qu’elles étaient incompatibles avec celles de la modernité, fondées sur la comparaison, l’échange, la mise en relation, c’est-à-dire la relativité6. De là, on comprend que l’hypothèse d’Apostolidès est fondée sur l’interprétation morale de la catharsis aristotélicienne, qui fait de la correction morale par la voie de la catharsis le but du théâtre, interprétation dont Georges Forestier a déjà montré les limites7. Solidité de l’argumentation de l’auteur mise à part, nous ne pouvons adopter une telle démarche interprétative pour notre propre enquête, et ce, pour la même raison que nous avons refusé la méthode de Georges Couton. Alors, si aborder le mécénat théâtral à travers la question de la commande s'avère insatisfaisant à cause du double inconvénient que cela entraîne – soit l’enfermement dans la pure analyse littéraire, soit la surinterprétation politique – sous quel angle pouvons-nous l’appréhender, dans le cadre du vaste sujet qui nous préoccupe, à savoir les rapports entre le théâtre et le pouvoir ? Une autre question soulevée par Apostolidès semble pouvoir nous proposer une piste de réflexion intéressante pour aborder ce problème. 3 Jean-Marie Apostolidès, Le Roi-Machine : spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, Éditions de Minuit, 1981. 4 Jean-Marie Apostolidès, Le Prince sacrifié : théâtre et politique au temps de Louis XIV, Paris, Éditions de Minuit, 1985. 5 Ibid., p.178. 6 Ibid., p.179. 7 Georges Forestier, Passions tragiques et règles classiques : essai sur la tragédie française, Paris, PUF, 2003, p.141-154. 3 Dans son Roi-Machine, Apostolidès a étudié ce qu’il appelait le « mouvement académique » qui avait pris de l’envergure au début du règne personnel de Louis XIV. Après avoir rappelé brièvement les circonstances de la naissance des Académies royales de peinture, d’escrime 8 , de danse, de musique et d’architecture, ainsi que leur restructuration dans les années suivantes, l’auteur conclut, non sans justesse, que « tout ce qui est savoir devient savoir par l’État, en même temps que sur l’État 9».
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