Dossier Bertrand de Jouvenel Table des matières Un « voyageur dans le siècle » ................................................................................................................ 2 Bertrand de Jouvenel, un visionnaire au temps de l’obscurantisme ...................................................... 5 Une enfance mondaine dans un couple déchiré ................................................................................... 11 Colette ou l’ « éducation sentimentale » .............................................................................................. 17 La métaphysique du Pouvoir ................................................................................................................. 21 Le « Pouvoir pur », né sur les cendres de la féodalité ........................................................................... 25 La révolution permanente, ou comment la statocratie a détruit les corps intermédiaires .................. 29 Le credo de la liberté ............................................................................................................................. 34 De la souveraineté ................................................................................................................................ 42 Jouvenel, pionnier méconnu de l'écologie politique ............................................................................. 50 A lire : L’Ethique de la redistribution ..................................................................................................... 61 A lire : Les débuts de l’Etat moderne. Une histoire des idées politiques au XIXe siècle ......................... 63 A lire : L'Économie dirigée. Le Programme de la nouvelle génération .................................................. 64 A lire : la revue Futuribles ...................................................................................................................... 65 1 Un « voyageur dans le siècle » Bertrand de Jouvenel (1903-1987) est un penseur majeur. Après des études de sciences et de droit, il a été correspondant diplomatique puis envoyé spécial de divers journaux jusqu'en 1939. Economiste et professeur dans diverses universités (Cambridge, Berkeley, Oxford...) il a dirigé la SEDEIS (société d'études économiques). Il est le fondateur de Futuribles. Il est le fils d'Henry de Jouvenel, un pied dans la politique (sénateur de Corrèze, ministre, ambassadeur), un pied dans le journalisme (rédacteur en chef de l'influent Matin en 1912) et de Sarah Claire Boas, une juive riche et fantasque dont Bergson et Anatole France fréquentent le salon, boulevard Saint-Germain. En 1920, il rencontre la romancière Colette, avec laquelle son père s'est remarié, et qui bientôt délaissée par lui fera l'éducation amoureuse de son beau-fils. Leur liaison dura quatre ans. Elle lui inspirera un beau roman qui fit scandale, Le blé en herbe, tandis qu'il épousait en 1925 une nièce de Maeterlinck. Entre-temps, Bertrand de Jouvenel, que la politique passionne depuis l'âge de 14 ans, s'est lancé avec brio dans le journalisme de reportage mais aussi d'analyse. Son premier essai, L'Économie dirigée (1928), plaide pour le libéralisme économique, gage de créativité, mais contrôlé par l'Etat, l'autorité politique ne pouvant se désintéresser de ses répercussions sociales. L'ouvrage établit sa réputation. Grand visionnaire de l'écologie, libéral en économie comme en politique ou en culture, ce brillant causeur aux multiples visages a été, avec le groupe Futuribles, l'un des pionniers de la prospective. Mort il y a maintenant vingt-cinq ans, il séduit encore, toutes colorations politiques confondues. La tentation fasciste Dans ses mémoires, Le voleur dans la maison vide, Jean-François Revel, apporte un précieux témoignage sur certains aspects controversés de la vie et de l'œuvre de Bertrand de Jouvenel. «J'avais devant moi, écrit Revel, l'un des fondateurs mondialement connus de la science politique contemporaine, le précurseur d'une réflexion originale sur l'avenir, l'auteur de livres fondamentaux et classiques, dont les titres vigoureux et concis étaient gravés dans tant de mémoires : Du pouvoir, De la souveraineté, De la politique pure, L'Art de la conjecture. Et j'avais aussi devant moi celui dont une légende persistante faisait le modèle du personnage de Colette, Chéri. Je dis bien légende, car Chéri était achevé quand Bertrand de Jouvenel rencontra Colette, mais légende qui devait se transformer en demi-vérité ; la romancière éprouva pour le jeune Bertrand une inclination qui 2 semble bien être allée jusqu'à la chute. Non sans drames : Colette, en effet, était la seconde femme du père de Bertrand, ce personnage considérable de la IIIe République que fut Henry de Jouvenel, sénateur de la Corrèze, ministre, ambassadeur, l'une des têtes pensantes et influentes du Parti radical, alors pivot du système. Adorateur et adoré des femmes, adepte du maternage sinon du matriarcat, certes, Bertrand devait l'être toujours1.» Oubliant ou ignorant qu'il était reçu chez Léon Blum et qu'il avait autant d'amis dans les partis de gauche que dans les partis de droite, on le range parfois, avec mépris parmi les collaborateurs et les fascistes. C'est là, pour Revel, une réputation imméritée. «Sous l'Occupation, il est chargé par les services de renseignement français, où il est entré en 1939, de surveiller les milieux de la collaboration. Une vieille amitié avec Otto Abetz, l'ambassadeur du IIIe Reich en France occupée, lui en rend l'accès facile, ce qui ne manque pas de lui forger à lui-même une réputation gênante et imméritée de collaborateur.» Partisan actif de la réconciliation franco-allemande dont dépendent l'avenir de l'Europe et la paix entre les nations ; lié, en effet, d'amitié avec un jeune Allemand de son âge, Otto Abetz, le futur ambassadeur du Reich dans Paris occupé ; épouvanté par la terrible crise économique des années 30 dont il a constaté par lui-même les terribles effets aux Etats-Unis ; exaspéré par les déplorables et stériles jeux parlementaires de la IIIe République et dans nombre de démocraties, Bertrand de Jouvenel va se mettre en quête de nouvelles formules politiques pour garantir la paix, promouvoir l'harmonie sociale, combattre le chômage, organiser une économie efficace. Il croira trouver dans le fascisme une alternative au communisme soviétique comme au capitalisme débridé. Cette attirance pour le fascisme se traduira notamment par une naïve interview de Hitler en 1936 et son adhésion, en même temps que Drieu la Rochelle, au Parti Populaire Français de l'ex-communiste Jacques Doriot. Mais les Accords de Munich (1938) qui permettent à Hitler de redessiner la carte de l'Europe à sa guise, lui dessillent les yeux. Il démissionne du PPF, travaille pour le contre-espionnage français, repousse en 1940 les sollicitations pour écrire dans la presse collaborationniste, participe à un réseau de résistance en Corrèze, et s'estimant menacé par la Gestapo qui l'a arrêté pendant quelques jours, s'installe en Suisse avec sa femme Hélène, devenue le grand et durable amour de sa vie, et leurs deux jeunes enfants. À la Libération, son affiliation d'avant-guerre au parti de Doriot, sa germanophilie nonobstant le nazisme, son amitié avec des personnalités en vue de la Collaboration, à laquelle lui-même n'a pourtant pas participé, les ostracismes décrétés par une gauche inquisitoriale, vont lui interdire l'accès à la grande presse parisienne et l'obliger à multiplier les piges pour nourrir sa famille. Des journaux suisses, en revanche, l'accueillent, ainsi que La Libre Belgique, après que Paul Jourdain, esprit ô combien indépendant, ait vérifié qu'on ne pouvait rien lui reprocher de grave. Dans la tradition de Tocqueville 1 Jean-François Revel, Mémoires – Le voleur dans la maison vide, Éditions Plon, 1997, p. 433. 3 Mais la vraie résurrection de Bertrand de Jouvenel, au lendemain de la guerre, tient à la parution en 1945 à Genève de son livre Du pouvoir. Considéré aujourd'hui comme un classique de la science politique, il mettait en garde contre le danger de la croissance de l'Etat dans les sociétés contemporaines, au détriment des individus. De Benedetto Croce, le philosophe antifasciste italien, à la politologue juive Hannah Arendt et aux professeurs des plus grandes universités anglaises et américaines, Bertrand de Jouvenel fut salué comme un digne successeur de Tocqueville et fit bientôt figure avec Raymond Aron des deux plus importants représentants français de la pensée politique libérale. Dès lors, Bertrand de Jouvenel fut invité dans des colloques internationaux, siégea dans des organismes économiques français, fut publié et traduit à l'étranger, et contribua à l'émergence de nouveaux concepts, comme celui d' « écologie politique » (dès 1957 !), de « prospective », (en même temps que Gaston Berger) ou encore de « futuribles », dont l'optique consiste à construire des « futurs probables à la lumière de plusieurs possibles » (la revue de ce nom est dirigée depuis un quart de siècle par son fils, Hugues de Jouvenel). En 1981, il vota pour Mitterrand... Un premier livre de souvenirs resté sans suite parut sous le titre Un voyageur dans le siècle. Aucune définition ne convient mieux à ce journaliste et philosophe politique, dont la route croisa Hitler, Kissinger, Colette, Drieu, Berl, Benès Raymond Aron, Friedrich von Hayek, et tant d'autres. Jacques Franck Bertrand de Jouvenel, Un voyageur dans le siècle, Robert Laffont, 1999, 491 pages. Olivier Dard, Bertrand de Jouvenel, Perrin, 2008, 526 pages. 4 Bertrand de Jouvenel,
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages67 Page
-
File Size-